Quand Édouard Glissant rend visite à J.A.

Écrivain français de 78 ans, Édouard Glissant a honoré par sa présence la conférence de rédaction du 18 juin de Jeune Afrique.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

« Difficile de trouver un taxi à Paris le lundi matin. » Ceci expliquant cela, Édouard Glissant est arrivé avec un peu de retard à la conférence de rédaction de Jeune Afrique du 18 juin. Mais l’écrivain martiniquais a vite conquis les collaborateurs du journal par sa grâce et par la profondeur de ses réflexions sur la pratique du journalisme (« Les affaires du monde mériteraient peut-être un peu plus d’inquiétude que n’en témoignent les journalistes en général »).

C’est avec un intérêt manifeste qu’il a participé aux échanges parfois un peu techniques sur les forces et les faiblesses du numéro (le 2423) de l’hebdo qui venait de paraître (« Le message fort du cinéma de Sembène Ousmane ne se limite pas à la narration réaliste à laquelle on le réduit ») ou sur la fabrication du numéro suivant, rappelant qu’il a été lui-même pendant dix ans le directeur du Courrier de l’Unesco. « Un magazine que j’ai dirigé d’une manière quasi dictatoriale », confie-t-il.

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Bel homme de 78 ans, Glissant est un colosse souriant. Né en 1928 à Sainte-Marie, dans le nord-est de la Martinique, le jeune Glissant a fait ses études au lycée Schoelcher de Fort-de-France, avant de partir pour la métropole à 18 ans, le bac en poche. Il y poursuit des études de philosophie, tout en militant activement contre la colonisation mais aussi contre la départementalisation des Antilles défendue alors à l’Assemblée nationale française par un député de la Martinique qui n’était autre qu’Aimé Césaire.

Bouillon de cultures

C’est au cours de cette période formatrice de l’après-guerre que Glissant publie ses premiers recueils poétiques (Un champ d’îles, La Terre inquiète, Les Indes), qui puisent leur inspiration dans la terre natale du poète et rappellent par leur puissance évocatrice et par leur amplitude la poésie de Saint-John Perse. De son propre aveu, c’est dans la créolisation à l’œuvre dans les Antilles qu’il a trouvé la véritable matière de sa poésie. Elle est aussi le point de départ de sa réflexion sur le devenir du monde moderne. « Aux Antilles, écrit-il dès 1956, […] on peut dire qu’un peuple positivement se construit. Née d’un bouillon de cultures, dans ce laboratoire dont chaque table est une île, voici une synthèse de races, de mœÂurs, de savoirs, mais qui tend vers son unité propre. »

Les Antilles créolisées sont le laboratoire du monde de demain qui sera lui aussi, estime Glissant, le produit du métissage de langues, de cultures et de pensées. Rejetant l’identité atavique qu’il désigne par le néologisme « identité-racine » à l’œuvre tant dans l’impérialisme européocentriste que dans les réactions telles que la négritude ou l’afrocentrisme que celui-ci a suscitées, il appelle de ses vœux l’avènement d’une « identité-rhizome » fondée sur l’ouverture aux autres.

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L’originalité de la pensée de Glissant consiste à imaginer le monde non comme une entité monolithique, mais comme des éclatements nés d’un choc de cultures et d’identités particulières qui préservent leur spécificité.

Poète et philosophe (« Ce ne sont pas deux fonctions incompatibles, même si c’est parfois un peu compliqué de les assumer en même temps »), Édouard Glissant est aussi romancier. C’est d’ailleurs La Lézarde, sorti au Seuil en 1958 et couronné par le prix Renaudot, qui l’a fait connaître du grand public. Les livres qu’il a publiés tout au long de sa longue carrière d’écrivain sont avant tout des récits philosophiques dans la tradition française, des fables où le récit est un prétexte pour mettre en scène les concepts chers à l’auteur : le tout-monde, le chaos-monde (Voir l’interview dans J.A. n° 2420.)

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Édouard Glissant partage aujourd’hui sa vie entre la Martinique, Paris et New York, où il enseigne la littérature française, cette littérature dont ?il est devenu l’une des principales et, dit-on, « nobélisables » figures !

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