Raid ministériel français
Le Transall de l’armée française surgit le 27 juillet en fin d’après-midi, au dessus de l’aéroport d’Al-Fasher, dans un ciel de poudre gris fer, parcouru de lueurs jaunes. Très vite, la délégation conduite par le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, se répartit dans les 4×4 flambant neufs des forces de l’Union africaine (UA). Briefing au pas de charge, en français, sous la tente de la commission de contrôle du cessez-le-feu : les observateurs internationaux poursuivent leur déploiement. Ils sont déjà plus d’une centaine et leur nombre ira croissant jusqu’au total prévu de trois cents hommes représentant tout à la fois l’UA, l’Union européenne (UE), les Etats-Unis, la médiation tchadienne et les parties soudanaises. Leur mission : recueillir les plaintes des habitants à condition qu’elles leur soient transmises par le canal des autorités locales soudanaises, « se montrer », notamment en patrouillant autour des camps pour rassurer les réfugiés, et constater les éventuelles violations du cessez-le-feu. Le tout sur un territoire aux contours indéfinis, grand comme plus de la moitié de la France, où la saison des pluies rend les déplacements terrestres difficiles (il faut une semaine pour venir de Khartoum, à 800 kilomètres d’ici), avec une flotte aérienne limitée à trois avions et trois hélicoptères.
Pas de quoi s’étonner, dans de telles conditions, si le colonel Davoine reste évasif sur l’essentiel : il ne dispose « pas d’éléments sur un éventuel génocide en cours dans le Darfour ». Il y a certainement « de temps en temps des embuscades », mais lui-même n’a pas connaissance de combats d’importance depuis début juillet, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne s’en produise pas ! Comment, en outre, distinguer les actes de guerre du grand banditisme, endémique dans cette région ? La présence de camps (abritant plus d’un million de déplacés) situés de part et d’autre de la frontière tchadienne rend une vue d’ensemble encore plus difficile, d’autant que les observateurs n’ont pas accès à la carte des zones contrôlées par les différentes parties du conflit. Le seul point sur lequel le colonel se montre affirmatif concerne les « djandjawids », ces miliciens arabes auteurs de nombreux massacres de femmes et d’enfants, et que Khartoum est censé désarmer, sous la pression de la communauté internationale : « Ce sont des cavaliers, des nomades, dispersés et toujours en mouvement. Ils sont impossibles à désarmer, sauf s’ils le décident eux-mêmes. »
Le principal « signal » de bonne volonté attendu du président Omar el-Béchir – la mise hors d’état de nuire des milices – n’aurait donc aucun sens, de l’aveu même des experts militaires présents sur le terrain.
Michel Barnier, venu « pour comprendre », prend donc avant tout la mesure du manque d’informations dont disposent ceux qui ne voudraient pas se contenter d’asséner un verdict préparé à l’avance. Lui-même se trouve conforté dans son attitude de prudence. Sur place, on lui montre en effet surtout… qu’on n’y voit vraiment pas grand chose ! Pour le ministre français, seule l’urgence humanitaire, inséparable de son volet sécuritaire et de la nécessité d’un règlement politique, ne fait aucun doute. La France, avec ses partenaires de l’UE, doit s’efforcer d’apaiser les souffrances des réfugiés, qu’ils se trouvent en territoire soudanais ou au Tchad. Pour le reste, « il faut faire attention ! » Au Soudan, comme à ses voisins, et ne pas prendre le risque d’un raidissement en intervenant d’une manière trop intempestive, ce qui pourrait se révéler fatal pour les populations civiles. Une attitude relayée par la Russie, la Chine et l’Algérie qui a porté ses fruits dans l’aménagement de la résolution américaine adoptée le 30 juillet par le Conseil de sécurité de l’ONU, après qu’y fut gommée la référence à d’éventuelles sanctions contre le Soudan.
La visite effectuée, au crépuscule, dans le « camp-modèle » d’Abou Shouk, à quelques kilomètres de là, n’a sans doute pas apporté d’autres lumières au ministre français : plus de 40 000 personnes, réparties par familles, par clans et par villages dans des cabanes bâchées de plastique, alignées dans le sable à perte de vue, avec, çà et là, les enclos d’ONG engagées dans un difficile combat contre la malnutrition (plus du tiers des enfants en sont affligés), le manque d’eau et de médicaments et les crédits insuffisants (le représentant sur le site d’Enfants du monde-droits de l’homme ne dispose, pour l’heure, que de… 3 euros par enfant !). Chacun, dans la foule qui s’agglomère autour du cortège, évoque tout à la fois la crainte des pluies qui arrivent et la peur intacte qui lui interdit de rentrer chez soi. Abou Shouk compte environ 70 % de femmes et d’enfants : les hommes sont-ils morts, engagés dans les rangs des rebelles ou simplement restés au village après avoir mis leur famille en lieu sûr ?
C’est du côté de la police militaire soudanaise en charge du camp que Michel Barnier aura néanmoins pu glaner quelques indices : ainsi ce patriarche traité de « fou » avant d’être écarté « manu militari » par un officier en treillis bleu, alors qu’il tentait de convaincre le ministre que c’était l’aviation soudanaise qui avait bombardé son village et les djandjawids qui l’avaient brûlé. Ou ce poste de contrôle, à l’entrée de l’aéroport, où notre chauffeur sud-africain, sans doute pris par le « tempo » de cette visite-éclair, n’avait pas marqué l’arrêt qui lui était demandé et, proprement « braqué » par les Soudanais, leur avait montré en vain, pendant de longues minutes, son insigne de l’UA avant que les canons s’abaissent.
À plusieurs reprises, Michel Barnier, qui devait s’envoler dans la nuit vers Abéché (Tchad) où l’attendait le président Idriss Déby, avait répété que ce n’est certainement pas « sans le Soudan, encore moins contre lui » que la crise du Darfour pourrait trouver son règlement. Certes. Mais le ministre a sans doute aussi pu mesurer qu’il restait bien du chemin à faire pour que ce soit « avec » lui !
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