Mission impossible

Nommé émissaire du Quartet pour la Palestine, l’ex-Premier ministre britannique ne dispose ni de la légitimité ni de l’indépendance requises pour donner au processus de paix israélo-arabe l’impulsion dont il a désespérément besoin.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

« J’ai entendu qu’il avait été surnommé le caniche de Bush. Mais il est plus grand que cela. Ce sont juste des bruits de fond pour nous distraire de l’essentiel. » La phrase, inimitable, est bien évidemment signée George W. Bush lui-même, et le Texan de la Maison Blanche l’a prononcée ce mercredi 27 juin, jour de la nomination de son ami Tony Blair au poste d’envoyé spécial permanent du Quartet sur le conflit israélo-palestinien. Un job que l’ex-Premier ministre n’a pas décroché sans mal, tant les réserves émises par quelques-uns des principaux partenaires de ce champ de mines qu’est le Moyen-Orient ont été vives. Réticences de la Russie et de l’Allemagne (mais pas de la France, plutôt blairolâtre en ce moment), agacement de Javier Solana, diplomate en chef de l’Union européenne (UE), doutes du côté de James Wolfensohn, ancien titulaire du poste, démissionnaire il y a un an, gêne prononcée chez le nouvel hôte du 10, Downing Street, Gordon Brown, qui craint les interférences entre sa propre politique et celle de son suractif prédécesseur, franche hostilité, enfin, à Gaza, où le Hamas a fait savoir que Tony Blair n’avait ni l’indépendance ni la légitimité pour évoluer sur un tel terrain.

Pour fondées qu’elles soient, ces oppositions n’ont réussi à retarder la décision que de vingt-quatre heures : pour les États-Unis, le boss incontesté du Quartet, elle était déjà prise. L’Israélien Ehoud Olmert n’a pas caché son enthousiasme, et le président palestinien Mahmoud Abbas, à la tête d’un gouvernement de plus en plus fictif et discrédité depuis son éviction de la bande de Gaza, sa satisfaction. Blair et lui sont, dit-on, assez proches et, de cette proximité, Abbas attend beaucoup en termes de considération et de reconnaissance.
Reste que la mission confiée à Tony Blair comme émissaire du Quartet au Moyen-Orient est strictement cadrée. Ni les États-Unis ni Israël ne souhaitent qu’il joue un rôle politique, parce que cela pourrait empiéter sur leur domaine. Ils ne veulent pas que Blair s’implique dans une négociation sur le règlement final du conflit israélo-palestinien. Les États-Unis tiennent à rester maîtres du processus de paix, et Israël n’accepte aucune interférence extérieure.
La tâche précise confiée à Blair est d’aider l’Autorité palestinienne à mettre en place des institutions honnêtes et efficaces, sans aucun doute pour en faire un partenaire acceptable pour Israël. Ce qui signifie qu’il travaillera sur la Cisjordanie en liaison avec Mahmoud Abbas et le Premier ministre Salam Fayyad, qui reçoivent déjà des fonds importants et un soutien politique international.

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Mais Blair consacrera-t-il beaucoup de temps – ou même quelques instants – à aider, à Gaza, le Hamas, qu’il continue, comme les États-Unis et Israël, à diaboliser et à qualifier d’« organisation terroriste » ? Ce sera pour lui le véritable test. S’il boycotte le Hamas, sa mission est vouée à l’échec. Si, au contraire, il prend contact avec le mouvement islamiste et tente de persuader l’UE et d’autres donateurs de lui envoyer de l’argent et de lui apporter un encouragement politique, il se heurtera à Washington et à son allié israélien, et se retrouvera bientôt marginalisé comme le fut Wolfensohn et poussé vers la sortie. Blair arrive, en outre, avec un très lourd passif. La guerre d’Irak, dont il s’est fait l’ardent défenseur, a été un désastre stratégique, politique, économique et moral absolu. Les États-Unis l’ont payé très cher en hommes, en dollars et en autorité. La note a été un peu moins lourde pour la Grande-Bretagne, mais elle reste considérable.
Il ne semble pas en réalité que Blair, dans le cadre de cette mission, soit en mesure de donner au processus de paix l’impulsion dont il a désespérément besoin. Blair a contribué à la division du Moyen-Orient en deux camps hostiles : d’un côté, les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, avec quelques pays arabes clients comme la Jordanie et l’Égypte ; de l’autre, l’axe Téhéran-Damas-?Hezbollah-Hamas. L’opposition entre ces deux camps déchire la région.

On peut ajouter qu’en s’alignant sur les États-Unis à propos de l’Irak Blair a fait courir à la Grande-Bretagne le risque d’attentats terroristes et a creusé les divisions de la société britannique entre musulmans et non-musulmans. L’hostilité à l’égard des immigrés, pakistanais en particulier, s’est fortement aggravée. Et la liste n’est pas exhaustive. La tragédie de Tony Blair est qu’avec les meilleures intentions du monde il n’a pas su suivre ses instincts ou faire valoir ses préférences. En grande partie du fait de sa dépendance stratégique à l’égard des États-Unis, il a été amené à adopter une politique qu’au fond de lui-même il savait douteuse.
L’aspect le plus désagréable de ce tropisme proaméricain est que la Maison Blanche ne lui a jamais rendu la pareille. Blair s’est fait le porte-parole de Bush, il a défendu l’invasion de l’Irak avec plus d’éloquence que son ami n’en a jamais eu et s’est engagé dans cette « guerre contre le terrorisme » de triste mémoire, mais il n’a à peu près rien obtenu en retour. Il espérait pouvoir influencer le président américain sur des problèmes tels que le conflit israélo-arabe, mais il a découvert trop tard qu’Israël et ses amis américains, dans l’administration Bush et au-dehors, avaient plus d’influence qu’il ne pouvait espérer en avoir. Le conflit israélo-arabe a été, en fait, le domaine où les contradictions de Blair ont été les plus flagrantes. Il était passionnément convaincu de la nécessité de régler la lancinante question palestinienne – il a dit et répété qu’il était à 100 % en faveur d’un État palestinien indépendant et viable -, mais en faisant la guerre en Irak il s’est allié aux néoconservateurs de Washington, qui soutenaient la mainmise d’Israël sur la Cisjordanie et étaient totalement hostiles à toute expression du nationalisme palestinien.

Si l’on ajoute à cela la complaisance dont Tony Blair a fait montre à l’égard d’Israël lors de l’invasion du Liban au cours de l’été 2006 – il s’était abstenu d’appeler à un cessez-le-feu -, son déficit d’image dans le monde arabe paraît écrasant. Certes, dira-t-on, Blair peut vouloir se racheter, et il a démontré en Irlande du Nord de vrais talents de négociateur. Mais parler avec le Hamas est autrement plus complexe que de parler avec l’IRA et le Sinn Fein. Cela suppose pour Blair de prendre de vrais risques, de se heurter aux Américains et à Israël et, plutôt que d’appeler rituellement, dans le vide, à la « modération de toutes les parties », de parler de justice – ce qui manque le plus à cette région du monde. Bref, de se transfigurer et de faire ce qu’il n’a jamais pu, osé et, surtout, voulu faire quand il était Premier ministre. Tony Blair laisse entendre qu’il aimerait réussir sa mission pour obtenir le prix Nobel de la paix, l’un de ses rêves. Ses chances d’y parvenir sont à ce prix. Autant dire qu’elles sont inexistantes.

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