NTIC : Khalid al-Mufti, l’homme qui veut révolutionner Benghazi
Fondateur de Tatweer Research, Khalid al-Mufti caresse le rêve un peu fou de faire de la capitale de Cyrénaïque un centre mondial des TIC. Au coeur de son projet : un technoparc de 160 hectares à Benghazi, berceau de la révolution libyenne.
Départ Benghazi, destination Cambridge. Début janvier, un groupe de 23 jeunes Libyens diplômés en sciences et en ingénierie s’est envolé vers le Royaume-Uni pour suivre une année d’étude dans la prestigieuse université. Onze filles et douze garçons sélectionnés selon des critères exigeants. Plus vraiment des étudiants, ces « têtes chercheuses » vont s’imprégner de techniques et de savoirs qu’ils mettront ensuite en œuvre en Libye. Tous sont employés par une jeune société qui a pour ambition de devenir un grand centre de recherche scientifique et d’innovation technologique : Tatweer Research.
Derrière cet ambitieux projet, un ingénieur de 34 ans, Khalid al-Mufti. Guère effrayé par ce défi dans une ville en proie à des assassinats quasi quotidiens, il entend au contraire démontrer que les technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent « changer le monde », comme aiment à le répéter les entrepreneurs américains de la Silicon Valley. « Je ne vis pas dans le Benghazi des médias. Nous sommes conscients des violences, et cela va prendre du temps pour y mettre un terme. Mais face à la destruction nous voulons bâtir une société du savoir, innovante et créative », affirme-t-il. Avec Tatweer Research, Khalid al-Mufti souhaite transformer la capitale de Cyrénaïque en cité ultra-connectée.
Transition
« Sur les décombres, nous souhaitons bâtir une société du savoir , innovante et créative. »
Officiellement créé en 2010 avec un budget de 150 millions d’euros, Tatweer Research a cessé toute activité pendant la révolution de 2011. Quand Benghazi se soulève, en février, Khalid al-Mufti, qui a fondé un cabinet de conseil après ses études à l’Imperial College de Londres, se trouve à Tripoli dans le cadre d’une mission pour BT (ex-British Telecom). Kaddafi ayant totalement coupé les télécommunications, il rejoint Benghazi, sa ville natale, et contribue à rétablir internet et le téléphone pour les révolutionnaires grâce à des technologies satellitaires et à des pièces récupérées par les rebelles sur les infrastructures d’État. Une fois le « Guide » tombé, le jeune homme devient membre du Conseil national de transition (CNT) et conseiller d’Anwar al-Fitouri, le ministre des Télécoms.
« Internet nous a permis de ne pas perdre la guerre et de mener à bien la révolution », expliquait-il de sa voix calme à Paris, en octobre 2011, au sortir d’un séminaire avec les conseillers internet d’une vingtaine d’États. À cette occasion, Khalid al-Mufti impressionne ses pairs : Alec Ross, conseiller innovation de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, Nicolas Princen, conseiller chargé de l’économie numérique à l’Élysée, mais aussi Paul Kukubo, directeur de l’Office kényan des TIC (ICT Board), lui aussi convié à Paris pour réfléchir sur le pouvoir des nouvelles technologies à des fins politiques et pour présenter son projet de Silicon Savannah, près de Nairobi…
Fort des relations qu’il noue avec ce petit monde, Khalid al-Mufti tente de développer au sein du CNT la « e-Libya Initiative », avec l’accord des principaux partis politiques libyens et le soutien de pays occidentaux et de géants du web comme Google (dont le patron, Eric Schmidt, s’est rendu en Libye). Objectif : mettre en place une gouvernance transparente et un service public renouvelé grâce aux TIC. Mais, rapidement, il se heurte à la politique politicienne et décide de se consacrer entièrement à son entreprise. Pour « faire entrer la Libye dans le XXIe siècle numérique », dit-il.
« En Libye, il n’y a ni données statistiques, ni études, ni think tanks. Tatweer Research entend combler ce vide. »
Tatweer Research, qui a vraiment démarré en 2013, entend piloter, avec l’appui de l’État, le développement d’un parc technologique de 160 hectares dans la zone franche de Meresa, à une vingtaine de kilomètres de Benghazi. À la clé, la création de 15 000 emplois d’ici à cinq ans. Khalid al-Mufti est convaincu que ce projet va permettre de diversifier une économie libyenne qui repose quasi exclusivement sur les revenus des hydrocarbures, tout en soutenant l’émergence d’un secteur privé encore très peu développé.
Avec ce technoparc, Tatweer Research compte attirer 1,5 milliard d’euros d’investissements libyens et étrangers. Sans compter les centaines de millions mis à disposition par l’État via le Libyan Investment Development Fund. Ce fonds public gère 15 milliards d’euros confiés par la Libyan Investment Authority et la Banque centrale. « Le gouvernement nous soutient car il a compris que notre projet peut révolutionner l’économie nationale », confie l’entrepreneur.
Incubateur
Itinéraire d’un homme pressé :
1980
Naissance à Benghazi
2001
Diplômé en ingénieurie électronique à l’Imperial College de Londres
2002
Création d’une société de conseil à Londres
2010
Création de Tatwear Research à Benghazi
2011
Révolutionnaire à Benghazi
2013
Redémarrage de Tatweer Research
Avec ses 50 employés, Khalid al-Mufti a étudié la plupart des écosystèmes numériques. De l’incontournable Silicon Valley à l’ambitieuse Internet City, à Dubaï, en passant par Londres, Berlin et Nairobi, une vingtaine de cas ont été passés au crible par Tatweer Research. « Nous allons développer un espace unique consacré à la recherche scientifique et technologique dans les domaines du web, de l’environnement, de la climatologie et des technologies médicales », s’enthousiasme le jeune patron.
Les projets sont sélectionnés en fonction des besoins des Libyens. En ce début d’année 2014, Tatweer Research s’apprête ainsi à construire une station d’énergie solaire et un centre de dessalement de l’eau de mer. Par ailleurs, dans son immeuble du centre-ville de Benghazi, un lieu de travail collaboratif, Tatweer Tech Incubator est en cours de création. Un concours s’y tiendra dans les prochains mois : les jeunes innovateurs pourront présenter leurs applications numériques dans l’espoir d’intégrer l’équipe de Khalid al-Mufti.
« En Libye, il n’y a ni données statistiques, ni études, ni think tanks. Tatweer Research entend combler ce vide et même aller plus loin. Si nous collaborons avec les universités de Benghazi et de Cambridge, nous souhaitons dépasser la simple démarche universitaire », explique Ahmed Sawalem, ex-financier à Londres devenu conseiller du vice-Premier ministre, avant de se consacrer, à l’âge de 28 ans, à Tatweer. Comme son patron, il est persuadé que l’ère du terrorisme en cours à Benghazi finira par laisser la place à une société du savoir. Et que cette ville deviendra, un jour, un haut lieu de l’innovation.
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