Comment sortir l’Afrique de sa dépendance aux céréales importées
Le mil et le sorgho africains ont été délaissés au profit du riz asiatique et du blé européen, accentuant la dépendance du continent aux importations, et l’exposant aux fluctuations des cours sur les marchés mondiaux. Un phénomène encore exacerbé par l’inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine. Décryptage d’une dépendance et des pistes pour en sortir.
Publié le 10 mars 2022 Lecture : 3 minutes.
L’incertitude créée par la guerre en Europe a provoqué une flambée inédite des cours des céréales, dont l’Ukraine et la Russie comptent parmi les principaux exportateurs vers le continent. Quelles répercussions aura l’embargo imposé à Moscou sur les hydrocarbures par Washington ? Et si Bruxelles suivait ? Faute de visibilité, les marchés internationaux paniquent, et les cours s’envolent. Le 7 mars, la tonne de blé tendre sur le marché à terme a atteint 422,5 euros, soit plus du double de son prix un an auparavant. Pour l’Afrique, qui consomme de plus en plus de céréales importées, c’est une catastrophe en germe, d’autant que l’inflation est de retour.
En 2008 et 2009, le continent avait payé au prix fort l’envolée des cours des céréales, et plusieurs pays avaient été le théâtre de ces « émeutes de la faim ». En Afrique de l’Ouest, particulièrement touchée, les gouvernements avaient réagi en lançant de vastes programmes visant à assurer l’autosuffisance alimentaire, multipliant les initiatives tous azimuts pour développer les filières rizicoles locales. Plus de dix ans après, les résultats sont cependant encore « mitigés », juge Patricio Mendez del Villar, spécialiste en économie internationale sur le riz au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Il estime notamment que ces politiques « ont manqué de cohérence et de constance, et sont le reflet d’une vision un peu trop “urbaine”, éloignée des réalités locales ».
Mil, sorgho et fonio : l’alternative
Le chercheur du Cirad plaide au contraire pour diversifier la réponse et ne pas tout miser sur l’agro-industrie rizicole. « C’est une erreur de penser que des investissements lourds dans les infrastructures pour intensifier la riziculture et améliorer la qualité de la transformation peuvent suffire à mettre en valeur les énormes ressources agricoles dont dispose le continent africain, et assurer la sécurité alimentaire », résume-t-il.
L’Afrique possède en effet des variétés des céréales – dites « indigènes » – tels que le mil, le sorgho, le fonio ou encore le teff, dont les qualités nutritives n’ont rien à envier aux graines occidentales ou asiatiques. Ces dernières se sont imposées dans les habitudes alimentaires lors de la période coloniale, et ont ensuite profité de politiques volontaristes, pour ne pas dire agressives, de la part des pays exportateurs. Une concurrence déloyale qui, dans le cas du blé européen, a été alimentée par les subventions massives accordées aux grands céréaliers dans le cadre de la politique agricole commune.
Pourtant, les semences traditionnelles apparaissent plus adaptées aux écosystèmes secs, qui couvrent 45 % du continent. Au-delà des derniers soubresauts des marchés internationaux, elles pourraient aussi se révéler stratégiques dans l’adaptation aux effets du dérèglements climatiques et dans la lutte contre l’insécurité alimentaire.
Ainsi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), dans son rapport du 28 février, met avant les communautés locales africaines qui ont d’ores et déjà converti leurs champs de maïs pour y planter du sorgho et du mil afin de pallier le manque de pluie. L’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides (Icrisat) en a également fait son cheval de bataille, et milite, au travers de son programme « Smart Food » lancé en 2013, pour les remettre au goût du jour via l’éducation, la recherche et même des émissions culinaires, comme le Smart Food Reality Show diffusé depuis 2017 au Kenya.
Comment les habitudes alimentaires des Africains ont-elles évolué ? Quelle est l’ampleur de la dépendance du continent aux céréales importées ? Pourquoi les céréales rustiques ont-elles été si négligées ? Et comment faire pour renverser la tendance ? Décryptage et pistes de solutions en infographie.