Obiang Nguema : « Il n’y aura ni peine de mort ni extradition »

Publié le 2 août 2004 Lecture : 6 minutes.

Il est venu tout exprès à Paris depuis Malabo, pour un séjour d’à peine vingt-quatre heures, afin de « briefer » son ami Jacques Chirac sur l’affaire qui l’occupe depuis quatre mois : la tentative avortée de coup d’État des mercenaires et ses suites. Reçu à l’Élysée dans l’après-midi du 21 juillet, Teodoro Obiang Nguema, 62 ans, président de la Guinée équatoriale, éponge à pétrole très convoitée du golfe de Guinée, se serait pourtant bien passé de cet épisode digne d’un roman de Frederick Forsyth. Sans autres perspectives électorales sérieuses que la lointaine échéance présidentielle de 2010, celui qui règne sans partage sur cette ancienne colonie espagnole depuis un quart de siècle entendait se consacrer exclusivement au développement d’un pays qui en a bien besoin. Las : les « chiens de guerre » sur le retour de l’ex-capitaine des SAS britanniques Simon Mann en avaient décidé autrement. Souriant, en bras de chemise et visiblement en forme, Teodoro Obiang Nguema a donc reçu J.A.I. pour parler, avant tout, des mercenaires…

Jeune Afrique/L’intelligent : Cinq mois après les faits, considérez-vous que l’enquête sur les mercenaires accusés d’avoir fomenté un coup d’État contre vous est close ?
Teodoro Obiang Nguema : La connection entre le chef des mercenaires Simon Mann, détenu à Harare, l’homme d’affaires Elie Khalil, qui vit à Londres, et l’opposant Severo Moto, en exil à Madrid, est désormais établie. Contrats, plans : nous avons tout. Restent les complices. Certains éléments semblent indiquer que le fils de l’ancien Premier ministre Margaret Thatcher, Mark Thatcher, ait pu être dans le coup. Tout comme un ancien ministre de Mme Thatcher, dont je préfère pour l’instant taire le nom.
J.A.I. : Plus précisément ?
T.O.N. : Mark Thatcher et cet ancien ministre figureraient parmi les financiers probables du putsch. J’ai engagé deux avocats, un Français et un Britannique, qui procèdent aux investigations nécessaires.
J.A.I. : Comptez-vous réclamer l’extradition des soixante-dix mercenaires arrêtés au Zimbabwe, à l’issue de leur procès ?
T.O.N. : Nous n’avons pas, à Malabo, de prison de haute sécurité susceptible d’accueillir ces soixante-dix hommes. Surtout que nous détenons déjà quatorze de leurs complices, arrêtés sur place par notre police. Nous sommes donc convenus avec le président Robert Mugabe que chacun jugerait en quelque sorte « ses » mercenaires, même si le but de ces
hommes était identique. Ceux de Harare sont jugés à Harare, ceux de Malabo le seront à Malabo.
J.A.I. : Pas d’extradition, donc ?
T.O.N. : Non, non. Je ne la demanderai pas. Ce serait trop complexe à mettre en uvre.
J.A.I. : Selon la presse sud-africaine, vous auriez conclu un accord secret avec Mugabe : 50 millions de dollars de pétrole tous les mois pendant deux ans, en échange de sa
collaboration dans cette affaire.
T.O.N. : C’est faux. Complètement faux.
J.A.I. : Quand aura lieu le procès de Malabo ?
T.O.N. : Il aurait déjà dû se tenir. Mais nous avons voulu que des observateurs et des juristes sud-africains nous aident à mettre en place un procès qui soit inattaquable sur le plan du droit. Cela prend un peu de temps. Les audiences devraient donc débuter au cours de la seconde quinzaine d’août.
J.A.I. : La peine de mort existe en Guinée équatoriale, mais elle a été abolie en Afrique du Sud d’où sont originaires la plupart des mercenaires que vous détenez. Cela ne pose-t-il pas un problème ?
T.O.N. : La peine de mort peut s’appliquer chez nous lorsqu’il y a eu exécution d’un crime, pas lorsque l’accusé en est resté au stade de l’intention ce qui est le cas dans l’affaire qui nous concerne. Logiquement, ces hommes devraient donc, s’ils sont reconnus coupables, être condamnés à des peines de prison ferme.
J.A.I. : Vous avez semblé mettre en cause l’Espagne dans ce projet de coup d’État. Est-ce toujours le cas ?
T.O.N. : Le rôle exact du gouvernement de José María Aznar n’est toujours pas éclairci. Je me demande toujours pourquoi deux navires de guerre espagnols ont pénétré dans nos eaux territoriales la veille du jour prévu pour le putsch. Et cela, sans avertissement ni autorisation, contrairement à tous les usages.
J.A.I. : Depuis, Aznar est parti et José Luis Zapatero l’a remplacé. Vos relations avec
Madrid se sont-elles améliorées ?
T.O.N. : Je n’en suis pas sûr, hélas ! Nous avons demandé au nouveau gouvernement espagnol
de choisir : s’il souhaite conserver de bonnes relations avec le gouvernement légitime de la Guinée équatoriale, il doit rompre tout lien avec le pseudo-gouvernement en exil de Severo Moto et mettre un terme à ses activités. Nous n’avons reçu aucune réponse à ce jour. Les médias espagnols, y compris les médias d’État, poursuivent leur campagne hostile. J’ai donc pris la décision de rappeler notre ambassadeur à Madrid, en attendant des jours meilleurs.
J.A.I. : Pourquoi, au juste, a-t-on voulu vous renverser ?
T.O.N. : C’est simple : par jalousie ! On nous considère comme un pays à la fois riche et faible. Cela excite les convoitises.
J.A.I. : Quel était le plan des mercenaires en ce qui vous concerne ? Vous expédier en exil ?
T.O.N. : M’expulser où ? En France ? Aux États-Unis ? Je suis en Guinée chez moi. Non, je crois qu’ils m’auraient tué ou peut-être emprisonné à Malabo. Moto se serait installé au
pouvoir, avec Khalil dans son sillage et la Guinée équatoriale aurait fait un grand bond en arrière.
J.A.I. : Vous êtes un militaire. Vous auriez résisté, je suppose
T.O.N. : Évidemment. Même si le coup d’État avait connu un début d’exécution, il n’aurait en réalité jamais pu réussir. Nous les attendions. Aucun d’entre eux n’en aurait réchappé
J.A.I. : Cela peut-il recommencer ?
T.O.N. : Oui, tant que les grandes puissances n’auront pas pris les mesures nécessaires
contre ce fléau qu’est le mercenariat moderne. Il existe des dizaines de sociétés privées de ce type, qui génèrent un chiffre d’affaires considérable. Elles obtiennent de juteux contrats de sous-traitance dans le cadre des opérations de maintien de la paix, de lutte contre les narcotrafiquants ou de protection d’installations sensibles comme en Irak. Mais elles peuvent tout aussi bien vendre leurs services pour déstabiliser un État. C’est
très préoccupant.
J.A.I. : Vous venez de vous entretenir avec le président français Jacques Chirac. Que lui avez-vous dit ?
T.O.N. : Je l’ai briefé en détail sur toute cette histoire. Il m’a écouté. Il s’est toujours montré solidaire avec la Guinée équatoriale. C’est un ami sûr.
J.A.I. : Où en êtes-vous du différend frontalier qui vous oppose au Gabon ?
T.O.N. : Ce conflit à propos des îlots de Mbanié, Conga et Cocotiers a été soumis à la
médiation du secrétariat général de l’ONU. Un an plus tard, nous sommes parvenus à un début d’accord concernant les eaux territoriales et le principe de l’exploitation conjointe du pétrole qu’elles recèlent. Mais le vrai problème est ailleurs : qui doit
exercer la souveraineté sur les trois îlots ? D’où le protocole qui vient d’être conclu
entre nos deux pays à Addis-Abeba. Il prévoit la mise en place sur Mbanié d’une force
mixte guinéo-gabonaise en attendant que la médiation onusienne tranche, ce qu’elle devrait faire dans un an.
J.A.I. : Le gouvernement camerounais s’est vivement ému de l’expulsion massive de ses
ressortissants présents en Guinée équatoriale survenue en mars dernier, en marge de l’affaire des mercenaires. La tension est-elle apaisée ?
T.O.N. : Je le souhaite et je le crois. J’ai fourni à mon frère, le président Biya, toutes les explications nécessaires sur le pourquoi et le comment de cette opération. Vous savez, le Cameroun est un grand pays auquel nous devons faire particulièrement attention. Je ne parle pas du gouvernement de Yaoundé, mais des Camerounais en tant que tels : ils sont très nombreux et émigrent partout en Afrique centrale, en Centrafrique, au
Congo, au Gabon, chez nous. Beaucoup sont sans papiers et nous devons donc être vigilants. Cela dit, il y a en Guinée des sociétés camerounaises importantes et respectées
qui exercent tout à fait librement leurs activités, notamment dans la finance. Quoique sur ce point aussi, nous sommes attentifs. Nous avons déjà la CCI Bank à Malabo, il n’est donc pas souhaitable qu’une seconde banque camerounaise celle du groupe Fotso, en l’occurrence s’installe ici, quelle que soit par ailleurs son honorabilité. Un pays, une banque : c’est la règle si nous voulons éviter les risques de fuite des capitaux.
J.A.I. : Vous n’ignorez pas que beaucoup de gens, plus ou moins bien informés, spéculent sur votre état de santé. Cette affaire de mercenaires ne vous a point trop marqué ? Comment allez-vous ?
T.O.N. : Comme vous le voyez. Ai-je l’air malade ? Mon état de santé est excellent. Et tant pis pour ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités.

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