Deux nominations

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 6 minutes.

Nous entamons aujourd’hui le second semestre de l’année 2007, et il commence bien pour George W. Bush.
Ses guerres d’Afghanistan et d’Irak sont un fiasco, certes, mais sur deux autres fronts, qui nous concernent tout autant, le président des États-Unis vient de montrer qu’il détient l’initiative et a le dernier mot.
Je veux parler de deux nominations importantes et de retentissement international : celle de Robert Zoellick à la présidence de la Banque mondiale et celle de Tony Blair comme « resident general » du Quartet pour la Palestine.
Un premier commentaire s’impose : il n’aurait pas dû revenir au président des États-Unis de décider qui occuperait ces deux fonctions ni même de proposer des noms.
Or il l’a fait et a même pu imposer ses choix…
Allons plus loin et examinons ces deux cas l’un après l’autre.

Robert Zoellick prend la place évacuée le 30 juin par son compatriote Paul Wolfowitz. Il est, depuis ce 1er juillet, le nouveau président de la Banque mondiale – et le deuxième choisi par George W. Bush.
Son itinéraire, les témoignages de ceux qui l’ont « pratiqué », ce qu’il a fait et dit au cours des dernières semaines, montrent que Robert Zoellick a les capacités requises par la fonction.
Il s’était d’ailleurs proposé pour le poste au début de 2005. Mais Bush lui avait alors préféré le « néocon » Paul Wolfowitz, qu’il entendait récompenser pour son loyalisme et les services rendus dans la guerre d’Irak.
Le monde entier a accepté, sans un murmure ni un soupir, que soixante ans après la création de la Banque mondiale le président de cette institution internationale de développement qui compte 185 États membres soit choisi d’abord pour sa nationalité américaine, ensuite pour sa loyauté et les services qu’il a pu rendre à l’un des deux partis politiques des États-Unis

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Le pire était cependant à venir : le choix de Paul Wolfowitz par George W. Bush s’étant révélé si mauvais qu’il a conduit la Banque à la paralysie, on a hésité à demander à George W. Bush de changer de cheval et il y a rechigné ; on a eu beaucoup de mal et mis trop de temps à obtenir ce changement et, surtout, nul n’a osé mettre en cause son droit (non écrit) de désigner l’homme (ou la femme) que le Conseil de la Banque n’a plus qu’à adouber.
Les Européens et les Américains, qui veulent le maintien de cette anomalie ou, à tout le moins, s’en accommodent, se rendent-ils seulement compte qu’ils font très exactement ce dont ils font grief aux pays sous-développés, ou même à l’ONU et à ses agences : des nominations qui ne doivent rien au mérite ou à la compétence, et tout à la loyauté de type tribal et au donnant-donnant entre États ou groupes d’États ?
Aux Américains la présidence de la Banque mondiale pour que les Européens gardent la direction générale du Fonds monétaire international (FMI).
Ce donnant-donnant scandaleux n’a que trop duré.

Dans cinq ans pour l’un et beaucoup plus tôt pour l’autre, la communauté internationale se trouvera en situation de désigner les successeurs de Robert Zoellick et de son homologue du FMI (Rodrigo de Rato y Figaredo) : le monde aura accompli un grand pas dans la bonne voie si ces successeurs sont choisis non pas en fonction de leur nationalité, mais de leurs mérites, parmi des candidats venus du monde entier.

Tony Blair. Sur la suggestion de Condoleezza Rice, dit-on, George W. Bush a demandé à Tony Blair, avant même qu’il ne soit disponible (le 27 juin), de devenir le monsieur Moyen-Orient du Quartet (États-Unis, Europe, Russie, Nations unies), plus exactement son resident general pour la Palestine, et Tony Blair a accepté.
Le Premier ministre d’Israël, Ehoud Olmert, et la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, ont applaudi des deux mains : ils savent tous les deux que Tony Blair, ami fidèle d’Israël, est l’homme d’État étranger le plus aimé des Israéliens.
Les dirigeants européens ont réagi plus ou moins bien ; le plus tiède a été Vladimir Poutine, mais il n’a pas estimé de son intérêt de récuser le Britannique.
Quant à Mahmoud Abbas et aux autres dirigeants arabes, on leur a dit : « Vous verrez, ce sera bien pour vous aussi », et, comme d’habitude, ils se sont inclinés.

Pourquoi Tony Blair a-t-il accepté ? Pourquoi cet homme intelligent et expérimenté choisit-il, en juin 2007, après avoir été dix années durant le premier Britannique, plutôt que le repos, le rôle obscur et ingrat d’émissaire du Quartet pour la Palestine, une aventure où il n’y a que des coups à prendre ?
Pourquoi se convertit-il, à 54 ans, au catholicisme ? Que cachent son éternel sourire et le discours qu’il a facile ?
Il y a là, comme dirait Winston Churchill, l’illustre prédécesseur de Tony Blair, « une devinette enveloppée dans un mystère à l’intérieur d’une énigme ».
Je vous soumets modestement mon explication de ce mystère et je vous demande de la prendre pour ce qu’elle est : l’hypothèse de travail, le fruit de l’observation d’un homme qui pense savoir de quoi il parle.

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À mon avis, Tony Blair n’a pas été « le caniche » de George W. Bush, comme on a pu le penser, mais son maître à penser. Il ne défend pas les intérêts de l’Israël de Sharon et d’Olmert, comme il en a donné l’impression : ce sont plutôt eux qui servent son dessein idéologique. En acceptant d’être l’émissaire du Quartet, cet homme volontaire, héritier d’une grande tradition, entend continuer la politique qu’il a menée depuis le 10 Downing Street à un autre niveau et par d’autres moyens.
Cette politique est celle-là même que son pays a conduite dans le monde musulman, du temps où, grande puissance impériale, il était le maître de la planète.
Admirateur de l’islamologue américain Bernard Lewis, Tony Blair s’est contenté d’adapter la politique de la « perfide Albion » à la situation créée par l’irruption d’al-Qaïda dans les affaires mondiales et par l’émotion universelle suscitée par l’attentat réussi du 11 septembre 2001 contre New York et Washington.
Le successeur de Margaret Thatcher a dit à George W. Bush ce qu’elle a dit à son père, en août 1990, au lendemain de l’occupation par Saddam Hussein du Koweït : « Il ne faut pas se laisser faire ; il faut leur rentrer dedans. »

Cela a conduit à la décision – anglo-américaine – d’occuper l’Irak, après l’Afghanistan, pour y installer des régimes étroitement contrôlés.
Et, simultanément, à élaborer une stratégie mondiale inspirée de celle qui a permis de gagner la guerre froide et qui s’énonce ainsi :
– Al-Qaïda n’est pas une excroissance sur le corps de l’islam, une tumeur qu’on peut extirper : elle est partie intégrante de la communauté musulmane.
Nous ne pouvons par conséquent ni la vaincre, ni la désarmer, ni la réduire si nous ne nous attaquons pas au corps tout entier.
– L’islam ne se divise pas seulement en extrémistes et modérés, mais aussi en sunnites et chiites, en Arabes et Perses, Turcs, Kurdes et autres.
Les Arabes, eux-mêmes, sont divisés en gens du Machrek et gens du Maghreb. Les Africains en nord et subsahariens.
Utiliser ces divisions, les approfondir, en susciter d’autres est nécessaire à la victoire contre le terrorisme.
C’est ce que Bush et Blair se sont employés à faire depuis 2004…

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La désignation de Tony Blair pour s’occuper de la Palestine pour le compte du Quartet et son acceptation de la mission font partie de cette stratégie.
Il se rendra au Moyen-Orient dès ce mois de juillet, mais il s’installera à Jérusalem plus tard, en septembre prochain, avec un double objectif :
– faire que Mahmoud Abbas devienne à la Palestine ce que Hamid Karzaï est à l’Afghanistan : le président nominal d’un pays sous perfusion, privé d’une partie de ses forces vives ;
– réduire le Hamas à n’être, pour la Palestine, que ce que les talibans sont à l’Afghanistan : une force extérieure combattue par une coalition.

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