Question de gros sous

Un traitement efficace existe pour vaincre la maladie. Mais les bailleurs de fonds refusent de le financer. Motif : il n’est pas rentable.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Le paludisme tue un enfant africain toutes les trente secondes. Mais, contrairement au sida, il existe un traitement rapide et efficace, d’un coût inférieur à 2,80 dollars la dose. Malheureusement, sans l’aide des bailleurs de fonds, les gouvernements africains ne parviendront pas à acheter en quantité suffisante ce nouveau traitement, que le ministre zambien de la Santé qualifie de « thérapie miraculeuse ». Résultat : des milliers d’Africains, essentiellement de jeunes enfants, décéderont cette année encore alors qu’ils auraient pu être sauvés.
Ce traitement, l’ACT (Artemisinin-Combination Therapy), est fondé sur des dérivés d’artémisinine, une plante chinoise vieille de deux mille ans. Il s’agit de la meilleure réponse de la médecine moderne à la croissance rapide des taux de résistance aux antipaludéens classiques, comme la chloroquine. Selon Médecins sans frontières (MSF), la résistance à la chloroquine atteint 80 % dans certaines régions, la rendant, ainsi que les autres monothérapies, « virtuellement inutile » dans beaucoup de pays africains.
Recommandée en 2001 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les régions à forte résistance, l’ACT est utilisée depuis vingt ans en Asie, avec un taux de succès proche de 90 %. Traités avec l’ACT, les patients se rétablissent en trois jours et reprennent le travail au bout d’une semaine.
Les gouvernements africains modifient actuellement leur protocole antimalarique, délaissant la chloroquine au profit de l’ACT. Mais ils ne peuvent y parvenir seuls, faute d’argent. Seulement voilà, les bailleurs de fonds ont tourné le dos au financement de l’ACT, dénonçant son coût « exorbitant ». Dans le même temps, ils continuent à gaspiller des millions pour des thérapies complètement inutiles comme la chloroquine.
Un officiel de l’Agence américaine de développement à Lusaka a parfaitement résumé le point de vue de beaucoup de bailleurs occidentaux : « Je refuse de financer l’ACT en Zambie. C’est intenable. Personne ne met en doute l’efficacité du traitement, mais il est trop cher. Une analyse des coûts doit être conduite. »
Bien sûr, même à moins de 2,80 dollars la dose – c’est le prix actuel -, l’ACT est dix à vingt fois plus chère que la chloroquine. Mais MSF estime que ce coût baissera fortement si les pays développés acceptent d’aider les gouvernements africains à en acheter de grandes quantités, comme ce fut le cas avec les antirétroviraux pour lutter contre le sida.
Si le coût est l’élément clé, alors il convient de considérer le prix d’une absence de traitement efficace contre le paludisme. L’année dernière, en Zambie, une personne sur trois a eu un accès palustre, ce qui a pesé gravement sur la productivité nationale et le budget de la Santé.
Il y a deux ans, la Zambie a décidé d’agir. Confrontée à l’une des plus fortes prévalences de paludisme au monde et enregistrant 50 000 morts chaque année à cause de cette maladie, elle est devenue l’un des premiers pays africains à remplacer la chloroquine par l’ACT en traitement de première ligne. Les autorités ont pris cette décision sans aucune garantie d’aide financière extérieure. « Nous avons fait ce que nous avions à faire, explique Brian Chituwo, ministre de la Santé, et nous n’avons jamais regardé en arrière. »
Malheureusement, la judicieuse initiative zambienne n’a pas été suivie par les bailleurs occidentaux. Selon le cabinet de Chituwo, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose est la seule organisation internationale fournissant des fonds pour l’ACT en Zambie. Le docteur Naawa Sipilanyambe, directeur du Centre national de contrôle du paludisme, pense que la véritable raison pour laquelle les donneurs refusent de financer l’ACT est que « ceux qui meurent du paludisme – les jeunes enfants, les femmes enceintes, les pauvres – ne comptent pas. Ce sont des victimes oubliées ».
MSF a estimé que la fourniture d’ACT pour toute l’Afrique coûterait entre 110 millions et 220 millions de dollars, au prix actuel. Ce n’est pas rien. Mais sur le long terme, un simple calcul arithmétique joue en faveur de l’ACT. Les experts estiment que, chaque année, le paludisme contribue au cycle de la pauvreté en tuant deux millions de personnes et en provoquant une perte de productivité représentant 12 milliards de dollars.
Combinée à des mesures de prévention efficaces, l’ACT peut aider à casser le cycle paludisme-pauvreté qui mine l’Afrique. Financer ce traitement est la solution. Au lieu de gaspiller de l’argent pour des médicaments qui ne fonctionnent pas, investissons dans le seul qui soit efficace, l’ACT.

* Cynthia Scharf est spécialiste des questions humanitaires et a travaillé pour un grand nombre d’agences onusiennes et d’ONG en Afrique, en Russie et dans les Balkans.

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