Qui après Kérékou ?

À dix-huit mois du scrutin présidentiel, le pays connaît une période d’incertitude. Ni le chef de l’État ni Nicéphore Soglo ne peuvent théoriquement se présenter. À moins que…

Publié le 2 août 2004 Lecture : 5 minutes.

Depuis le début des années 1990, le Bénin s’était habitué à ne recevoir que des satisfecit. Celui des institutions financières internationales pour sa gestion orthodoxe des finances publiques. Celui des organisations de défense des droits de l’homme érigeant en exemple le modèle béninois d’ouverture politique et de respect de la liberté d’expression. Celui des spécialistes de la politique africaine et des chancelleries occidentales prompts à vanter l’aptitude de la jeune démocratie à produire des alternances à la tête de l’État sans que les joutes électorales dégénèrent en violences politiques ou en guerre civile comme dans de trop nombreux pays du continent. Seulement voilà : le temps des compliments paraît révolu ou en passe de l’être. Et beaucoup de Béninois, qui s’étaient accoutumés à accueillir cette salve d’applaudissements avec fierté, mais aussi avec une certaine circonspection, ne sont pas mécontents du retour à des jugements plus crédibles sur la situation de leur pays.
La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a publié en juillet le rapport d’une mission d’enquête au titre éloquent : « La justice au Bénin : corruption et arbitraire ». Ce document de 32 pages dresse le portrait d’une « justice engorgée, expéditive et discréditée » par une corruption endémique. La FIDH s’est naturellement appuyée sur le récent procès fleuve de 95 magistrats greffiers et receveurs percepteurs, soit une bonne partie des responsables du système judiciaire du pays, qui ont eu à répondre d’accusations de faux et usage de faux en écritures publiques, de corruption et de détournement de fonds publics portant sur plus de 8 milliards de F CFA (12 millions d’euros). Ces fonctionnaires chargés de faire appliquer la loi avaient mis en place un dispositif ingénieux pour détourner à leur profit des frais de mission prévus pour les enquêtes judiciaires. Au terme du procès achevé le 4 juin dernier, 64 accusés ont été condamnés à des peines de prison allant de six mois avec sursis à cinq ans ferme, tandis que 25 autres prévenus étaient acquittés. La FIDH dénonce également le trop grand nombre de détenus par cellule.
Le gouvernement béninois a réagi par la voix du ministre de la Justice, de la Législation et des Droits de l’homme, Dorothée Sossa : « Le problème de la surpopulation, de la vétusté et du manque de soins en milieu carcéral soulevé par le rapport n’est pas une spécialité béninoise. »
S’agissant de la corruption, le ministre a mis en avant la tenue du procès des magistrats indélicats pour démontrer que l’impunité n’était pas la règle. Il est certain que les accusations portées par la FIDH peuvent s’adresser à de très nombreux autres pays de la région. Mais quand on veut apparaître comme un modèle, mieux vaut avoir une attitude irréprochable. La mise en cause du Bénin par l’organisation de défense des droits de l’homme a donc fait jaser à Cotonou. Sans toutefois prendre le pas sur un autre sujet de conversation aux enjeux infiniment plus capitaux pour l’image et l’avenir du pays : qui sera à la tête du Bénin au lendemain de l’élection présidentielle prévue en mars 2006 ?
Les données du problème sont simples : les articles 42 et 44 de la Constitution béninoise limitent respectivement le nombre de mandats présidentiels successifs à deux et l’âge des candidats à 70 ans au moment de l’élection. Ces dispositions éliminent simultanément de la prochaine course l’actuel chef de l’État Mathieu Kérékou, alias « le Caméléon », et son traditionnel rival, l’ancien président Nicéphore Soglo. Échaudés par les « dynamitages » en série des verrous constitutionnels sur le continent (le Tchad en fournit le dernier exemple en date), les Béninois se demandent si le Caméléon va revêtir la tunique du sage et faire valoir ses droits à la retraite, à l’image de son alter ego mozambicain Joaquim Chissano, ou s’il se laissera convaincre par ses partisans, aussi résolus qu’intéressés, de tenter de prolonger son bail à la tête de l’État. À dix-huit mois d’une échéance considérée comme décisive pour la jeune démocratie béninoise, le principal intéressé ne laisse toujours rien transparaître de ses intentions. Et, pour l’instant, il n’est fait mention d’aucun projet de loi évoquant une éventuelle réforme constitutionnelle dans les tiroirs des groupes parlementaires de la mouvance présidentielle. Ce qui n’empêche pas « les révisionnistes » et les « antirévisionnistes » de croiser le fer.
La phase de l’affrontement par articles interposés dans la presse locale vient d’être dépassée. Une ONG baptisée Élan, qui s’est donné pour objectif « d’éveiller les consciences des populations sur le danger d’une éventuelle révision de la Constitution dans les conditions socio-économiques actuelles », a conçu et placardé dans les villes des affiches au message limpide : « Touche pas ma Constitution. » Des affiches qui ne sont pas longtemps restées intactes. Certaines ont été délicatement travesties en une supplique tout aussi explicite : « Touche ma Constitution. » La réaction officielle est venue du ministre de la Communication et de la Promotion des technologies nouvelles, porte-parole du gouvernement, Gaston Zossou, qui a estimé que lesdites affiches étaient « illégales » dans la mesure où « on n’était pas en campagne électorale ». Une question qui donne du grain à moudre à tous ceux qui sont convaincus de la volonté du gouvernement Kérékou de retoiletter la Loi fondamentale pour lui permettre de briguer un nouveau mandat.
Une petite phrase du Caméléon, adepte de l’art du contre-pied, pourrait bien mettre brusquement fin à toutes ces supputations. Et ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’ex-Dahomey après quarante-quatre ans d’indépendance. En l’absence de Mathieu Kérékou, à la tête du pays de 1972 à 1991, puis de 1996 à 2006, et de Nicéphore Soglo, président entre 1991 et 1996, quels sont les candidats capables d’insuffler une nouvelle dynamique à ce petit pays de 6,6 millions d’habitants aux capacités encore sous-utilisées ? Les vieux routiers et abonnés des scrutins présidentiels précédents comme Adrien Houngbédji, ancien président de l’Assemblée nationale, et Bruno Amoussou, actuel ministre d’État chargé du Plan, de la Prospective et du Développement ? Ou un certain Boni Yayi, actuel président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) qui ne tient plus en place à Lomé, où se trouve le siège de son établissement, et ne perd pas une occasion de venir signer une convention de financement de projets avec sa terre natale ? Quoi qu’il arrive, les prochains mois devraient satisfaire l’indicible appétit des Béninois pour les intrigues politiciennes. Et les incertitudes de la démocratie.

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