Le Burundi, cahin-caha

Un an après la fin de la guerre civile, les tensions politiques menacent la paix. Et mettent à mal la relance de l’économie.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 5 minutes.

L’après-midi est ensoleillé. Le véhicule tout-terrain en provenance de Kigali, la capitale du Rwanda, s’arrête devant le bâtiment du service d’émigration et d’immigration du sud du pays, à la frontière avec le Burundi.
Dans ce no man’s land, des chèvres broutent allègrement l’herbe. Après avoir franchi un petit pont, sous lequel coulent les eaux brunes d’une rivière, on se retrouve au nord du Burundi, au poste frontalier d’Akanyaru-Haut. Il y a beaucoup plus de monde : des policiers assis près de la barrière, des chauffeurs de taxi, des rabatteurs et tous ceux dont la survie dépend de l’activité de ce lieu de passage. Des camions attendent le feu vert pour repartir. Un taxi blanc déglingué offre ses services, avant de s’engager sur la route nationale 1 qu’automobilistes, cyclistes et piétons se partagent.
Le long de la route qui mène à Bujumbura, la capitale, tout n’est que verdure, champs, produits vivriers, volailles, lapins Le Burundi est avant tout un pays à vocation agricole. La présence discrète de militaires ne parvient pas à faire oublier que la nationale 1 fut, pendant les treize années de guerre civile (1993-2006), le théâtre de violents affrontements entre les belligérants.
Deux longues heures plus tard, le chauffeur de taxi, imitant ceux qui le précèdent, s’arrête soudain sur le bas-côté pour laisser passer un cortège officiel. Entre deux 4×4, un cycliste, vêtu d’un maillot rouge, pédale comme s’il était engagé dans une compétition. « C’est le président de la République », affirme le chauffeur dans un swahili impeccable. « Pierre Nkurunziza ? Non, ce n’est pas possible ! » Le conducteur insiste : « Je vous jure que c’est lui. Il fait ça souvent. » À 44 ans, le président burundais, diplômé en éducation physique et également amoureux de football, se distingue par sa pratique assidue du sport à laquelle il associe régulièrement la population. Au grand dam de ses détracteurs. « Il est simple et populiste à la fois, relève un analyste. Parce qu’il avait rejoint, pendant la guerre, la rébellion malgré lui, il est en quête d’une certaine rédemption. »
L’étonnement passé, le voyage reprend. Après un ultime contrôle douanier, Bujumbura, petite ville remuante aux rues généralement défoncées, apparaît. Les bâtiments, modestes, témoignent de toutes les souffrances endurées. Les travaux collectifs imposés par le chef de l’État tous les samedis matin n’ont pas encore donné de résultat. Ici, la vie est chère, l’informel roi et le chômage déguisé. Les plus déshérités empruntent le vélo-taxi pour se déplacer. Le salaire minimum garanti n’existe pas. Le café, seul grand produit d’exportation, est sans cesse victime de la fluctuation des cours. La production est passée de 36 000 tonnes en 2006, à 10 000 cette année. Depuis cinq ans, la croissance ne dépasse pas les 6 %.
Tout n’est cependant pas sombre dans le pays. À en croire Prime Nyamoya, administrateur-directeur général de la Banque de crédit de Bujumbura (BCB), le secteur bancaire longtemps en crise (cinq établissements ont fait faillite en seulement dix ans) relève peu à peu la tête. L’investissement immobilier, quant à lui, est en plein boom, grâce notamment à l’apport des Burundais de l’extérieur. « Si on investit dans les infrastructures sociales et économiques, si on réhabilite les entreprises, le pays peut décoller. Il a des atouts : son climat et la forte densité de sa population », souligne Prime Nyamoya.

Mais à Bujumbura, la question qui est sur toutes les lèvres concerne davantage l’avenir du président. Nkurunziza finira-t-il son mandat ? Déclenchée l’année dernière, la crise politique s’est aggravée en mars après l’éviction et l’arrestation de Hussein Radjabu, l’ancien patron du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir. Et la dissidence d’une vingtaine de députés du CNDD-FDD, qui lui ont ainsi fait perdre sa majorité à l’Assemblée nationale.
Profitant de l’aubaine, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), la deuxième force politique du pays, a décidé d’en découdre avec le gouvernement, en réclamant six postes ministériels, des éclaircissements sur la vente au rabais de l’avion présidentiel et sur des affaires relatives à des massacres de réfugiés congolais à Gatumba (ouest) en 2004 et des exécutions extrajudiciaires à Muyinga (nord), en 2006, dans lesquels seraient impliquées les forces de sécurité burundaises. En outre, le Frodebu, tout comme les dissidents du CNDD-FDD, a déserté l’Assemblée nationale, paralysée faute de quorum, et agité la menace d’une destitution du président Pierre Nkurunziza, élu par le Parlement.
« Le chef de l’État, qui ne pense qu’à prier ou jouer au football, ne s’occupe pas des vrais problèmes, lance Léonce Ngendakumana, le président du Frodebu. Il croit que Dieu va tout régler. Il s’est entouré d’un groupe de militaires sans aucune vision politique mais qui décide à sa place. » Il s’agirait, selon plusieurs sources, de l’aile dure du CNDD-FDD, à la base de la rupture entre Nkurunziza et Radjabu, composée des généraux Adolphe Nshimirimana, chef des services de renseignements, Alain-Guillaume Bunyoni, patron de la police nationale, et Évariste Ndayishimiye, ministre de l’Intérieur.

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« Le parti, c’est la base, et non ceux qui s’agitent », minimise Jérémie Ngendakumana, président du CNDD-FDD. Selon lui, le Frodebu, qui l’accuse d’intimider et de soudoyer certains de ses membres, veut tout simplement nuire : « Durant la guerre civile, il voulait faire de nous son bras armé, mais nous avions refusé. N’ayant jamais digéré notre victoire de 2005, il a peur d’une nouvelle déroute, surtout si, avec l’aide financière de nos partenaires, nous arrivons à tenir nos promesses face aux Burundais. » À l’issue d’une table ronde organisée à Bujumbura les 24 et 25 mai, les bailleurs ont en effet promis de débourser 665,6 millions de dollars dans le cadre du Programme d’actions prioritaires 2007-2010, dont 175,2 millions de dollars pour les appuis budgétaires.
Mais en réalité, la crise politique ne profite à personne. Ni au camp présidentiel, très affaibli, ni au Frodebu, qui risque d’y perdre des plumes. Ses députés le savent, qui ont fini par retrouver, le 26 juin, les bancs de l’Assemblée afin de débloquer la situation. Sans pour autant tirer un trait sur les griefs adressés à l’encontre du chef de l’État. Le 27, Nkurunziza recevait les présidents du CNDD-FDD, du Frodebu et de l’Union pour le progrès national (Uprona). Ce dialogue va certainement déboucher sur un remaniement du gouvernement.

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