Moubarak le pharaon

Après vingt-trois ans d’un règne absolu, la population semble vouloir se débarrasser de son raïs malade. Ambiance de fin de régime ?

Publié le 2 août 2004 Lecture : 5 minutes.

Hosni Moubarak est rentré au Caire après avoir passé deux semaines en Allemagne pour se soigner. C’était au début de juillet et jamais le président égyptien n’avait quitté son pays aussi longtemps, depuis le début de son « règne », il y a vingt-trois ans. Pour la première fois, les Égyptiens ont appris qu’il était malade. Ils ont alors réalisé que la santé de celui qui les dirige pouvait faillir. Jusqu’alors, Moubarak, 76 ans, n’avait cessé de donner de lui-même l’image d’un homme fort, jeune et en pleine santé. Ses cheveux teints n’étaient qu’un moyen parmi d’autres pour mettre en avant sa résistance au temps qui passe. Il a d’ailleurs été imité par certains de ses proches collaborateurs, pour la plupart septuagénaires.
Mais, en novembre dernier, quand le chef de l’État s’est évanoui brusquement devant le Parlement – sous les yeux des téléspectateurs -, il est devenu impossible de masquer sa condition physique défaillante. « L’évanouissement de novembre » a déclenché les rumeurs les plus folles, et les Égyptiens se sont mis à réclamer la nomination d’un vice-président. Mais Moubarak s’est muré dans le silence. Ce qui n’a fait qu’alimenter les craintes d’une éventuelle succession par son fils Gamal, 41 ans. Le 1er janvier, Moubarak a voulu mettre fin aux rumeurs et a déclaré, lors d’une conférence de presse : « Nous ne sommes pas une monarchie. Nous sommes la République d’Égypte, alors cessez de nous comparer à d’autres pays de la région. Nous ne sommes pas la Syrie, et Gamal Moubarak ne sera pas le prochain président égyptien. »
La majorité des Égyptiens – de plus en plus sceptiques quant aux intentions de leur président – n’a pas voulu le croire. Pis, certains ont interprété la déclaration comme une intention d’Hosni Moubarak de se lancer dans la course à la présidence. Pour la cinquième fois. Déjà détenteur du record de longévité présidentielle de la République égyptienne, un cinquième mandat lui permettrait de dépasser le total de ses trois prédécesseurs réunis : Néguib (1952-1955), Nasser (1956-1970) et Sadate (1970-1981).

L’usure du pouvoir. Pourtant, lorsque Moubarak est arrivé au pouvoir après l’assassinat d’Anouar el-Sadate, le 6 octobre 1981, les Égyptiens étaient soulagés. Au départ, ils se sont félicités qu’il réussisse, avec succès, à stabiliser le pays et à le débarrasser des islamistes. Mais, pour y parvenir, il a proclamé l’état d’urgence et a eu recours à des mesures de rétorsion sévères. Le nombre des détenus et des prisonniers politiques est passé de 1 850 en 1981 à 18 000 en 2003, selon un rapport de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme. Le nombre de prisons, lui, a été multiplié par quatre, et la torture y est devenue une pratique ordinaire. Amnesty International et Human Rights Watch estiment que l’Égypte est devenue l’un des pires pays au monde en matière de violations des droits de l’homme. Pas de quoi s’étonner alors de la sortie audacieuse d’Atef Ebeid, l’ancien Premier ministre, qui a suggéré aux États-Unis, au lendemain du 11 septembre 2001, « de prendre exemple sur l’Égypte et de cesser de sermonner d’autres gouvernements sur les droits de l’homme ».
Les Égyptiens, eux, sont non seulement las de l’état d’urgence mais également du régime Moubarak en général. Ils réalisent que le prix à payer pour un retour à la stabilité s’est transformé en une privation des libertés pour tout le monde. Les subterfuges qu’utilise Moubarak pour cacher sa santé ou son apparence physique sont symptomatiques de presque tous les aspects de sa performance tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Il a plongé le pays dans le marasme économique et a pris l’excuse des attentats du 11 septembre 2001, puis de la guerre en Irak, pour expliquer le déclin égyptien.
Le propagandiste numéro un du régime, Safwat Sherif, vante les mérites du pays, qu’il décrit comme un leader dans la région en matière de liberté de la presse. Il n’empêche : presque tous les habitants regardent al-Jazira ou la BBC pour s’informer sur leur propre pays. D’ailleurs, c’est sur la chaîne qatarie qu’ils ont appris la maladie de leur président, plusieurs heures avant que les médias contrôlés par l’État n’annoncent la nouvelle. La fureur des Égyptiens a coûté à Safwat Sherif sa place de chef de la communication, après vingt-deux ans de bons et loyaux services.
En mai, le gouvernement a déclenché à nouveau la colère du peuple égyptien. Le ministre de la Jeunesse et des Sports a déclaré que le pays s’était assuré suffisamment de votes auprès de la Fifa pour remporter l’organisation de la Coupe du monde 2010. Le résultat de l’élection est connu ; l’Égypte n’a recueilli aucune voix. Pour beaucoup d’Égyptiens, cette défaite a été ressentie comme une humiliation aussi grave que celle de 1967 contre Israël. Du coup, la débâcle de la Coupe du monde est devenu un cri de ralliement pour l’opposition, qui ne demande plus seulement la démission de tel ou tel ministre, mais une révolution totale du régime.
Depuis janvier, au moins cinq conférences populaires se sont tenues entre les partis d’opposition et la société civile pour demander une réforme politique et constitutionnelle, en Égypte et dans le monde arabe. Des réunions qui ont coïncidé avec l’initiative du « Grand Moyen-orient », proposée par Bush et adoptée en juin par le G8 réuni en sommet à Sea Island. Les Égyptiens, qui réclament des changements, se sont distanciés rapidement de l’initiative américaine de « démocratisation » du Moyen-Orient, en raison du sentiment antiaméricain très poussé au sein de la population. Mais le gouvernement a sauté sur l’occasion pour accuser les opposants de servir les intérêts américains. Moubarak lui-même a rejeté l’idée d’une réforme « étrangère et antithétique avec les spécificités culturelles de la région. »
La pression interne ne s’est pas pour autant relâchée. Aujourd’hui, le peuple veut se débarrasser de son pharaon malade – et de tous les pharaons. Il veut élire un homme, pas un être supérieur, à la tête du pays. Pour un temps limité.

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* Saad Eddin Ibrahim est professeur de sociologie à l’Université américaine du Caire et président du Centre Ibn-Khaldoun d’études sur le développement.

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