Manioc amer

Six mois après la sortie de « Je suis noir et je n’aime pas le manioc » [J.A.I. n° 2254], Gaston Kelman enchaîne les débats. Et les passes d’armes.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 4 minutes.

Gaston Kelman semble serein. Mais derrière cette image se cache un redoutable polémiste. Ainsi jure-t-il, la main sur le coeur, que Négrologie. Pourquoi l’Afrique meurt (Calmann-Lévy, 2003) de Stephen Smith est le meilleur essai jamais écrit sur l’Afrique. Alors, provocateur ou sincère, cet urbaniste de 50 ans qui vit en France depuis 1983 ?
Ancien directeur de l’Observatoire urbain d’Évry et de la Maison des services publics de Courcouronnes (dans le sud de Paris), il est au chômage en 2001. Préoccupé par les problèmes d’intégration, il milite pour les droits des immigrés et se charge de l’insertion professionnelle des réfugiés au sein de France Terre d’Asile. Les difficultés qui frappent les minorités, il connaît. À ses moments perdus, il aligne des notes. Jusqu’au jour où l’ancien maire socialiste de Courcouronnes, Bernard Bragard, le présente à l’éditeur Jean-Charles Gérard. « Nous avons discuté, raconte ce dernier. Aux éditions Max Milo, nous venions juste d’achever Les Impostures de l’égalité de Paul-François Paoli, Putes d’appellation contrôlée de Gaby Partenza et Ici l’ombre…, Général de Gauche de Bernard Bragard. En écoutant parler Gaston, je me suis dit qu’il pourrait écrire le livre que je recherchais sur les Noirs de France, dans la ligne pamphlétaire qui est la nôtre. Moins de six mois après, il m’a présenté un texte qui correspondait à nos attentes. » Plus de 60 000 exemplaires ont été écoulés depuis février. Et Gaston Kelman s’est vu sollicité par tous les médias.
Cette entrée en force dans le paysage médiatique français n’a pas plu à tout le monde. « Ce torchon que beaucoup ont offert en cadeau à l’occasion de la Fête des mères est une oeuvre bourrée de clichés », s’offusque la romancière franco-camerounaise Calixthe Beyala, avant de poursuivre : « Voilà un frère qui fait le lit du Front national. Après les discours tyranniques sur les Arabes, comme si on avait besoin d’un Nègre pour régler leur compte aux autres indésirables ! » « Le laxisme de l’Afrique vient de ses propres fils, admet le sociologue Babacar Sall. Et par peur de s’adapter, les Africains vivent dans le repli. Mais le problème avec des livres comme celui de Kelman ou de sa compatriote Axelle Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement ? (L’Harmattan, 1991), c’est qu’ils ne maîtrisent pas les outils d’analyse nécessaires. Il est facile de détruire ou de dénoncer. Mais que proposer à la place ? Aucun de ces essais n’aide à la réflexion. »
Kelman persiste : « Le rêve de tout Africain, c’est de quitter l’Afrique. De Douala à Dakar, de Kinshasa à Rabat, on lorgne du côté de Paris. Le Noir africain n’a qu’une revendication : être français. » Le propos heurte : « Moi, je suis noir et fier de rester camerounais, lui lance Amové Mévégué, journaliste à RFI et directeur de la revue Afrobiz. Je ne supporte pas un Noir casseur de sucre ! Je suis désolé, mais vous faites partie de cette médiocrité qui n’a pour rôle que de détruire les efforts des bonnes volontés. » Marie, militante associative, renchérit : « Le comble, c’est que Kelman n’hésite pas à dire « des leaders comme moi ». Genre Malcolm X, Martin L. King ou encore Franz Fanon ! Sauf qu’il oublie que ces derniers n’ont jamais vendu leur âme pour une tranche horaire à la télé. Kelman, vous foutez la honte au peuple noir ! »
Et voilà l’essayiste contraint d’expliquer pour la énième fois que son livre est un appel à une meilleure intégration : « Les Noirs francophones sont attentistes, dépourvus d’esprit d’entreprise. Aux États-Unis, ils se battent. En France, c’est la main tendue à tout bout de champ. Moi, je ne vais pas laisser une couleur de peau que je n’ai pas choisie me bousiller la vie. » L’écrivain togolais Kangni Alem reste sceptique : « Les déclarations publiques de Kelman n’ont rien à voir avec le contenu de son pamphlet. Étrange cas de dissociation psychologique et intellectuelle. »
Mais Gaston n’en démord pas : « Je refuse d’être stigmatisé. Les Noirs français restent des subalternes et leurs enfants semblent plus enclins à la délinquance qu’à la réussite. S’ils ne se conforment pas aux lois, nul ne les acceptera. La France doit sortir de sa prétendue multiculturalité qui n’est qu’une fuite en avant. » Et il n’a pas que des détracteurs : « Noirs comme Blancs, tout le monde en prend pour son grade, affirme son attachée de presse. Gaston souhaite que les Noirs sortent de leur bulle de victimes. Et que les Blancs ouvrent leurs yeux. » Fatou Biramah, Togolaise, coauteur des Confessions d’un salaud (Denoël, 2004), partage cet avis : « Je ne comprends pas pourquoi tant de haine contre Gaston. Notre communauté a des maux que personne n’ose signaler. J’ai aussi squatté des abribus, des gares de métros et fait des bêtises avant de trouver mon chemin. Merde, qu’on le laisse parler ! »
Que le livre plaise ou non, son mérite est d’avoir ouvert le débat au sein d’une communauté noire trop souvent passive et silencieuse.

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