Aliko Dangote futur roi du pétrole ?  

Après dix ans de chantier, le magnat nigérian achève sa méga-raffinerie. JA revient sur ce projet hors norme, dont la réalisation a rencontré bien des obstacles financiers, techniques et politiques.  

Le 22 janvier, Aliko Dangote (à g.) recevait la visite du président de la BAD, Akinwumi Adesina, dans sa raffinerie de Lekki, qui a nécessité un investissement de quelque 20 milliards de dollars.

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Publié le 1 avril 2022 Lecture : 6 minutes.

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Les 500 premières entreprises africaines en 2022

La 23e édition du Top 500 porte les stigmates de la pandémie. Ce classement exclusif fondé sur les performances de 2020 – on était alors au plus fort de la tourmente – le reflète. Les grandes entreprises ont subi un choc inédit.

Sommaire

Le 18 janvier dernier, Aliko Dangote invitait le président de la BAD, Akinwumi Adesina, à faire à Lekki le tour de sa méga-raffinerie et de son complexe pétrochimique. En chemise, casque sur la tête, les deux hommes parcourent l’immense chantier où les ouvriers mettent la dernière main aux installations. L’ensemble devrait être opérationnel à la fin de 2022, après six mois de tests et de mise en service. Le milliardaire nigérian peut enfin savourer l’aboutissement d’un projet dont le planning et le budget n’ont cessé de glisser depuis son lancement, il y a dix ans.

Estimé à 9 milliards de dollars au départ, l’addition a plus que doublé, atteignant finalement 19 milliards. Mais aucun effort n’est trop important pour cette initiative qui peut changer la donne, booster le développement de l’Afrique et approfondir son intégration régionale, estime la BAD, qui a participé à son financement. « Je suis estomaqué par l’ampleur de ce que je vois ici. C’est un complexe de classe mondiale qui peut rendre fier le Nigeria et l’Afrique », a réagi Akinwumi Adesina, avant d’ajouter avec emphase à l’adresse du promoteur, dont il est proche : « Tous nos pays ont besoin d’avoir un Aliko Dangote pour aider le continent à s’industrialiser. »

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Un plaidoyer pour le continent

La raffinerie va en effet répondre à de multiples défis, à commencer par briser la malédiction des ressources naturelles, qui fait que l’exportation de pétrole brut ne profite guère aux économies africaines. Selon le gouverneur de la Banque centrale, Godwin Emefiele, ce site permettra en outre au Nigeria d’économiser « environ 3 milliards de dollars » par an sur ses importations de produits raffinés. La raffinerie aura une capacité de production de 650 000 barils de brut par jour. Aliko Dangote voit son projet industriel comme un plaidoyer pour le continent. « On pense souvent que l’Afrique n’est pas un lieu où l’on peut faire des affaires, a-t-il confié à Jeune Afrique. Nous sommes l’entreprise qui peut convaincre les gens de croire en l’Afrique et d’y investir. D’autres verront notre réussite et suivront l’exemple. »

Compte tenu de l’ampleur des réalisations, l’escalade des coûts et les retards successifs n’ont rien de surprenant. Le site comprend 130 kilomètres de routes, et l’ensemble représente sept fois la taille de Victoria Island, le prospère quartier d’affaires de Lagos. Situé dans la zone franche de Lekki, c’est une véritable cité industrielle, qui connecte 19 unités (tours de craquage, centrale électrique, complexe d’éthylène, installations de raffinage et station d’épuration). Sans compter l’usine d’engrais, en service depuis quelques mois.

Environ 80 % du terrain était constitué de marais.

Trente cylindres bleu foncé d’une contenance de 60 millions de litres se trouvent sur le rivage, formant un parc de stockage de pétrole, d’essence, d’éthanol et d’autres dérivés. Les tuyaux de cet ensemble plongent sous la surface du sol et ressortent à 5 kilomètres au large, soutenus par trois bouées afin d’être raccordés à des pétroliers géants de 120 tonnes.

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Calendrier bousculé

Cette gigantesque usine a été dressée sur une zone humide à l’aide des plus grandes dragues existant au monde. Le remblayage a pris quinze mois. « Environ 80 % du terrain était constitué de marais, se souvient Aliko Dangote. Nous l’avons surélevé de 1,5 m. » Dangote Industries a engagé une entreprise chinoise pour tasser le terrain. Ensuite, des fondations constituées de quelque 150 000 pilotis ont été installées à 25 m de profondeur et remplies de pierres – là encore, la plus grande quantité jamais utilisée pour un projet.

La raffinerie d’abord prévue dans l’État de Ogun a failli ne pas voir le jour en raison de désaccords avec le gouverneur. Dangote avait déjà levé plus de 3milliards de dollars, et malgré ses défauts le site de Lekki s’est imposé. « Tout d’abord, être à Lagos avait du sens car cette ville concentre 60 % du marché, justifie Aliko Dangote. Par ailleurs, si nous avions encore changé de site, nous n’aurions pas pu réaliser le projet car les banques auraient demandé qu’on leur rende leur argent ! »

Soutenir les entreprises qui créent de la richesse localement, c’est la seule voie possible pour générer durablement de la croissance.

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Après les retards liés à la taille du projet et à son emplacement, un nouvel obstacle inattendu est survenu au début de l’année 2020 : la pandémie de Covid-19. De nombreux employés chinois du groupe, retournés dans leur pays d’origine pour célébrer le Nouvel An, n’ont pas voulu retourner au Nigeria. Les dimensions monumentales de certaines pièces – plus de 3 000 tonnes pour l’une d’entre elles – a par ailleurs obligé le groupe Dangote à construire son propre quai. Encore une dépense imprévue.

Certaines pièces sont monumentales : les plus impressionnantes pèsent plus de 3 000 tonnes. © REUTERS/Temilade Adelaja

Certaines pièces sont monumentales : les plus impressionnantes pèsent plus de 3 000 tonnes. © REUTERS/Temilade Adelaja

Mais la plus sérieuse de toutes les difficultés reste à surmonter et est d’ordre autant politique qu’économique. La raffinerie Dangote vient perturber un système qui génère en toute opacité plusieurs milliards de dollars par an de revenus pour une multitude d’intermédiaires. L’homme d’affaires défend l’impact de son projet et la nécessité de faire bouger les lignes. « Soutenir les entreprises qui créent de la richesse localement, c’est la seule voie possible pour générer durablement de la croissance et sortir les gens de la pauvreté », insiste Aliko Dangote. Comment s’y prendre ? « En produisant au moins autant que ce que l’on consomme avant de songer à exporter. »

Faire bouger les lignes

Pour illustrer son propos, il puise dans l’histoire de son propre groupe. « Au moment où nous avons commencé à intervenir dans le secteur du ciment, le Nigeria en produisait moins de 2,4 millions de tonnes, et, avec toute la demande excédentaire, nous en importions 8 à 9 millions, ce qui n’était pas tenable. » Aujourd’hui, le Nigeria n’est plus dépendant des importations. Ses détracteurs lui opposent que cette nouvelle donne ne profite pas totalement aux locaux. La concurrence sur ce marché est faible, et le prix du ciment est deux fois plus cher au Nigeria que dans les pays voisins. Pour les partisans de Dangote, ce sont avant tout les problèmes logistiques et les coûts élevés de l’énergie qui expliquent cette situation.

Et ils voient dans l’arrivée d’Abdul Samad Rabiu dans les secteurs du sucre, du ciment et à présent des raffineries la preuve qu’il n’existe pas de monopole au Nigeria. Le groupe cimentier suisse LafargeHolcim y est également présent. Pour le gouvernement fédéral, ce débat a été tranché, et il entend soutenir la première entreprise du pays dans son entrée sur le marché mondial de l’énergie, où elle va se retrouver en concurrence directe avec des sociétés de négoce comme Vitol, Glencore ou Gunvor.

Le chiffre d’affaires du conglomérat, qui avoisine les 4 milliards de dollars par an, pourrait, d’après des experts du secteur, être multiplié par huit quand la raffinerie et l’usine d’engrais fonctionneront à plein régime. Mais le groupe Dangote pourra-t-il changer un système gangréner par la corruption ? Les groupes de courtage gagnent des milliards de dollars en vendant des produits pétroliers au Nigeria et en achetant son pétrole brut à prix très réduit par le biais d’intermédiaires ayant des relations politiques. Ils ne renonceront pas à cette manne financière sans se battre. Et selon Antony Goldman, de ProMedia Consulting, « ils ne sont que la partie visible de l’iceberg ». Derrière les conglomérats, ce sont des légions de bureaucrates et d’agents gouvernementaux qui contribuent aux opérations qui structurent le secteur de l’énergie dans le pays.

Pots-de-vin et sabotages

Le récent témoignage d’Anthony Stimler, qui a travaillé pour la société de courtage suisse Glencore jusqu’en 2019, devant un tribunal new-yorkais, apporte un éclairage sur la façon dont ce système fonctionne. Plusieurs millions de dollars de pots-de-vin ont été versés, y compris à de hauts responsables de la compagnie pétrolière nationale, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC).

Un homme d’affaires nigérian ayant souhaité garder l’anonymat affirme que le sabotage systématique des raffineries d’État au Nigeria depuis les années 1970 est la preuve des intérêts personnels en jeu.

Pour les plus pessimistes, la réussite du milliardaire ne permettra pas forcément au pays de sortir du cercle vicieux dans lequel il s’est installé. Il y a aussi un risque que le groupe Dangote ne fasse que se substituer aux importateurs, sans permettre une baisse du coût de l’énergie. Mais il existe aussi des voix convaincues que le milliardaire peut briser la malédiction des matières premières naturelles. Les tenants de ce scénario imaginent même déjà qu’il pourrait utiliser ces nouveaux profits pour s’attaquer à des secteurs encore plus ardus produisant de vrais bénéfices industriels secondaires, comme la sidérurgie.

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