Bolloré met le cap à l’est

Très implanté en Afrique de l’Ouest, le leader français de la logistique se déploie à l’autre extrémité du continent.

Publié le 2 juillet 2007 Lecture : 4 minutes.

L’issue de la bataille pour le port de Dakar n’est pas vraiment une surprise. Trois offres concurrentes s’opposaient pour la concession du terminal à conteneurs de la capitale sénégalaise : celle réunissant les groupes français Bolloré et CMA-CGM, celle du danois Maersk et celle de Dubai Port World (DP World). Depuis quelques années, le Sénégal – qui va accueillir en mars 2008 le prochain sommet de l’Organisation de la Conférence islamique – est l’objet de toutes les attentions de la part des investisseurs des pays du golfe Arabo-Persique. Après avoir désigné DP World adjudicataire provisoire, les autorités sénégalaises invoquent la nécessaire mise en concurrence. Ce résultat est pourtant contesté par le groupe présidé par Vincent Bolloré, qui affirme avoir présenté la meilleure offre. Celle de Dubai Port serait estimée à 382 millions d’euros, contre 500 millions pour le consortium français.
Dénonçant un manque de transparence, Bolloré a introduit, le 15 juin, un recours administratif auprès du ministère sénégalais de l’Économie maritime. « C’est une situation que nous regrettons, affirme Dominique Lafont, le directeur général Afrique. Nous avons décidé de continuer de nous battre. Nous avions la meilleure offre. Nous voulons savoir pourquoi elle a été écartée. » Cet échec fait d’autant plus mal que le Sénégal est historiquement la première place forte de Bolloré, depuis plus de quatre-vingts ans. Il emploie dans le pays 1 600 personnes. Il opère dans la logistique, le transit, le stockage, le tourisme, le courrier express et le déménagement, et réalise 40 % de son chiffre d’affaires dans la branche manutention portuaire. Selon l’Agence France presse, qui cite une source proche du groupe à Dakar, 500 emplois seraient menacés du fait de la décision d’octroyer la concession à Dubai.
Le revers de Dakar est bien évidemment un coup dur pour Bolloré. Mais il souligne aussi clairement que l’Afrique francophone n’est plus la chasse gardée des entreprises françaises. Il conforte et justifie a posteriori les nouveaux choix stratégiques de l’entreprise : l’Afrique est désormais considérée comme une zone géographique unique. Conscient du véritable potentiel qu’offrent les pays anglophones, conscient surtout que le groupe doit plus que jamais affronter une vive concurrence, y compris sur les marchés « historiques », sa Division terrestre internationale (DTI), qui regroupe toutes les activités logistiques, s’emploie à rééquilibrer les flux d’investissements entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est. Aujourd’hui, la DTI est présente dans 41 pays africains. À travers plusieurs marques, SDV, Saga, Socopao, Antrack et Afritramp, elle propose une large palette de prestations : manutention portuaire, consignation de navires, transit, entreposage, transport terrestre. Les activités de Bolloré sur le continent représentent 1,1 milliard d’euros, soit près de 20 % du chiffre d’affaires total. Elles s’appuient sur un maillage unique de 241 agences, de Dakar à Mombasa et du Cap à Tunis. Et le groupe gagne de l’argent en Afrique. En 2006, son résultat d’exploitation a été de 70 millions d’euros.
Cette « vision stratégique globale » vise à faire de Bolloré un opérateur de référence et le leader en Afrique dans le domaine de la logistique, du transport terrestre et de la gestion des terminaux portuaires. Un mot fétiche résume cette stratégie. C’est celui de « corridor », qui désigne, à l’import ou à l’export, le transport d’une quantité de marchandises depuis un port jusqu’à son destinataire. Le corridor idéal est celui qui s’appuie sur la gestion d’un terminal à conteneurs. Pour Bolloré, c’est le cas à Abidjan (Côte d’Ivoire), à Cotonou (Bénin), à Douala (Cameroun), à Tema (Ghana) et à Tincan (Nigeria). Dakar aurait contribué à renforcer ce positionnement stratégique idéal en Afrique de l’Ouest. Souvent placé en concurrence, Bolloré opère parfois en partenariat avec Maersk. C’est le cas des terminaux à conteneurs de Douala et d’Abidjan (terminal de Vridi). Soulignons aussi, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, la complémentarité avec le chemin de fer (voir encadré).
Toutefois la fluidité d’un corridor n’est jamais garantie. Les infrastructures routières et ferroviaires sont souvent en mauvais état. La traversée des frontières ne se fait pas toujours sans écueil. Les crises sociopolitiques comme celle qui a paralysé la Côte d’Ivoire, les conflits armés dans la région des Grands Lacs, dans l’est du Congo ou encore au Soudan, sont autant d’obstacles à contourner. Et pourtant, la plupart des corridors se sont développés de manière plutôt favorable pour constituer un maillage incomparable, avec une flotte de 1 200 camions et 2 000 remorques qui traversent des distances longues de 1 500 à 3 000 km. C’est particulièrement le cas en Afrique de l’Est avec le corridor RD Congo-Mozambique et une boucle reliant Dar es-Salaam (Tanzanie) à Mombasa (Kenya), via Bujumbura (Burundi), Kigali (Rwanda) et Kampala (Ouganda). D’autres pays ont en outre ouvert leurs portes à Bolloré qui y a installé de nouvelles bases logistiques : Namibie, Djibouti, Mozambique, Mauritanie, Éthiopie et Guinée-Bissau. Le groupe investit environ 100 millions d’euros par an pour étoffer ce réseau, et ce budget va être dépassé en 2007. Les parts de marché varient aujourd’hui de 25 % à 50 % en Afrique francophone et de 5 % à 15 % en Afrique de l’Est. Si la position en Afrique du Sud demeure faible (1 % du marché), deux acquisitions de transporteurs routiers en vue pourraient la renforcer prochainement. Preuve qu’il ne recule devant aucun terrain, Bolloré a aussi implanté une base logistique depuis un an à Juba au Sud-Soudan, désormais relié au port de Mombasa.

100 millions d’euros ?pour étoffer le réseau
Lorsqu’en 2005 Bolloré cède l’armateur Delmas à CMA-CGM, beaucoup ont commenté le signe d’un désengagement du groupe. On a vu qu’il n’en est rien. D’un point de vue stratégique, explique-t-on au siège du groupe, « Delmas était 24e mondial. Sachant que CMA-CGM, le numéro un mondial, représentait plus de 20 % du marché, Delmas n’avait tout simplement pas la taille critique pour pouvoir envisager un développement autonome harmonieux dans les prochaines années ». Toutefois, pour desserrer la contrainte de la dépendance par rapport à Delmas, le groupe Bolloré a établi un partenariat avec CMA-CGM, qui fait de lui son manutentionnaire sur l’ensemble des ports africains dans lesquels il est actif. La synergie se veut sans faille.

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