Obiang et les « chiens de guerre »

Arrêtés le 7 mars au Zimbabwe alors qu’ils s’apprêtaient à prendre l’avion pour Malabo, les soixante-dix « chiens de guerre » n’ont pu mener à bien leur coup d’État. Leur procès s’est ouvert à Harare.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 6 minutes.

Ils sont soixante-dix, ex-membres, pour la plupart, du 32e bataillon de sinistre mémoire chargé, sous le régime de l’apartheid, de combattre les mouvements de libération en Afrique australe. Ils sont sud-africains, angolais, namibiens et congolais, mais étaient tous porteurs d’un passeport sud-africain au moment de leur interpellation, le 7 mars 2004, à l’aéroport international d’Harare. Soixante-sept d’entre eux se trouvaient alors à bord d’un Boeing 727-200 spécialement aménagé en provenance de Pietersburg (Afrique du Sud), tandis que trois autres, dont leur chef présumé, Simon Mann, 51 ans, ancien membre des Forces spéciales britanniques (SAS) et cofondateur de la célèbre officine sud-africaine de mercenaires (dissoute en 1999) Executive Outcomes, les avaient précédés sur place.
Les soixante-dix « chiens de guerre » s’apprêtaient à rejoindre quinze des leurs arrêtés au même moment en Guinée équatoriale, émirat pétrolier d’Afrique centrale, en vue de renverser le régime du président Teodoro Obiang Nguema. Ils comparaissent depuis le 27 juillet devant une Cour spéciale zimbabwéenne installée dans la prison de haute sécurité de Chikurubi, pour « violation de la législation sur les armes à feu, sur l’immigration et l’aviation civile ». Ils encourent une peine maximale de cinq ans de prison, mais en aucune manière, comme le confirme le chef de l’État équatoguinéen dans un entretien accordé à François Soudan (voir page 60), une extradition vers la Guinée équatoriale.
Lors de la douzaine d’audiences intermédiaires, et à l’ouverture du procès proprement dit, ils ont contesté les faits, n’acceptant, pour ce qui concerne les soixante-sept appréhendés à bord de l’avion, de plaider coupable que pour les seules infractions aux lois sur l’immigration et l’aviation. À les en croire, ils partaient en République démocratique du Congo pour y assurer la sécurité d’une mine de diamants et avaient fait escale à Harare pour faire le plein de kérosène et embarquer des armes, dont des grenades et des lance-roquettes, destinées à faire face aux fréquentes attaques de rebelles contre les installations minières. De fait, l’histoire de ces « affreux » est moins simple et, selon les premières indiscrétions, plus rocambolesque. Elle commence fin 2003, avec une rencontre secrète entre Simon Mann et l’opposant équatoguinéen (en exil en Espagne) Severo Moto. Ce dernier sollicite le concours de l’ancien officier des SAS dans le but de renverser le président Obiang Nguema. D’après le procureur zimbabwéen, Lawrence Phiri, les deux hommes auraient, à la fin de leur entretien, passé un contrat au terme duquel Mann devait percevoir 15 millions de dollars, dont 3 millions à reverser à ses hommes de main. Le marché conclu, reste à trouver des gros bras pour le sale boulot. Mann prend alors contact avec une vieille connaissance, Servaas Nicolaas « Nick » Du Toit, ex-membre des Forces spéciales sud-africaines. Après d’âpres négociations (voir J.A.I. n° 2268), les deux compères trouvent un arrangement le 18 janvier 2004 dans le secret d’une suite du Sandton Sun, un palace du quartier des affaires de Johannesburg.
Contre promesse de paiement de 1 million de dollars, Du Toit s’engage à recruter des mercenaires. Pour cela, il puisera dans le vivier des anciens du 32e bataillon (dissous en 1993) en semi-retraite depuis la fin de l’apartheid et de la guerre civile angolaise, mais restés soudés, notamment par le truchement de la South African Special Forces League, dont le siège se trouve à Valhalla, près de Pretoria. Il accepte par ailleurs d’aider Mann à trouver des armes et des munitions, d’accueillir les mercenaires lorsqu’ils arriveront à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, où lui-même est installé depuis plusieurs mois. Et s’engage à leur trouver des « guides » afin qu’ils puissent neutraliser, sans coup férir, les différents points stratégiques de la ville. À savoir deux camps militaires situés sur la route de Luba, à une soixantaine de kilomètres de Malabo, les deux entrées du palais présidentiel, la tour de contrôle de l’aéroport, etc.
Le scénario arrêté d’un commun accord est le suivant : les mercenaires seraient regroupés le 5 mars à l’aéroport de Wonderbroom, dans la banlieue de Pretoria. Là, ils embarqueraient à bord du Boeing acheté aux États-Unis par Mann, qui transiterait, pour des formalités de douane, à l’aéroport international de Pietersburg, avant de rejoindre Harare, ultime escale avant Malabo où la joyeuse équipe est attendue dans la nuit du 7 au 8 mars. Mais, patatras ! à la dernière minute, ils sont repérés et interpellés sur le tarmac de l’aéroport d’Harare, et leur avion saisi. Tôt, le 8 mars, Du Toit et sa bande sont, eux-aussi, appréhendés par la police équatoguinéeenne et jetés en prison. Et ce qui devait être l’une des plus grandes opérations de mercenariat de ces dernières années tourne à la pantalonnade.
Si l’on en croit les aveux écrits de Mann et de Du Toit, cette affaire dépasse les frontières de la Guinée équatoriale, troisième producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne. Si son principal bénéficiaire, Severo Moto, opposant irréductible du président Obiang, en exil depuis plusieurs années à Madrid où il bénéficie de solides appuis, notamment au sein du Parti populaire de l’ex-Premier ministre espagnol José María Aznar, est connu, les commanditaires, eux, n’ont pas encore tous été identifiés. Les premiers éléments de l’enquête dévoilent quelques noms, livrés aux juges par les mercenaires. À commencer par celui du courtier libano-britannique Elie Khalil, vieil habitué de certains palais présidentiels africains, proche, de longue date, de Moto, dont Malabo a demandé l’extradition – en vain – à l’Espagne. Au point que les deux pays sont aujourd’hui au bord de la rupture.
Dans cette affaire trouble à forts relents de pétrole, on a trouvé trace de plusieurs membres de l’establishment britannique, dissimulés derrière des sociétés écran enregistrées dans les BVI (British Virgin Islands) et ayant pignon sur rue dans les îles anglo-normandes. Dans une lettre adressée à son épouse le 21 mars 2004 et qu’il a réussi à faire sortir illégalement de sa cellule, Mann sollicite ainsi l’aide de ses amis, parmi lesquels les mystérieux « Scratcher » et « Smelly ». Le premier nommé, « Scratcher » – le Gratteur -, n’est autre que sir Mark Thatcher, le très controversé fils de l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher. À la tête d’une fortune colossale, acquise notamment grâce à un réseau d’entreprises implantées en Amérique et au Proche-Orient, ce passionné de courses automobiles est le voisin de Mann à Hout Bay, une banlieue huppée du Cap, en Afrique du Sud, il réside une partie de l’année.
Le surnom « Smelly » fait certainement référence à Elie Khalil. Dans la même correspondance à son épouse, Mann écrit : « Notre situation n’est pas bonne, et nous sommes dans l’urgence. Les avocats n’ont obtenu aucune réponse de Smelly et Scratcher. Ce dernier leur a seulement demandé de rappeler après la fin du Grand Prix [course automobile, NDLR]. Ce n’est pas acceptable ! […] Je le répète encore. Tout ce qui peut me sortir du pétrin, c’est un piston haut placé. Il me faut quelqu’un comme Smelly, Scratcher ou David Hart [ancien conseiller de Margaret Thatcher au 10, Downing Street, reconverti dans la vente de matériel militaire, NDLR]. Il faut s’en servir vite et de manière efficace. Une fois le procès commencé, nous sommes b… »
Sans attendre la fin du procès en cours à Harare (et dont les débats, après suspension, devraient reprendre le 18 août) et sans doute pour préparer celui des quinze « affreux » détenus à Malabo, le gouvernement équatoguinéen a lancé, le 26 juillet, un mandat d’arrêt international contre Severo Moto, Elie Khalil, David Hart et un autre commanditaire présumé du coup, un certain Greg Wales. Accusés de « délits contre le chef de l’État, trahison, détention illicite d’armes et de munitions, terrorisme et détention d’explosifs », les quatre hommes ont – théoriquement – dix jours pour se constituer prisonniers devant un tribunal de Malabo pour y être jugés. Nulle procédure, en revanche, contre le « Scratcher » qui n’est pas, il est vrai, fils de Premier ministre pour rien…

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