Colonisation et émigration : le trait d’union

Alors que l’Europe ferme ses portes aux migrants africains, un sociologue tunisien évoque sa dette envers les pays dominés.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 3 minutes.

Au moment où la « gestion migratoire » se confirme de plus en plus comme une dimension structurelle, donc incontournable de la problématique mondiale, c’est le conjoncturel qui prédomine avec ses lots de paradoxes, d’incohérences et d’amalgames. Or la mobilité des personnes fait problème et certaines parties concernées semblent vouloir la concevoir comme jadis, souple, bon marché et à usage limité.
Aujourd’hui, le passé colonial ne fait plus référence que comme « mission civilisatrice », jamais comme une invasion, du moins comme une immigration arme à la main ! La présence française en Afrique du Nord est, à ce sujet, exemplaire.

Dans une lettre ouverte à Henri Guernut (député et vice-président du comité de la Ligue française des droits de l’homme) publiée dans l’Action tunisienne du 5 mai 1933, Habib Bourguiba écrivait : « Une minorité d’immigrants croit pouvoir, grâce à un régime dictatorial basé sur l’inégalité et les privilèges, transformer de fond en comble la physionomie de ce pays, et, d’un État musulman, autonome, ayant toutes ses caractéristiques nationales, faire un département français, un prolongement de la métropole. »
Désormais l’histoire est plus que jamais édifiante quant à cette énorme injustice. Même ceux qui ont un relent de nostalgie et l’ont qualifiée de « positive », entendre bénéfique, ont vite fait de se remettre à cette même logique de l’histoire qui réclame un « devoir de mémoire » et pourquoi pas un devoir de « repentance ».
Jean Rous écrivait à juste titre : « L’objectivité ne peut être que l’antichambre de l’intelligence. Les faits les plus têtus peuvent ne rien signifier pour quiconque n’est pas pénétré des quelques vérités fondamentales qui dominent tout à la fois cette affaire et notre époque. » (Tunisie Attention, éd. Deux rives, 1952)
Non seulement il y a un devoir de mémoire, ce qui est du reste une obligation éthique ; mais aussi un devoir de compensation de cette « dette » contractée auprès des pays dominés et spoliés.
Encore que la vraie compensation due, et même reconnue, est impossible à faire. Car comment peut-on compenser l’appauvrissement culturel, intellectuel et civilisationnel : l’indigénat qui a maintenu attachées, arrimées aux bas-fonds de l’ignorance, de l’inculture et du dénuement intellectuel des populations entières ?
Et c’est peut-être là la dette colossale de laquelle les pays colonisateurs ne pourront jamais, quoi qu’ils fassent, se défaire, et partant libérer leur conscience, tant il est vrai que la cicatrice est profonde, qu’elle est à jamais indélébile et que son dépassement est tributaire de la reconnaissance d’un fait majeur : l’Europe s’est faite puissante après les dégâts des deux guerres, grâce aux ex-colonies. L’Europe coloniale ne s’est pas pour autant acquittée de sa dette. Pas encore.
Aujourd’hui, les bonnes intentions parlent de co-développement. À dessein d’ailleurs afin de contrer « l’invasion » des ex-« indigènes de la République », l’immigration illégale des descendants de ceux qui ont participé à la libération de la métropole.
Mais alors pourquoi n’y a-t-on pas pensé au moment opportun, c’est-à-dire comme solution palliative à l’arrêt unilatéral de l’immigration au milieu des années 1970 ? Plus de trois décennies de retard, pendant lesquelles la politique de l’aide au retour n’a pas donné les résultats escomptés et la recherche des solutions adéquates se résumait, hélas, à l’invention de concepts interchangeables qui, bien que porteurs d’espérance, restent sans « âme ».

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Effectivement, on passe du partenariat à la politique de voisinage (encore une mystérieuse inconnue) et voilà que l’on déterre une idée, aussi vieille que le décevant processus de Barcelone : l’Union méditerranéenne. Jean Rous rappelle, d’ailleurs, non sans ironie, que le traité de protectorat du 12 mai 1881 s’est appelé aussi « traité d’amitié et bon voisinage » !

* Ali Jaouani est attaché de cabinet du ministre tunisien des Affaires sociales.

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