Verdict du procès Ben Barka
5 juin 1967
Le colonel Ahmed Dlimi, patron de la Sûreté, présent au tribunal, est acquitté. Le général Mohamed Oufkir, ministre de l’Intérieur, est condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. Pourtant, les mêmes charges avaient été retenues contre les deux responsables marocains. Mais l’arrêt de la cour d’assises de la Seine, qui juge les accusés de l’affaire Ben Barka, tombe le 5 juin 1967, jour du déclenchement de la guerre des Six Jours. Du coup, ce qu’il avait d’incohérent, voire de choquant, passe pratiquement inaperçu.
Mais rappelons d’abord l’affaire. Mehdi Ben Barka, figure en vue de l’opposition à Hassan II et leader respecté du Tiers Monde, est interpellé par deux policiers français en plein Paris, le 29 octobre 1965. Antoine Lopez, chef d’escale à Orly et agent des services français, dirige l’opération, qui se révélera être un enlèvement. Le chef de la gauche marocaine est conduit dans la villa de Georges Boucheseiche, un truand qui a des accointances avec les « barbouzes ». C’est encore Lopez qui informe Oufkir à Fès et Dlimi à Alger que « le paquet est prêt » et requiert leur venue, toutes affaires cessantes. Les deux s’exécutent. Ils sont signalés à la villa de Boucheseiche. On ne verra plus Ben Barka. Comme on ne saura jamais s’il a été assassiné ou s’il est mort accidentellement. Diverses versions seront, au fil des ans, avancées, mais nulle trace ni de sa dépouille ni de sa sépulture.
Le scandale éclate sous le règne de De Gaulle. Le 21 février 1966, dans une conférence de presse mémorable, il décrète que « l’honneur du navire est sauf » puisque la responsabilité de la France n’a été engagée qu’à un « niveau vulgaire et subalterne ». Le président français ne disculpe son pays que pour mieux charger le royaume chérifien et accuse nommément le général Oufkir. Au Maroc, Hassan II le prend également de haut et, mettant en avant le lieu du crime et ses auteurs directs, le présente comme une affaire franco-française, qui ne concerne le Maroc que par l’identité de la victime. Entre les deux pays, c’est la rupture.
La presse multiplie enquêtes et révélations, l’opinion en France et au-delà suit avec passion les péripéties de l’affaire. Le procès s’ouvre le 5 septembre 1966. Il est interrompu le 19 octobre par un coup de théâtre : Ahmed Dlimi, arrivé discrètement la veille à Paris, se constitue prisonnier à l’audience. « Je suis venu, proclame-t-il, sauver l’honneur de mon pays et le mien. » Il s’agit d’« une initiative personnelle », explique-t-il, prise à l’insu du roi. Lequel lui inflige cent vingt jours d’arrêt de rigueur, pour le principe. Et l’élève au grade de colonel, pour le panache.
Lorsque le procès reprend après une nouvelle instruction, Dlimi plaide l’innocence : il n’est au courant de rien. L’accusation le concernant repose sur le témoignage de Lopez, un fieffé menteur qui ne cesse d’en fournir les preuves. Ses avocats ont beau jeu de démontrer que les faits censés accabler le patron de la Sûreté sont loin d’être avérés. Le dernier jour, réservé aux plaidoiries de la défense, Me Albert Naud impressionne fortement le jury. Victime d’un accident de la circulation, il tient à s’adresser à la cour depuis son fauteuil roulant. Alors que la guerre fait rage au Moyen-Orient, une autre tragédie menace, explique-t-il, celle qui se produirait au Maroc et qui frapperait les Français si le colonel Dlimi était condamné. L’avertissement sera médité et l’affaire entendue. Le chef de la Sûreté est acquitté et Lopez n’écope que de huit ans de prison.
Gilles Perrault, l’auteur de Notre ami le roi, aura ce commentaire : « Si Oufkir était coupable, Dlimi l’était aussi. Inversement, l’acquittement de Dlimi vidait la condamnation d’Oufkir de sa substance. En accablant Oufkir, la justice sauvait les apparences de l’honneur ; en acquittant Dlimi, elle préservait l’avenir des relations franco-marocaines. »
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