Les journalistes peuvent-ils tout écrire ?

Question posée par Mangaty Ndiaye, Dakar, Sénégal

Publié le 3 août 2004 Lecture : 3 minutes.

La liberté d’expression et d’opinion est un des grands principes du droit international. Celle de la presse en découle. Comme toute liberté, elle comporte des droits et des devoirs, très variables selon les pays et leur « niveau de démocratie ». Reste qu’un certain nombre de règles déontologiques et de délits peuvent être recensés, dont voici quelques exemples.
L’ infraction la plus courante est la diffamation, généralement définie comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps. En République centrafricaine, Maka Gbossokotto, directeur de la publication du quotidien Le Citoyen, était poursuivi, le 16 juillet, pour « diffamation » et « injures publiques » à l’encontre de l’ancien DG de la société d’énergie centrafricaine, accusé de détournements de fonds dans les colonnes du journal. Au Sénégal, Madiambal Diagne, directeur de publication du Quotidien, et son rédacteur en chef Mamadou Biaye ont également été condamnés, le 15 juillet, pour diffamation à l’égard de Boubacar Camara, ancien directeur des douanes sénégalaises.
En instaurant ces délits, les législateurs entendent protéger le respect de la réputation d’autrui et le respect de la présomption d’innocence. L’ expression sous forme dubitative ainsi que la reproduction de propos diffamants sont donc tout aussi punissables. Un journaliste est en effet tenu à un devoir d’objectivité, de vérification, de prudence et
de réserve dans l’expression. Il doit se garder de publier une information dont il n’est pas sûr et s’engage à rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.
Pour se défendre, le journaliste pourra tenter de prouver sa « bonne foi » en insistant, entre autres, sur la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle ainsi que la qualité de l’enquête menée. En France, la notion de bonne foi a souvent permis d’exonérer les journalistes de responsabilité pénale. La loi du 15 juin 2000 a supprimé les peines de prison pour les délits de presse, à l’exception notoire de la diffamation
raciale. Cependant, cette notion n’est pas reconnue partout et, dans la plupart des pays africains, les journalistes sont régulièrement mis sous les verrous.
L’outrage à chef de l’État, la diffusion de nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à l’intégrité territoriale ainsi que le non-respect de la vie privée sont également régulièrement opposés aux journalistes. Selon les pays, leur interprétation est plus ou moins large… À noter également qu’en France le délit d’outrage à chef de l’État a été aboli en mars 2004.
Enfin, le recel de violation du secret professionnel ou de documents administratifs confidentiels est souvent au cur des affaires de droit de la presse. En novembre 2003, Mamane Abou, directeur de l’hebdomadaire nigérien Le Républicain, a été condamné pour la publication de documents confidentiels du Trésor public faisant état de malversations. Idem pour Madiambal Diagne, poursuivi, entre autres, pour avoir publié une correspondance confidentielle du ministre des Finances adressée au chef de l’État.
Sur ces sujets, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une position novatrice, qui, si elle ne concerne que les pays européens, pourrait avoir un impact sur le droit de la presse en général. « L’ affaire Calvet » en France est à ce titre célèbre. En septembre 1989, Peugeot SA est aux prises avec un grave conflit social, relatif à des
hausses de salaires réclamées par le personnel et refusées par la direction, coiffée par Jacques Calvet. À la même période, l’hebdomadaire satirique français Le Canard enchaîné
publie un article qui révèle que le salaire de Calvet a augmenté de 45 % en deux ans. À l’appui, des facsimilés des avis d’imposition. Les directeurs de publication du Canard sont condamnés pour « recel » de documents confidentiels. Ils déposent alors une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dix ans après les faits, tranche en leur faveur. Selon la Cour, l’information diffusée soulevait une question « d’intérêt général » : le conflit social était largement médiatisé et survenait au sein de l’une des
plus grandes entreprises françaises. La Cour a estimé qu’il convenait de laisser aux journalistes le soin de décider s’il est nécessaire de reproduire le support de leurs informations pour en asseoir la crédibilité. Le droit à la légitime information du public remportait une belle victoire.

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