Soro a la baraka

Chef de l’ex-rébellion, le Premier ministre a miraculeusement échappé à un attentat, le 29 juin à Bouaké. C’est au moins la sixième fois

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

« L’avion qui transportait notre délégation a été touché par une roquette, vers 10 h 30 [heures locales et GMT, 12 h 30 à Paris], alors que nous atterrissions à Bouaké. Il y a au moins trois morts, mais le Premier ministre a été épargné. » Cette déclaration d’Alain Lobognon, le conseiller en communication de Guillaume Soro, a constitué la première version de l’attentat du 29 juin contre le leader des Forces nouvelles (FN), l’ex-rébellion qui occupe le nord de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui chef du gouvernement ivoirien. Et coupé court aux supputations les plus alarmistes, qui donnaient Soro pour mort.
Après son atterrissage à l’aéroport de Bouaké, à 300 km au nord-est d’Abidjan, alors qu’il roule vers le parking, le Fokker 100 est pris pour cible par des tireurs embusqués dans des broussailles. Cette partie de l’aérodrome est gardée en permanence par des éléments de l’Opération des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (Onuci) et de la force française Licorne. Lesquels ripostent et prennent position autour de l’appareil, tandis que les agents de sécurité des FN extraient le Premier ministre de la cabine VIP.
L’intention d’attenter à la vie de celui-ci ne fait aucun doute : les deux ou trois roquettes RPG et les tirs d’arme légère visent directement la cabine des passagers. Ils manquent leur cible, mais atteignent plusieurs personnes. Quatre sont tuées sur le coup, parmi lesquelles le cameraman attitré des FN. Une dizaine d’autres sont blessées.
Une trentaine de passagers et quatre membres d’équipage se trouvent à bord. Outre ses collaborateurs directs et un groupe de journalistes, Soro est accompagné d’une quinzaine de magistrats. Il est en effet venu à Bouaké pour donner le coup d’envoi du redéploiement de l’administration judiciaire dans la zone contrôlée par les FN. Lobognon et Sidiki Konaté, numéro trois de la rébellion et ministre du Tourisme, sont indemnes. Mais Sindou Meité, le porte-parole de Soro, est blessé.
Le Premier ministre ne doit son salut qu’à sa traditionnelle baraka – depuis septembre 2002, il a déjà été la cible d’une demi-douzaine d’attentats – et à la diligence des « forces impartiales » qui, très vite, sécurisent le périmètre autour de l’appareil. Conduit sous forte escorte au QG des FN, il s’entretient au téléphone avec le président Laurent Gbagbo, puis convoque une réunion de crise de son état-major. Alors que l’ex-rébellion dépêche sur place des renforts pour quadriller Bouaké, les tirs s’intensifient entre l’aéroport et le centre-ville. Ils se poursuivront plusieurs heures durant.
Ce que la garde rapprochée de Soro redoutait depuis plusieurs jours est en train d’arriver. Cet attentat intervient en effet dans un climat lourd, marqué par de sérieux désaccords au sein de l’ex-rébellion. Habituelles depuis que les FN ont annexé le nord de la Côte d’Ivoire, il y a près de cinq ans, les rumeurs de dissensions ont pris une nouvelle dimension depuis que, le 4 mars à Ouagadougou, Gbagbo et Soro ont engagé un processus de paix. Fruit d’un dialogue direct entre le pouvoir, à Abidjan, et les ex-insurgés, l’accord de Ouaga suscite l’inquiétude de certains cadres militaires des FN, qui estiment ne pas avoir été suffisamment associés à la négociation. En outre, le président burkinabè Blaise Compaoré, son maître d’uvre, exerce une surveillance plus stricte de sa frontière avec le « Soroland ». L’arrêt de fait des trafics en tout genre appauvrit les chefs de guerre, qui en vivaient, et suscite leur colère.
De sorte que les soupçons s’orientent, très vite, vers certains d’entre eux, notamment ceux qui ne se trouvent pas à Bouaké. Le commandant Hervé Touré, dit « Vetcho », le chef d’état-major particulier de Soro ? Son absence dans les jours qui ont précédé l’attaque intrigue. Il est arrivé deux jours auparavant à Paris, où vit sa famille. Le commandant Chérif Ousmane ? Il se trouvait à Ouaga au moment des faits et comptait se rendre ultérieurement à Paris pour un check-up. Le sergent Ibrahim Coulibaly, dit IB ? Sa haine pour Soro est de notoriété publique, mais il mène une vie apparemment tranquille, à Cotonou.
Les mécontents pullulent au sein des FN : des hommes du rang qui exigent d’être promus après leur réintégration dans la future armée nationale aux commandants de zone qui entendent faire valoir leur droit à la retraite mais exigent au préalable un joli pécule pour leurs vieux jours : 1 million d’euros. Des doléances peu réalistes qui suscitent un malaise certain au sein des troupes insurgées.
Le timing de l’attentat ne doit rien au hasard : il intervient quelques jours avant la cérémonie dite de la Flamme de la paix, au cours de laquelle des armes récupérées auprès des combattants FN seront brûlées à Bouaké pour marquer le retour de la paix. Prévue pour le 30 juin, la manifestation a été reportée au 5 juillet pour tenir compte de l’agenda des chefs d’État étrangers invités.
Une fois informé de l’attentat, Gbagbo n’a d’ailleurs pas caché son inquiétude : « Je crains, a-t-il déclaré, que ce dramatique événement ne fasse avorter la Flamme de la paix, à laquelle sont attendus mes homologues Thabo Mbeki, Blaise Compaoré et John Kufuor. » Le chef de l’État, qui mariait l’une de ses filles ce 29 juin et se préparait à participer au sommet de l’Union africaine à Accra, a convoqué une réunion de crise

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