Cameroun : Cabral Libii va-t-il trop loin ?

Député, arrivé en troisième position lors de la dernière présidentielle, l’opposant brise un tabou en prônant la suppression des régions et l’instauration d’un « fédéralisme communautaire ». Mais pas sûr que les électeurs, dont il espère remporter les suffrages en 2025, soient prêts.

Cabral Libii, député à Yaoundé, le 6 mars 2020. © Fernand Kuissu pour JA

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Publié le 11 mars 2022 Lecture : 4 minutes.

Au crépuscule de la présidence Biya et à l’ère du complotisme triomphant, Cabral Libii ne laisse pas indifférent. Avec son profil de gendre idéal, il est trop lisse pour être honnête. Il y a d’abord ce prénom, choisi par ses parents en hommage à Amilcar Cabral, le révéré père de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert en clin d’œil à l’inconscient anti-colonial. Puis son nom, dont l’homophonie rappelle la Libye, pays martyr par excellence – selon les théories de la sphère francophobe – depuis la calamiteuse intervention militaire occidentale qui a abouti à la mort de Mouammar Kadhafi. Il y a enfin son livre, dont la couverture met en scène un homme jeune et avenant en costume sombre, au collier en ivoire, entre tradition et modernité.

Préjugé peu favorable

De quoi conforter ses détracteurs prompts à lui coller l’étiquette d’un pur produit marketing. C’est fort de ce préjugé peu favorable qu’il a été accueilli le 3 mars dernier au 57 bis de la rue d’Auteuil, à Paris, flanqué d’une demi-dizaine d’accompagnateurs qui le suivent dans la tournée de promotion de cet ouvrage publié il y a quelques mois aux éditions Dinimber et Larimber : Le Fédéralisme communautaire.

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Un titre qui aurait pu aggraver le cas de cet universitaire de 42 ans tant l’association de ces deux gros mots fait bondir. Le député du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), arrivé en troisième position à la dernière présidentielle avec 6,2 % des voix, présente son essai à la tonalité pédagogique comme une « offre politique » qu’il se propose de mettre en place quand il aura conquis le pouvoir suprême après le départ de Paul Biya.

Sauf qu’au Cameroun, fédéralisme et communauté sont des mots trop connotés pour être manipulés impunément. Le premier était quasiment tabou. Sous la présidence d’Ahmadou Ahidjo, le prononcer pouvait valoir à l’imprudent un séjour en prison sous le soupçon d’atteinte à la sûreté de l’État. Comme pour faire oublier que le Cameroun avait expérimenté le système fédéral à deux États pendant onze ans, de 1961 à 1972, avant de passer à l’État unitaire en quelques traits de plume de l’autoritaire Ahidjo. Son successeur, Biya, a desserré l’étau mais s’est montré aussi intransigeant que son mentor.

Sujet sensible

Pendant cinquante ans, la chape de plomb a tenu bon, avant l’explosion en 2016. Les Camerounais d’expression anglaise ont pris les armes pour faire sécession. D’autres, la majorité silencieuse aussi bien anglophone que francophone, exigent le retour au fédéralisme. Libii saute sur l’occasion. « Le prétexte du livre, c’est la crise anglophone, explique-t-il. C’est à la faveur du Grand Dialogue national [GDN] que nous présentons pour la première fois le concept de fédéralisme communautaire. Parce que nous avions constaté que le fédéralisme était un tabou lors de ce dialogue. C’est en vain que j’ai essayé de convaincre le Premier ministre de mettre la question du fédéralisme en débat. La crise anglophone est une opportunité historique pour que nous réparions ce virage raté de 1961, lorsque le Cameroun s’était résolu à se reconstituer après qu’il avait été divisé en 1922 à la suite de la Première Guerre mondiale. Pour arrêter la guerre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, nous devons retourner au fédéralisme. Cela permettra aussi de reconfigurer au passage le schéma de décentralisation que l’on veut mettre en place au Cameroun pour, enfin, libérer les énergies de nos différentes communautés. »

En résumé, l’auteur propose de supprimer les dix régions dans leur forme actuelle et de transformer les 58 départements en régions, redessinées cette fois selon des critères communautaires. Libii considère le fédéralisme comme un mode d’organisation de l’État qui vise à créer de la cohésion dans un espace partagé. « On ne peut avoir recours à un autre modèle que celui-là », plaide-t-il.

Dès l’annonce de la parution du livre et du concept qui en fait le titre, beaucoup crient au scandale

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Mais le sujet est sensible. Dès l’annonce de la parution du livre et du concept qui en fait le titre, beaucoup crient au scandale. Ex-bâtonnier de l’Ordre national des avocats et héraut de la défense de la liberté d’expression en d’autres circonstances, Charles Tchoungang en demande purement et simplement l’interdiction. Cabral Libii en est convaincu, c’est parce qu’il n’a pas lu le livre. D’ailleurs, depuis, « il en a commandé trois exemplaires et on n’a plus entendu de commentaire de sa part ».

Manipuler le régionalisme identitaire n’est pas sans risques. Alors que la jeunesse cultivée et cosmopolite rêve d’un pays débarrassé de toute considération ethnique, on soupçonne le jeune premier de s’inscrire dans la continuité. Cabral Libii proposerait du neuf avec le logiciel de la gérontocratie régnante de Yaoundé. L’auteur s’en défend et parle de rupture. « En travaillant à ce livre, j’avais conscience que ça portait les germes d’une rupture avec un ordre établi depuis longtemps. »

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« Le Cameroun est aujourd’hui le théâtre de toutes sortes d’excès discursifs sur la question ethnique. Les gens se retiennent de moins en moins, ne font plus attention, ce qui est en train de préparer une implosion de la société. Nous avons le devoir de proposer autre chose », continue-t-il. À l’en croire, son livre s’est déjà écoulé à 20 000 exemplaires en Afrique. Lors de la prochaine présidentielle, en 2025, qu’il lorgne déjà, Libii ira en campagne avec ce projet de réforme sous le bras. On verra alors s’il a su convaincre les Camerounais.

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