Tahar Bekri se souvient
Dans ce journal, qui s’étend sur une vingtaine d’années, le poète tunisien associe impressions de voyage, réflexions sur l’art et sur l’actualité
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C’est dans les studios de France Culture, alors qu’il participait à un débat sur la littérature tunisienne, que Tahar Bekri, poète tunisien exilé à Paris, apprit qu’un changement de régime venait d’avoir lieu dans son pays. « Pourvu que le sang ne coule pas, que tout évolue sans violence. Je me mets à espérer que la nouvelle situation me permettra de revenir en Tunisie, de revoir les miens, de mettre fin à l’exil qui a assez duré », inscrit l’écrivain dans son journal à la date du 7 novembre 1987. Les souffrances de l’exil, la nostalgie de la « palmeraie natale de l’oasis de Gabès », sont quelques-uns des leitmotive de ce journal qui s’étend sur une vingtaine d’années et qui vient de paraître dans une présentation soignée aux éditions Elyzad de Tunis.
Né en 1951 dans le sud de la Tunisie, Bekri a été contraint à l’exil dans les années 1970 après avoir participé à des manifestations pour plus de démocratie et de justice dans son pays. Interdit de séjour en Tunisie pendant treize ans, il s’est installé en France et a puisé dans son expérience de l’éloignement du pays aimé et de l’errance le matériau d’une uvre poétique « digne et fraternelle ». Tahar Bekri est l’auteur d’une douzaine de recueils de poésie dont les thèmes vont de « la brûlante rumeur de la mer » à l’amour, en passant par la découverte de cet « ailleurs, qui est infini » et bien sûr les affres de l’exil.
Rien ne décrit mieux cette voix originale et puissante que cette phrase de Bernard Magnier, des éditions Actes Sud, désignant Bekri comme « un poète de l’élément plus que de l’événement ». Mais cet attachement du poète à la réalité élémentaire passe par la recherche du mot précis, car, ainsi qu’il nous le rappelle citant Rumi, « la parole est l’ombre de la réalité et son accessoire ».
Ce qui fait peut-être l’intérêt principal de ce journal, c’est ce qu’il révèle sur le parcours intérieur du poète, sur sa quête des lieux où s’incarner (ce sera la mer, les plages scandinaves « bordées de seigles de mer et de rosiers sauvages », le golfe de Gabès où la pollution est à l’uvre) et ses réflexions sur le sens et la portée de la poésie, plus généralement de la littérature. On verra le poète s’incliner devant ses premiers modèles qui ont pour noms Baudelaire, Flaubert, Gérard de Nerval. L’auteur se pose aussi la question de l’engagement en littérature. La réponse qu’il cherche sans la chercher lui est peut-être fournie par le calligraphe irakien Hassan Massoudy, qui utilise « la calligraphie comme un moyen pour le dialogue entre les cultures ». Dialogue entre la banlieue et le centre, entre le monde arabe et l’Occident, entre l’art populaire et l’élitisme. La poésie comme passerelle, car « la mer est si loin » ! Conclusion en forme d’aphorisme : « L’essentiel est de dire son humanité, de participer à la culture universelle ».
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