Les chants de Mogador

Entre la cité portuaire marocaine et la musique gnaoua, l’alchimie était, cette année plus que jamais, exceptionnelle.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

A Essaouira, l’antique Mogador, le vent donne le tempo. Du 19 au 23 juin dernier, soufflant fort et sans discontinuer sur la cité fortifiée, il se mêlait en une étrange symphonie aux chants montant de la ville. Cette année encore, les cris des mouettes survolant la baie ont fait écho jusqu’au petit matin aux rythmes débridés du guembri, des castagnettes et autres percussions. Fanions et banderoles, eux, n’ont pas résisté aux outrages des alizés. Et c’est en apothéose que s’est clôturée la 10e édition du Festival gnaoua et musiques du monde, le plus grand rendez-vous musical gratuit du Maroc.
La musique de la confrérie gnaoua, transmise depuis trois siècles par les descendants d’esclaves originaires de l’Afrique noire (Sénégal, Mali, Guinée), a désormais acquis ses lettres de noblesse grâce au festival qui lui est dédié.
Depuis sa création, en 1998, le « Woodstock marocain » connaît une affluence grandissante. De 20 000 festivaliers à ses débuts, il a attiré cette année plus de 450 000 personnes venues de tout le pays – mais aussi de l’étranger – afin d’assister aux rencontres entre les maâlems (maîtres de musique) marocains et les artistes World. Tous les hôtels, riads, maisons d’hôtes et restaurants, qui ont réalisé de nombreux travaux d’aménagement et d’embellissement pour l’occasion, affichaient complet. Ceux qui n’ont pas d’argent mais le sens du rythme ont dormi à la belle étoile ou planté de petites tentes sur la plage qu’ils défaisaient aux premières lueurs de l’aube. Le festival a investi divers lieux de la médina – l’hôtel des Îles, la Sqala, place Orson-Welles, Dar Souiri, Zaouia de H’madcha, etc. – ainsi que la plage avec des scènes electro et after, à ciel ouvert, pour offrir cinq journées et cinq soirées de transes musicales.
À l’affiche de la saison 2007 : 25 groupes gnaouas et 150 musiciens venus du monde entier : de Louis Bertignac (France) à Ray Lema (RD Congo), en passant par le Tunisien Akram Sedkaoui, l’Argentin Minino Garay ou encore l’Italien Paolo Fresu. Expositions, parades de marionnettes géantes, projections de films documentaires, conférences, débats et arbres à palabres étaient également au menu des réjouissances : hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, parents et enfants formaient un public chamarré. Jeans et djellabas, tongs et babouches, voiles et coiffures rastas se confondaient le temps d’une chanson. Posters représentant Che Guevara et tee-shirts à l’effigie de Bob Marley figuraient en bonne place dans les souks et les bazars qui bordent les remparts. Les Souiris s’enorgueillissent de la visite, en 1969, de Jimi Hendrix, attirant à sa suite une communauté hippie venue vivre en osmose avec la population locale. Sans parler des séjours de Cat Stevens et des Rolling Stones au début des années 1970. Le caractère peace & love de cette manifestation est d’ailleurs revendiqué par ses organisateurs. « On se situe aux antipodes des festivals strass et paillettes », précise Neïla Tazi, la directrice de l’agence A3 Communication qui organise le Festival gnaoua depuis sa création.
Également séduites par la manifestation, de nombreuses personnalités ont assisté aux représentations : hommes d’affaires ou politiques, vedettes nationales ou internationales, venus du monde entier aussi bien que de Casablanca, Rabat et Marrakech. À l’instar de l’ex-Premier ministre Ahmed Osman, du ministre des Finances Fathallah Oualalou, de l’ancienne impératrice d’Iran Farah Diba et du comédien franco-marocain Saïd Taghmaoui. Ces VIP apprécient surtout de se retrouver lors des soirées privées données en marge du festival dans les grands hôtels et les riads de luxe. Ce qui n’ôte rien au caractère culturel et populaire du festival.
À cause du risque d’attentats islamistes, un impressionnant dispositif de sécurité (nombreux militaires et policiers, presque autant en civil) était déployé à travers la ville. Mais cette menace ne semblait pas véritablement préoccuper les quelque 450 000 festivaliers. Plus ou moins consciemment, ils l’ont éludée pour profiter pleinement de la fête. « Les gens sont heureux. Ils oublient la pauvreté et les barbus du moins le temps d’un festival », estime Mahmoud, un sémillant sexagénaire venu de Fès avec sa famille pour assister à la grand-messe.
André Azoulay, conseiller royal et président-fondateur de l’association Essaouira-Mogador (à l’origine de la création du Festival gnaoua), ne cache pas sa satisfaction : « Au début des années 1990, la ville était moribonde. Grâce à l’événement, elle a amorcé sa renaissance. Il se produit une alchimie unique entre ce lieu et le festival. L’un et l’autre sont indissociables. » Quel plus bel écrin à cette mégafête de la musique que ce lieu de fusion et de métissage à l’identité à la fois arabe, berbère et séfarade ?
Au lendemain de la clôture des festivités, les ruelles se sont vidées et les instruments ont cessé de vibrer. Le souffle puissant du vent s’est brusquement évanoui comme pour mieux se préparer à la 11e édition.

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