Yar’Adua à l’épreuve

Élu le 21 avril au terme d’un scrutin controversé, le nouveau chef de l’État doit regagner la confiance de ses concitoyens. Et des pays étrangers.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

Pour la première fois dans l’histoire du Nigeria, le 29 mai, un civil a transmis le pouvoir à un civil. Depuis, Umaru Yar’Adua, ancien gouverneur de l’État de Katsina, dans le Nord, occupe le palais d’Aso Rock. Si pour beaucoup d’électeurs, ce musulman de 55 ans a été imposé par Olusegun Obasanjo ; si, comme Charles, ils sont nombreux à ne pas avoir voté le 21 avril parce que le résultat était « connu d’avance » – le taux de participation s’est élevé à 58 %, contre 69,1 % en 2003 ; si le scrutin a été ostensiblement truqué par le parti au pouvoir comme par ceux de l’opposition ; si près de deux cents morts ont été recensés, les Nigérians créditent, pour la plupart, leur nouveau président de quelques qualités rares chez les politiciens nationaux.
« Yar’Adua est diplômé », souligne David, Ibo vivant à Ibadan, à une centaine de kilomètres de Lagos. Que le chef de l’État soit un ancien professeur de chimie a son importance dans un pays où, traditionnellement, les militaires pensent que le pouvoir leur revient de droit. « Il est honnête », poursuit cet intellectuel d’une quarantaine d’années. Dans l’État de Katsina, qu’il a gouverné pendant huit ans, le successeur d’Obasanjo a observé une gestion rigoureuse des finances publiques et laissé un budget excédentaire. « Avec celui de Zamfara, il est le seul gouverneur à avoir déclaré son patrimoine », précise même David. Avant d’ajouter : « Il mène une vie modeste. » Pour combien de temps encore ? Un mois d’exercice du pouvoir ne permet pas de le dire.
Pour le nostalgique d’Obasanjo qu’est Francis, Béninois installé au Nigeria depuis 1978, ces qualités ne suffiront pas à Yar’Adua pour diriger le pays le plus peuplé du continent (140 millions d’habitants d’après le recensement 2006). « Baba [surnom donné à Obasanjo, NDLR] était fort, se rappelle-t-il. Quand il est arrivé au pouvoir, en 1999, il y avait tout à faire. Le nouveau, lui, il est trop fragile. » Discret, timide, « falot » pour certains, Yar’Adua n’a effectivement pas la poigne de son prédécesseur. Et surtout, les circonstances de son élection le placent dans une position inconfortable. Imposé par Obasanjo lors des primaires du People’s Democratic Party (PDP), il doit remercier, par quelque maroquin ou poste en vue dans l’administration, les politiciens contraints de voter pour lui. Il doit aussi faire taire une opposition persuadée que la victoire lui a été volée. Sa marge de manuvre est réduite, ce qui explique la lenteur de la formation du gouvernement, censé être « de large ouverture ».
Mais il ne faudrait pas que les atermoiements politiciens entravent, plus que d’ordinaire, la bonne marche des changements lancés par l’administration Obasanjo. Dès avant son élection, Yar’Adua s’est inscrit dans la continuité de son prédécesseur, promettant partout qu’il se battrait contre la corruption, travaillerait à la bonne image du Nigeria sur la scène internationale, se mettrait au service de la lutte contre la pauvreté, veillerait au développement des secteurs non pétroliers, uvrerait pour l’unité de la fédération De bonnes intentions qu’il a semblé concrétiser en effectuant son premier voyage à l’étranger à l’occasion du G8 où, à côté des dirigeants des pays développés, il a confirmé, aux yeux de la population, le statut de puissance africaine du Nigeria (voir encadré). En proposant de solliciter le concours de l’ONU pour jouer un rôle d’arbitre dans la crise chronique du delta du Niger, en proie à des milices armées qui, pour exiger une meilleure répartition des fruits de l’or noir dont regorge leur sous-sol – la région du delta compte l’essentiel des réserves -, sabotent les installations et enlèvent quasi quotidiennement les employés expatriés des compagnies pétrolières. En permettant à Nuhu Ribadu, le directeur général de la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC), de convoquer onze gouverneurs venant de quitter leurs fonctions pour leur demander des comptes sur la gestion de l’État, dont ils avaient la charge. En assurant devant un parterre d’investisseurs étrangers, le 2 mai, que ses « première, deuxième et troisième priorités » étaient l’économie.
Yar’Adua saura-t-il convaincre son peuple comme il a convaincu ces derniers ? L’opération séduction a plutôt mal commencé. Au lendemain de l’investiture, deux mesures particulièrement impopulaires, prises par l’administration Obasanjo juste avant son départ, sont entrées en application : l’augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5 % à 10 % et celle du prix de l’essence à la pompe de 15 %. Les habitants du premier pays africain producteur d’or noir ont eu du mal à avaler la pilule. Du 20 au 24 juin, une grève générale lancée par les deux principales centrales syndicales du pays a paralysé l’activité économique. Une première épreuve de force pour le chef de l’État, qui a finalement reculé : le doublement de la TVA et la hausse des prix de l’essence ont été annulés.
Yar’Adua s’est engagé à choyer les investisseurs étrangers, sans lesquels il ne pourra atteindre ses objectifs économiques. Il devra aussi, et avant tout, choyer directement les Nigérians, pour que, comme Obasanjo l’avait déclaré en 2003, « le pays devienne la première économie africaine et l’une des plus importantes au monde », car « il en a tous les moyens, humains et matériels ».

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