L’arbre qui cache mal la forêt

Après quinze jours de mobilisation de la profession, le directeur du « Quotidien » est sorti de prison. Mais le malaise reste sensible.

Publié le 2 août 2004 Lecture : 3 minutes.

Après un éditorial commun publié par la quasi-totalité des journaux indépendants sénégalais (voir J.A.I. n° 2271), des marches, sit-in et autres boycottages des activités du gouvernement, la menace de grève générale pour obtenir la libération du directeur du Quotidien ne sera pas mise à exécution. Madiambal Diagne, c’est son nom, jeté en prison le 9 juillet, notamment pour « diffusion de correspondances et de rapports secrets ; diffusion de fausses nouvelles ; diffusion de nouvelles tendant à causer des troubles politiques graves », en est sorti le 26 juillet. Il a été mis en liberté provisoire, au grand soulagement de ses confrères qui ne se sentent pas moins eux-mêmes en liberté provisoire. En clair, en « liberté surveillée », comme le proclamaient leurs slogans et leurs banderoles, car ils craignent que, comme souvent au Sénégal et ailleurs sur le continent, le provisoire reste définitif et que rien ne soit réglé pour de bon. Aussi longtemps en tout cas que l’article 80, entre autres dispositions du code pénal, ne sera pas supprimé.
Le président Abdoulaye Wade, au sortir d’un entretien avec son homologue français Jacques Chirac, le 23 juillet à l’Élysée, a montré sa bonne disposition dans le sens de cette abrogation. Sur les suggestions de son hôte ? Selon le communiqué officiel, celui-ci lui aurait rappelé « l’attachement de la France au respect des droits de l’homme partout dans le monde, en particulier la liberté d’expression ». Seule certitude : ce n’est pas la première fois que le chef de l’État sénégalais, lui-même victime de ce fameux article 80 par le passé, se dit favorable à sa suppression. Mais sans doute cette fois Wade va-t-il obtenir de son gouvernement ou de ses camarades de l’Assemblée nationale qu’il en soit ainsi dans les meilleurs délais. On lui prête même le projet de faire nettoyer le code pénal et le code de procédure pénale pour les « adapter à l’évolution démocratique du pays ». Une démarche loin de la menace présidentielle (que l’opposition a prise, non sans raison, pour elle), publiquement proférée, de procéder à ce lifting, pour permettre l’inculpation de ceux de ses compatriotes qui dénigrent le Sénégal à l’étranger…
Le débat, qui promet de belles empoignades, n’est pas encore engagé. Pour l’heure, c’est la presse qui est sous les feux de la rampe. Et sur ce front, outre l’article 80, il s’agirait, pour les journalistes notamment, de voir réaménagées les dispositions 255 et 627. La première punit toute diffusion de fausses nouvelles. La seconde, jugée très contraignante par la profession à laquelle elle impose de produire les preuves de ses allégations dans un délai de dix jours, détermine la procédure en matière de poursuite pour diffamation. À terme, il n’est pas exclu que le pouvoir aille plus loin en s’attelant, au-delà de la formation même des journalistes, à obtenir que l’accès à la profession soit davantage réglementé, en concertation avec les intéressés eux-mêmes. Suffit-il de prendre pour journaliste – comme en France – celui qui tire l’essentiel de ses revenus de l’exercice de ce métier ? Mais comment légiférer sans être accusé d’arrière-pensées liberticides ?
Le chantier est vaste, qui va de l’agrément des écoles de formation à l’exercice du métier. Car l’affaire Madiambal Diagne, qui vient de connaître, le 26 juillet, un dénouement provisoire, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Elle n’est pas le problème : elle le révèle.

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