Libres, mais pas assez responsables ?

La presse affiche une étonnante vitalité. Il reste cependant à renforcer son assise financière et à améliorer l’encadrement de la profession.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Du matin à la tombée de la nuit, l’affluence ne faiblit jamais devant les portes de la station, plantée au coeur du marché international de Dantokpa, sur les rives de la lagune de Cotonou. Cet échantillon de la société béninoise ne peut plus se passer de son porte-voix : Radio Tokpa, émettant sur la fréquence 104.3 sur la bande FM. On vient confier ses problèmes aux fidèles auditeurs de cette radio à la fois urbaine et communautaire. La parole est ici donnée au quidam qui vient de se faire subtiliser son porte-monnaie dans les allées du marché, à la fillette fugueuse, exploitée et maltraitée par sa marâtre, à la femme révulsée par la dernière infidélité de son époux, à l’étudiant écoeuré par le rigorisme des parents de sa « copine »…
Au Bénin, la parole a été « libérée » à la fin des années 1980, en même temps que s’instauraient le multipartisme et l’économie de marché. Fini le monopole de l’État sur les médias, fini la monochromie de l’information, la litanie des communiqués officiels et la geste du parti unique déclamée dans les différentes langues locales aux quatre coins du pays. Depuis cette révolution démocratique, le paysage médiatique compte une soixantaine de radios et quatre télévisions privées, une chaîne publique et pléthore de journaux. « Le Bénin est l’un des pays les plus respectueux de la liberté de la presse sur le continent. Les journalistes locaux, entourés d’États répressifs peu amicaux envers leurs confrères, sont conscients de leur chance », peut-on lire dans le rapport 2004 de Reporters sans frontières. Un compliment, peu courant, de la part d’une organisation qui est plutôt connue pour sortir ses « griffes » contre les régimes qui s’en prennent aux journalistes et aux médias privés.
Le revers de la médaille de cette liberté mal maîtrisée : des dérives et des manquements à l’éthique journalistique. Certains journaux publient ainsi régulièrement des articles sans avoir vérifié la moindre information et tiennent trop fréquemment des propos injurieux. L’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (Odem), une instance d’autorégulation, et la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) tentent bien d’alerter les professionnels sur ces questions. Mais leurs actions – formation et responsabilisation des journalistes, rappels à l’ordre, attribution de prix – ne sont pas suffisantes, comme en témoignent les multiples saisines des tribunaux de première instance pour diffamation. « La liberté de la presse reconnue par la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 n’est pas sans limites. Elle doit nécessairement se concilier avec la responsabilité. À l’issue du procès, le journaliste peut être déclaré innocent ; il peut être également condamné. Or, aujourd’hui, les peines de prison ou pécuniaire sont rarement exécutées », explique Jérôme Badou, journaliste et directeur de l’agence de presse Proximités. De fait, seuls deux hommes de plume ont été incarcérés depuis le début du processus démocratique, le dernier étant Jean-Baptiste Hounkonnou, pour diffamation. Il a été libéré le 28 avril dernier après quarante et un jours d’emprisonnement.
Les députés béninois examinaient à la mi-juillet un avant-projet de loi qui vise à corriger les faiblesses de la législation actuelle. Devraient être révisés les conditions de création d’une agence de presse, l’accès aux sources d’information et les procédures disciplinaires.
Le lectorat et le marché publicitaire sont trop étroits pour le nombre de titres : une vingtaine de quotidiens paraissent à Cotonou, Porto-Novo et Parakou, leur nombre fluctuant au gré des disparitions et des nouvelles créations. Le site Internet (http://www.mediabenin.org/) consacré à l’actualité de la presse béninoise fait l’inventaire sous la rubrique « la morgue des canards » des journaux en grande difficulté économique et de ceux qui ont disparu. La liste est longue…
Les lecteurs et les annonceurs sont trop peu nombreux pour assurer une véritable pérennité économique à l’ensemble du secteur. Vendus 200 F CFA (0,3 euro), les quotidiens ont du mal à conquérir les lecteurs au-delà du cercle restreint des intellectuels des grandes villes. Par conséquent, seuls trois ou quatre titres installés depuis plusieurs années semblent à l’abri d’un éventuel dépôt de bilan. Cela a également une incidence sur les salaires des journalistes, qui s’échelonnent de 40 000 à 150 000 F CFA (de 60 à 228 euros), la plupart étant plus proche du plancher que du plafond. Le 20 juillet dernier, dans son discours d’installation de la troisième mandature de la HAAC, le président Mathieu Kérékou a brocardé les journalistes qualifiés de « jeunes mercenaires de la plume » et dénoncé leur « asservissement au pouvoir de l’argent ». Les hommes de presse ne manqueront pas de relever qu’ils ne sont pas les seuls à se soucier avant tout de leur ventre.

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