Yahya, le gendre idéal

Le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi était en quête d’un homme doué d’un grand sens du consensus afin d’assurer la cohésion d’un gouvernement extrêmement bigarré. Il semble l’avoir trouvé en la personne du nouvel hôte de la primature.

Publié le 2 juin 2008 Lecture : 6 minutes.

Nommé Premier ministre par Sidi Ould Cheikh Abdallahi le 6 mai, Yahya Ould Ahmed el-Waghf s’est vu confier une mission délicate : négocier un virage politique après un an de règne impopulaire des technocrates, seule manière d’éponger la lassitude des Mauritaniens et leur nostalgie du régime autoritaire de Maaouiya Ould Taya, renversé le 3 août 2005. Pourtant, à 48 ans, celui que l’on appelait déjà par son prénom quand, en avril 2007, il est devenu ministre secrétaire général de la présidence n’a pas le passé d’un militant politique. Au contraire. Ingénieur statisticien de formation – il a obtenu son diplôme à Rabat, en 1986, après une scolarité à Nouakchott -, cet homme de taille moyenne, affable et toujours courtois entre dans la vie professionnelle par la porte de l’enseignement, à la faculté des sciences juridiques et économiques de Nouakchott. Mais, au bout de quatre mois, en février 1987, cédant à l’appel d’une confortable carrière de cadre dans l’administration, il rejoint le Commissariat à la sécurité alimentaire, où il est responsable de la cellule statistique. Dès lors, il enchaîne les postes offrant prestige et notabilité : notamment au Programme alimentaire mondial (PAM), au ministère des Affaires économiques et de l’Hydraulique, ou encore à la Société mauritanienne de gaz (Somagaz) et à Air Mauritanie, dont il a été le directeur général pendant respectivement huit et dix-huit mois.
Bref, « Yahya n’a jamais eu d’idéal politique », considère un ami de toujours. Réfléchissant à voix haute, ce dernier se souvient bien que le nouveau chef du gouvernement cultivait quelques relations parmi les nassériens, un courant en vogue en Mauritanie dans les années 1990 et dont son directeur de cabinet, Mohamed Ould Abidine Ould Mayif, nommé le 18 mai, est issu. Mais le copain d’enfance évoque aussi des accointances au sein du Mouvement national démocrate (MND), une formation gauchiste dissoute en 1998, dont on retrouve certains anciens à l’Union des forces de progrès (UFP), de Mohamed Ould Maouloud. Proche du Parti républicain démocratique et social (PRDS), le Parti-État d’Ould Taya, Yahya l’a été aussi, mais « sans être courtisan parce qu’il fallait suivre le troupeau ». « Un notable avec de l’influence dans les localités de sa région », résume ce proche. Sa région, le Tagant, une zone aride au sud du désert de l’Adrar, où « il était toujours assis sous la tente à côté de Maaouiya » quand ce dernier était en visite.

Sur tous les fronts
Le voilà désormais chef du gouvernement Mais il y a eu auparavant l’étape déterminante du secrétariat général de la présidence, à partir d’avril 2007. Ce maroquin, Yahya l’a obtenu grâce à son curriculum vitae ; quand il forme son équipe au lendemain de son investiture, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, élu sans étiquette, s’en remet aux compétences qu’il trouve dans son entourage. Débarqué en décembre 2006 de la direction générale d’Air Mauritanie, en liquidation judiciaire aujourd’hui, Yahya y figure : quelques mois plus tôt, il avait rejoint le staff de campagne de « Sidi », donné gagnant. Son parcours et sa neutralité politique, qualité à l’époque recherchée par le nouveau chef de l’État, font la différence. Selon une source proche du personnage, il bénéficie aussi d’un « coup de pouce » du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), dont il connaît certains membres, suggérant à l’occasion quelques noms au nouveau chef de l’État.
Mais une fois nommé, il réussit à s’introduire dans le premier cercle du président. C’est lui qui pilote l’opération sensible du « retour des réfugiés », une promesse du candidat Sidi, décidé à panser une blessure douloureuse de l’histoire nationale (au tournant des années 1980, des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens victimes d’exactions ont dû fuir au Sénégal et au Mali). C’est encore lui qui organise le Programme spécial d’intervention (PSI), un plan destiné à enrayer la crise alimentaire et à relancer l’agriculture, dont le coup d’envoi a été donné en avril. C’est aussi à lui que, en septembre dernier, Sidi Ould Cheikh Abdallahi confie l’ambitieuse mission de fixer ses soutiens de campagne dans un nouveau parti : le Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), né en janvier. Yahya essuie les virulentes critiques de Messaoud Ould Boulkheir, le président de l’Assemblée nationale, qui assimile la naissance de cette formation au « retour à l’ère du Parti-État, ce qui veut dire la mainmise du parti unique et la maîtrise par les plus forts des ressources de l’État et du pouvoir de décision [Â] ». Mais qu’importe ; en serviteur dévoué, il remplit sa feuille de route : aujourd’hui, le chef de l’État peut se targuer d’une majorité unifiée à l’Assemblée ; des caciques de la vie politique mauritanienne, influents à l’intérieur du pays, ont rejoint le PNDD ; les deux tiers du gouvernement en sont membres.
En un an, le cadre tranquille saisit toutes les opportunités qui s’offrent à lui et occupe tous les fronts, y compris ceux que le locataire de la primature, Zeine Ould Zeidane, aurait bien lui-même occupés. Sur ces sujets brûlants, il révèle « des talents de rassembleur et arrive à mettre tout le monde d’accord », juge un collaborateur. « Il sait traiter avec les hommes et les amener là où il veut », analyse un proche. Il applique le programme du chef de l’État tout en faisant preuve d’un grand pragmatisme, contrairement à son prédécesseur, qui, selon un collaborateur, croyait « pouvoir tout révolutionner ». Sens du consensus et fidélité, deux qualités utiles au discret Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qui cherche à se constituer une garde rapprochée. Quand le jeune et ambitieux Zeine Ould Zeidane est enclin à faire de l’ombre au chef de l’État, Yahya, lui, exécute sans chercher à se mettre en avant. « Un bon fonctionnaire », résume Mohamed Fall Ould Oumère, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire La Tribune.
Par sa tribu, celle des Turqoz, il est d’origine maraboutique, comme son président. Et, comme lui, est un adepte de la simplicité et de l’austérité. « La veille de sa nomination à la primature, j’ai bu un thé avec lui, raconte un ami. Il devait savoir ce qui l’attendait, mais il était toujours le même. Et, depuis, je ne l’ai jamais appelé, c’est toujours lui qui m’appelle. » « Il est très amène et très bien éduqué, toujours poli », assure une proche. Sur cette surface bien lisse, un membre d’un parti d’opposition trouve tout de même quelques aspérités. « Je ne pense pas que ce soit un bon gestionnaire », confie-t-il, en référence au « scandale des pèlerins » : en 2006, Air Mauritanie, dont Yahya est le directeur général, loue des appareils de renfort à un transporteur libyen pour acheminer les pèlerins en Arabie saoudite. Mais les avions n’arrivent pas à temps, et certains fidèles devront renoncer au hadj cette année-là, tandis que d’autres l’accompliront en retard.

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Une majorité, quatre partis
Mais pour Sidi, Yahya a presque tout du gendre idéal Alors, quand, au bout d’un an, il n’est plus tenu par son alliance de raison avec Zeine Ould Zeidane, il le place à la primature. Là, le féru de littérature et de cinéma – il a fait partie d’un club de cinéphiles qui se réunissait une fois par semaine autour d’un film – aura moins de temps pour ses loisirs et ses quatre enfants. Sa mission demande du savoir-faire : trouver et faire prévaloir le dénominateur commun entre une trentaine de ministres qui portent des couleurs politiques différentes. Celles du Rassemblement national pour la démocratie et le développement (RNDD), le parti « à référentiel islamique » de Jemil Ould Mansour, de l’Union des forces de progrès (UFP), de Mohamed Ould Maouloud, de l’Alliance populaire progressiste (APP), de Messaoud Ould Boulkheir, et, bien sûr, du PNDD, le parti de la majorité, dont il est évidemment lui-même membre. Bref, la nouvelle tâche de Yahya, c’est d’assurer la cohésion d’un gouvernement politique. Pour ce faire, mieux vaut en définitive ne pas trop l’être.

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