Don Juan, sa maîtresse et le professeur

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Ce n’est peut-être qu’une tempête dans un verre d’eau. Mais une tempête qui risque de continuer à faire des vagues. À la fin du mois de mai, le Pr Bassirou Kassim Minta, enseignant dans un établissement privé de Bamako, demande à une classe d’élèves de 16 ans de faire le résumé puis le commentaire d’un texte quelque peu irrévérencieux.
Il s’agit de l’histoire – imaginaire – de Dily, une jolie prostituée qui « se retrouve lors d’une de ses escapades charnelles entre les griffes du président de la République jusqu’à ce que grossesse s’ensuive ». Pour faire reconnaître son enfant, Dily n’hésite pas à interrompre une réunion du Conseil des ministres. Et le président « n’a d’autre choix que de céder en promettant de demander ?la main de sa maîtresse ».
De quel président s’agit-il ? Le texte ne le dit pas, le personnage étant désigné sous le nom de « Don Juan ». Mais nous sommes au Mali et, naturellement, tout le monde pense à l’actuel locataire du palais de Koulouba, Amadou Toumani Touré (ATT).
Le 1er juin, le quotidien Info Matin en fait sa une sous le titre : « Lycée Nanaïssa Santara : la maîtresse du président de la République ! » Avec, pour faire bonne mesure, un dessin représentant Dily brandissant son bébé en plein Conseil des ministres. Deux semaines plus tard, le 14 juin, Sombé Théra, un procureur de la République, fait arrêter l’enseignant et l’auteur de l’article, Seydina Oumar Diarra, pour « offense au chef de l’État » et « complicité ». Aussitôt, la presse malienne se mobilise. Reporters sans frontières aussi. Communiqués et manifestations se multiplient, tandis que l’opposition dénonce une dérive autoritaire du régime. Même les bailleurs de fonds s’inquiètent
Le 26 juin, les juges de Bamako prononcent des peines relativement légères : deux mois de prison ferme pour le professeur – assortis d’une interdiction d’enseigner, ce qui n’est pas rien -, et treize jours de détention pour le journaliste d’Info Matin, qui ressort libre du tribunal. Quatre directeurs de publication, dont trois avaient repris ou commenté l’article « délictueux » en signe de solidarité, sont en outre condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis.
Aujourd’hui, le calme est revenu à Bamako, mais l’affaire a laissé des traces. Beaucoup n’arrivent pas à comprendre que l’évocation des amours d’un président imaginaire ait pu provoquer un tel charivari judiciaire. « Le président n’a rien à voir dans tout cela », s’indigne Me Mountaga Tall, l’un des porte-parole d’ATT lors de la présidentielle du mois d’avril. « Je n’ai reçu aucun ordre et, quand j’ai engagé des poursuites, je l’ai fait de ma propre initiative », se défend pour sa part le procureur.
« Difficile à croire, rétorque Me Amidou Diabaté, ancien ministre de la Justice et président de la Commission malienne des droits de l’homme. Logiquement, tout cela doit venir de la présidence. D’ailleurs, si celle-ci n’était pas dans le coup, elle aurait donné l’ordre d’arrêter les poursuites au lendemain des arrestations du 14 juin. »
En fait, on murmure dans les milieux bien informés que le palais de Koulouba aurait vu dans la fable de « La Maîtresse du président » une manuvre de l’opposition pour déstabiliser le chef de l’État avant les législatives du 1er juillet. C’est pourquoi le professeur a été interrogé par la Sécurité d’État sur ses éventuels liens familiaux avec l’un des dirigeants de l’opposition. Peut-être ATT a-t-il voulu aussi adresser un avertissement aux journaux maliens tentés de s’intéresser d’un peu trop près à sa vie privée. Au bout du compte, il s’est aperçu que cette affaire écornait l’image de la démocratie malienne et a décidé de calmer le jeu. Comme dit Me Tall, « le parquet dans ses réquisitions n’a pas demandé des peines excessives, ce qui démontre une volonté d’apaisement ».
Reste, bien sûr, qu’une question est sur toutes les lèvres : le président a-t-il, oui ou non, quelque chose – ou quelqu’un – à cacher ? À Bamako, les rumeurs vont bon train. Un haut fonctionnaire commente : « Nous, les Africains, nous sommes des gens à maîtresses. Alors, nous ne voulons pas que la presse annonce chaque matin que l’un d’entre nous est parti avec telle ou telle dame. Nous sommes contre parce que nous ressemblons trop à ce président imaginaire. »

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