Polygamie hors la loi

Le Code de la famille consacre le régime monogame comme seule forme légale du mariage.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est une révolution ! Les Béninois sont désormais monogames devant la loi ! Les députés ont adopté le 14 juin dernier – par cinquante-sept voix pour et huit abstentions – la version définitive du Code des personnes et de la famille, qui consacre le régime monogame comme seule forme légale de mariage, alors que le texte initial, voté en 2002, autorisait la polygamie.
Difficile en effet de légaliser le « mariage multiple », au risque d’être en opposition avec la Loi fondamentale qui consacre l’égalité de tous devant la loi « sans distinction d’origine, de sexe, de religion, d’opinion politique… » C’est à la demande de la Cour constitutionnelle que les députés avaient dû « replancher » sur ce Code pour le mettre en conformité avec la Constitution et les dispositions de la Convention contre toutes formes de discriminations à l’égard des femmes adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies et ratifiée par le Bénin en 1992. Il va sans dire que l’adoption de cette version définitive n’a pas été sans soulever des débats houleux à l’Hémicycle et ailleurs. Car l’option de la monogamie comme seule forme légale de mariage est loin de faire l’unanimité. D’un côté, les partisans des « traditions », parmi lesquels des femmes, qui n’ont pas manqué de fustiger leurs adversaires, accusant ces derniers de vouloir imposer au Bénin des pratiques matrimoniales « importées de l’Occident ». De l’autre, nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’associations féminines, mais également tous ceux qui défendent la laïcité et l’égalité des hommes et des femmes devant les institutions.
Un débat qui met en évidence les contradictions propres à beaucoup de sociétés africaines, dont les lois « modernes » sont parfois en opposition avec le droit coutumier et religieux. En la matière, le nouveau Code béninois tente de concilier les uns et les autres. Et ne va pas à l’encontre des pratiques sociales, puisqu’il n’interdit pas les régimes coutumier et religieux qui autorisent la polygamie.
S’il n’est pas interdit, le mariage polygame ne pourra toutefois plus être célébré civilement. En clair, rien n’empêche monsieur d’être marié à plusieurs femmes, mais ses multiples unions ne sont plus imposables à l’État laïc. D’une manière générale, tout mariage célébré sous la coutume, religieuse ou non, ne pourra plus avoir d’effets légaux. Il ne pourra donc pas être protégé ni bénéficier des avantages de la loi. Un point pour le « droit moderne » ! Si monsieur veut prendre plusieurs femmes ou madame convoler avec un mari déjà « pris », aucune loi ne leur interdit de le faire. Mais le jour où ils auront des différends, qu’ils ne comptent pas sur les juridictions modernes pour régler leurs problèmes. À bon entendeur, salut !
Ainsi, seule la femme mariée à l’état civil pourra bénéficier du droit de succession. Les autres « épouses » n’auront rien. Qu’en sera-t-il des « rejetons » nés hors mariage conclu devant le maire ? Tout dépendra si ces derniers ont été « reconnus » ou non. Pour ce faire, il « suffit » que celui qui a eu un enfant hors du foyer légal le notifie par écrit et par exploit d’huissier à sa « moitié ». Si les deux tombent d’accord, l’enfant « naturel » est alors légitimé et peut ainsi porter le nom de son père et devenir son héritier. Mais attention, l’État limite le nombre d’enfants reconnus à six. Et si la femme refuse ? C’est alors le juge qui dira le droit. D’âpres batailles en perspective !
Outre le régime « monogame », le nouveau Code accorde d’autres droits très importants aux femmes. Ainsi, il supprime des pratiques millénaires peu favorables aux femmes, comme le mariage forcé et le lévirat, qui faisait automatiquement de la veuve d’un homme décédé l’épouse de son frère. De plus, il autorise la femme à garder son nom de jeune fille auquel elle accole le nom de son mari, ce qui n’était pas le cas auparavant. Autre innovation, la prérogative – reconnue au mari par l’ancien Code civil – d’interdire à son épouse d’exercer une activité professionnelle, si elle ne lui convient pas, est supprimée. De même, chaque conjoint peut avoir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt ou de titres. Enfin, le terme de « puissance paternelle » est remplacé par celui d’« autorité parentale ». Les deux époux sont donc égaux à la maison, la femme étant appelée à participer, à égalité avec son époux, à l’éducation et aux charges de la famille. Ce partage apparaît d’ailleurs comme une grande innovation du Code pour l’homme, qui n’aura plus à assumer seul certaines charges familiales.
Victoire des « modernes » sur les « anciens » ? Ou compromis entre les deux ? En tout cas, même s’il bouscule les habitudes, le présent Code des personnes et de la famille est d’abord une victoire pour tous ceux qui se sont battus pour son existence. Avant son entrée en vigueur, le Bénin évoluait dans un système dual, où le Code civil – le Code Napoléon version 1804 – cohabitait avec le droit coutumier du Dahomey de 1931. Tous deux en contradiction avec les instruments juridiques modernes garantissant les droits de la femme.
Reste dorénavant à préciser quelles mesures seront prises pour appliquer ce Code, clarifier ses différentes dispositions et lever toutes les équivoques d’interprétation. Le gouvernement a pris l’engagement avec le soutien des ONG de travailler à la « popularisation » du Code. Et de veiller à ce que des mesures soient prises pour mettre beaucoup plus l’accent sur l’éducation des filles. En attendant, parions que les conflits et les incompréhensions ne manqueront pas. À moins que la société ait déjà accepté cette évolution : une enquête réalisée en 1993 dans la sous-région montre que les Béninois sont moins polygames que leurs « frères » des pays voisins. Ce n’est donc pas ce Code qui imposera la monogamie, puisque celle-ci est déjà pratiquée.

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