Fintech : pour une finance inclusive, l’Afrique doit adopter une réglementation commune

Selon les membres de l’advisory board de l’Africa Financial Industry Summit (Afis), un réseau de grands décideurs de l’industrie financière, il est nécessaire de développer une telle plateforme afin d’exploiter le potentiel d’innovation du continent dans le domaine des technologies financières.

En Côte Ivoire, la start-up Wave a été valorisée plus d’un milliard de dollars. © Wave via Facebook.

Hakima El Alami Omar Cissé Mustafa Rawji Elizabeth Howard

Publié le 7 mars 2022 Lecture : 5 minutes.

L’innovation financière est un extraordinaire moteur de croissance pour l’Afrique. À elles seules, les fintechs du continent ont levé environ 1,3 milliard de dollars (1,18 milliard d’euros) d’investissement sur l’année 2021. Des acteurs comme OPay et Interswitch au Nigeria ou encore Wave au Sénégal ont atteint le statut de licorne, avec des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars. Leur succès repose sur une promesse qui paraissait jusqu’alors hors de portée : permettre à des centaines de millions d’Africains d’accéder aux services financiers.

Pourtant, la forte progression des fintechs a également suscité des inquiétudes auprès du grand public comme des régulateurs. Au Kenya, un emprunteur sur cinq éprouve des difficultés à rembourser son crédit, un taux deux fois plus élevé que dans le secteur bancaire conventionnel. Au Nigeria, la National Information Technology Development Agency (Agence nationale de développement des technologies de l’information ; Nitda) s’inquiète quant à elle de la protection des données des utilisateurs et des pratiques parfois contestables des fintechs pour recouvrer leurs créances.

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Mieux protéger les consommateurs

L’importance d’une règlementation adaptée ne saurait être sous-estimée pour encourager autant que pour encadrer le développement de ces nouveaux acteurs de la finance, et étendre ainsi les services financiers aux 57 % d’Africains qui restent encore à bancariser. La protection des consommateurs en particulier sera essentielle à la fois pour créer la confiance des nouveaux utilisateurs de services financiers et garantir des règles du jeu équitables vis-à-vis des acteurs bancaires traditionnels.

Sur ce point, les régulateurs africains, comme ailleurs dans le monde, ont dû s’adapter à un environnement en perpétuelle évolution dans un contexte de progrès technologique extrêmement rapide. C’est pourquoi nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de développer une plateforme réglementaire à l’échelle africaine. Cette plateforme, qui regrouperait banques centrales, fintechs, banques traditionnelles et assureurs, contribuerait à harmoniser les règles d’octroi de licences en Afrique, à développer l’inclusion financière et à mieux protéger les consommateurs.

Pour cela, nous avons identifié un certain nombre de leviers à activer.

Permettre un dialogue continu

Si les banques centrales nationales supervisent la réglementation financière, elles doivent relever de nombreux défis pour suivre le rythme de l’innovation. Cela freine les efforts des fintechs, des banques et des assureurs pour accroître l’inclusion financière en Afrique grâce à la blockchain, aux prêts entre particuliers ou à d’autres technologies émergentes.

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La Banque centrale du Maroc (Bank Al-Maghrib) a par exemple introduit un cadre réglementaire pour les établissements de paiement en 2014, mais a depuis reconnu que les règles n’étaient pas claires pour les fintechs qui espéraient s’implanter dans le marché marocain. Elle a ouvert un bureau de l’innovation pour dialoguer ouvertement avec les fintechs, leur expliquer la réglementation applicable et l’adapter si nécessaire.

Cette plateforme mobiliserait aussi les pôles d’innovation, les incubateurs d’entreprises et les réseaux de fintechs pour mettre à contribution les start-up

À l’échelle du continent, une telle plateforme ouvrirait un dialogue continu entre les innovateurs financiers et les banques centrales. Elle permettrait aussi aux banques centrales de se tenir au courant des innovations financières et contribuerait à l’harmonisation des cadres réglementaires nationaux. Les innovations financières pourraient alors être déployées sans encombre sur plusieurs marchés et atteindre plus rapidement les populations sous- ou non-bancarisées.

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Cette plateforme mobiliserait aussi les pôles d’innovation, les incubateurs d’entreprises et les réseaux de fintechs pour mettre à contribution les start-up, tandis que des associations comme l’AACB (Association des banques centrales africaines) pourraient aider les régulateurs à avancer en synergie. Elle permettrait enfin de mieux protéger les consommateurs en intégrant les nouvelles technologies comme le prêt d’argent par téléphone portable à la réglementation, sans nuire pour autant à l’innovation.

Des « bacs à sable réglementaire » transfrontaliers

Nous encourageons également la convergence à échelle régionale des regulatory sandboxes pour permettre aux fintechs de tester des innovations de produits financiers sans contraintes réglementaires. Ces « bacs à sable réglementaires » ont fait leur apparition au Royaume-Uni en 2015. Le concept s’est depuis étendu dans le monde entier et gagne du terrain en Afrique. La Sierra Leone, le Kenya, le Rwanda et le Mozambique ont été les premiers adeptes sur le continent. Le Ghana a lancé l’année dernière un projet pilote de bac à sable et le Nigeria a introduit un cadre réglementaire pour favoriser leur usage.

Ces sandboxes sont un moyen d’introduire et d’étendre l’innovation financière, tout en offrant aux PME un fonds de roulement

Ces sandboxes sont un moyen d’introduire et d’étendre l’innovation financière, tout en offrant aux PME un fonds de roulement et en créant un écosystème permettant à d’autres acteurs d’innover avec des produits similaires. Pourtant, les rares sandboxes africaines existantes ont été créées au niveau national et leur mise en place a été lente et coûteuse. Elles sont également très différentes en matière de critères d’éligibilité, de durée et des innovations financières à prioriser. Cela peut dissuader des innovateurs crédibles et freine l’expansion dans un autre pays d’une innovation financière qui a pourtant déjà fait ses preuves.

La création d’un cadre régional ou national ouvrirait la voie aux bacs à sable transfrontaliers. Il serait alors possible de tester une même innovation dans plusieurs pays à la fois. Il y a deux ans, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a lancé une task force fintech, dont l’un des objectifs était de créer un bac à sable réglementaire ouest-africain couvrant plusieurs pays. Nous encourageons les projets de ce type sur le continent.

Les associations comme soutiens financiers

Les membres de l’advisory board de l’Africa Financial Industry Summit (Afis) appellent enfin les régulateurs à mobiliser les associations internationales et africaines du secteur pour soutenir l’infrastructure de l’innovation financière sur le continent. Les bacs à sable réglementaires, les centres d’innovation et les incubateurs d’entreprises sont coûteux et nécessitent des ressources importantes pour les régulateurs, tandis que leur déploiement a pris beaucoup de temps dans certains pays.

L’innovation financière ne peut fonctionner à long terme sans la confiance des consommateurs comme de la puissance publique

Les autorités de régulation, qui manquent souvent de liquidités, pourraient faire davantage appel aux ressources des associations professionnelles africaines et internationales afin d’obtenir un soutien financier et opérationnel. Le Réseau mondial d’innovation financière (RMIF), l’Africa Fintech Network, l’African Crowdfunding Association (Acfa), et l’association des banques de l’Afrique de l’Ouest (Abao) figurent parmi les associations qui pourraient être mobilisées.

En conclusion, les différentes pistes de travail évoquées sont autant de moyens pour créer une infrastructure réglementaire solide et dynamique. L’innovation financière ne peut fonctionner à long terme sans la confiance des consommateurs comme de la puissance publique. L’inclusion financière durable de centaines de millions d’Africains en dépend.

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