Le patient ivoirien

Riche en tractations et en conciliabules, le conclave qui s’est tenu dans la capitale ghanéenne n’est pas allé aussi loin que d’aucuns l’espéraient.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 6 minutes.

Coprésidé par Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, et John Kufuor, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le « minisommet d’Accra sur la Côte d’Ivoire » a réuni, les 29 et 30 juillet, au deuxième étage du Homowo Conference Center, un imposant bâtiment qui surplombe la façade atlantique de la capitale ghanéenne, une douzaine de chefs d’État du continent. Parmi eux : Thabo Mbeki (Afrique du Sud), Omar Bongo Ondimba (Gabon), Gnassingbé Eyadéma (Togo), Blaise Compaoré (Burkina), Mathieu Kérékou (Bénin), Amadou Toumani Touré (Mali), Denis Sassou Nguesso (Congo)…
Ont également pris part au conclave, au titre d’organisations internationales impliquées dans le règlement de la crise, Olusegun Obasanjo, président en exercice de l’Union africaine (UA), Alpha Oumar Konaré, président de la commission de l’UA, Mohamed Ibn Chambas, secrétaire exécutif de la Cedeao, Lansana Kouyaté, représentant du secrétaire général de la Francophonie pour la Côte d’Ivoire ou encore le général Abdoulaye Fall, commandant des forces de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).
La qualité des personnalités présentes (les voisins, comme celles venues en renfort) autant que leurs états de service indiquent la nouvelle dimension de la crise ivoirienne : le dossier dépasse la sous-région, pour impliquer l’ensemble du continent. Riche en tractations, en apartés et en conciliabules pour tenter de rapprocher les positions, le conclave d’Accra commence, tôt dans la matinée du 29 juillet, par de discrètes entrevues Annan-Gbagbo et Eyadéma-Gbagbo pour « préparer » le numéro un ivoirien. Temps fort de la cérémonie d’ouverture, tenue à huis clos entre les chefs d’État et quelques invités privilégiés : l’intervention incisive de Kofi Annan, qui rappelle que l’accord du 24 janvier 2003 de Linas-Marcoussis « demeure la feuille de route pour résoudre [la] crise ». Le secrétaire général réclame l’adoption au cours du minisommet d’un « plan d’action assorti d’échéances », exige que la rencontre « clarifie la délégation de pouvoirs du président au Premier ministre du gouvernement de réconciliation nationale », et appelle à « la souplesse nécessaire pour trouver un compromis politique concernant l’article 35 [relatif aux conditions d’éligibilité] de la Constitution ». « Compromis politique », et non « référendum », comme le demande le Front populaire ivoirien (FPI, le parti de Laurent Gbagbo), qui a largement diffusé, au cours de la rencontre, un mémorandum se prononçant pour un référendum.
De fait, la délégation ivoirienne est montée au créneau sitôt le discours d’Annan ébruité. Assoa Adou, cacique du régime et ministre des Eaux et Forêts, et Odette Sauyet, membre du secrétariat général du FPI, sont parmi les premiers à désapprouver le secrétaire général de l’ONU. « Si des échos de ce discours arrivent à Abidjan, la population ne tardera pas à manifester son indignation », commente le patron d’un quotidien ivoirien pro-Gbagbo.
Pendant que le hall du centre de conférences s’emplit de rumeurs et de « fuites » sur le huis clos des travaux, les chefs d’État mettent en oeuvre une méthodologie de travail proposée par Kufuor : entendre tour à tour tous les acteurs de la crise. À la suite de Laurent Gbagbo, chacun d’entre eux se livre donc à ce qui s’apparente à un grand oral devant un jury d’examen. Dans l’ordre, l’ancien président Henri Konan Bédié, l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, le secrétaire général des Forces nouvelles Guillaume Soro, le leader de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI, du défunt général Robert Gueï) Paul Akoto Yao, et le président du FPI Pascal Affi Nguessan se succèdent devant des chefs d’État attentifs et impassibles, exposent leur avis sur les blocages du processus de retour à la paix et esquissent des recommandations.
Deux interventions se distinguent : celles de Soro et d’Affi Nguessan. Le leader des Forces nouvelles martèle, sans grand souci de précision historique ou politique : « Monsieur le Président Kérékou, dites à Laurent Gbagbo que la Constitution de votre pays a été suspendue en février 1990, et que, le 9 avril 1996, vous avez nommé Adrien Houngbédji à un poste de Premier ministre non prévu dans vos institutions. On ne peut pas, au risque de casser un pays, s’abriter derrière un texte constitutionnel pour refuser d’appliquer un accord politique. » Avant de renchérir avec une image forte, sur la question cruciale du désarmement : « Je ne suis pas contre le désarmement. Mais nos camarades qui tiennent les kalachnikovs n’ont pas de pièces d’identité. Donnons-les-leur, en échange de leurs armes. Pendant qu’on demande aux Forces nouvelles de désarmer, du matériel a été débarqué d’un bateau à Abidjan, deux jours avant ce sommet. Alors que l’on proclame que la guerre est finie, ces armes doivent servir à me tuer, à nous tuer. »
Silence ému dans la salle, qui va être réveillée par l’offensive d’Affi Nguessan. D’entrée de jeu, le président du FPI réclame, sur un ton plutôt abrupt au goût de certains, la restauration de l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire par le désarmement des « rebelles », et le retour de l’administration dans le nord du pays. Avant de dénoncer les « concessions excessives sans cesse demandées au gouvernement ivoirien » et de dire son indignation devant « les attitudes partisanes de la communauté internationale ». L’intervention fait mouche. Certains chefs d’État ne peuvent s’empêcher de souligner leur neutralité, n’ayant qu’un seul souci : aider la Côte d’Ivoire à s’en sortir.
Le Premier ministre du gouvernement de réconciliation nationale, Seydou Elimane Diarra, ferme le défilé, dans la matinée du 30 juillet. Pendant que Mbeki « raisonne » Ouattara et Soro, Bongo Ondimba « traite » Gbagbo. Les autres, Kofi Annan en tête, intensifient les intercessions et conseils pour convaincre Laurent Gbagbo de réintégrer à leurs postes les trois ministres des Forces nouvelles (dont Soro lui-même) éjectés du gouvernement en mai dernier. Le projet de rédaction de la résolution finale donne des maux de tête au secrétariat du sommet, malgré les briefings du secrétaire exécutif de la Cedeao. Signe qu’Accra III n’est pas allé aussi loin que d’aucuns l’espéraient.
Une consolation cependant : le président Gbagbo a exhibé à ses pairs un décret portant délégation de pouvoirs au chef du gouvernement de réconciliation nationale Seydou Elimane Diarra. Les deux hommes se sont ensuite retrouvés avec Kofi Annan pour en affiner certains aspects. Sur l’article 35, en revanche, Gbagbo a campé sur ses positions : cette disposition sera soumise au peuple par voie référendaire. Tout au plus concède-t-il que ledit article passera devant l’Assemblée nationale, qu’il se fera fort d’obtenir de ses camarades du FPI qu’ils l’adoptent, mais qu’il a besoin de deux mois pour trouver une solution idoine. Réaction de Bongo Ondimba : si on avait su que cet article était seulement juridique dans la tête des autorités ivoiriennes, on ne serait pas venu ici. On était là pour trouver une solution politique.
Autre difficulté : si Gbagbo accepte, comme il l’a déjà dit, de nommer les ministres « démissionnés » à d’autres postes de responsabilité et de les remplacer par des membres de leur sensibilité politique, il refuse de les réintégrer purement et simplement. Résultat : Soro s’est braqué, lui aussi. À l’entendre, il a laissé tomber le portefeuille de la Défense, hier initialement attribué à ses partisans. Il a également évité le bras de fer quand le président a mis son veto à l’entrée de Louis Dacoury-Tabley dans le gouvernement. Il ne peut plus transiger.
Autant dire que la solution à deux des questions de fond (l’article 35 et le désarmement) pourrait prendre du temps. Même si – et c’est heureux – un comité de sages a été mis en place. Composé des présidents Bongo Ondimba, Kufuor, Obasanjo et Kérékou, il est appelé à aider Gbagbo à mener à bien le processus de réconciliation nationale.

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