Syrie-Israël : l’impossible équation
Il faudrait être un optimiste incurable pour attendre un réel progrès des pourparlers indirects que mènent actuellement la Syrie et Israël à Ankara sous les auspices de la Turquie. Les obstacles à la paix entre ces deux ennemis de longue date sont tels qu’ils interdisent toute possibilité d’accord réaliste à court ou moyen terme. Il ne peut certainement y avoir aucun dégel tant que George W. Bush est à la Maison Blanche. Il a clairement indiqué qu’il désapprouvait ces contacts et qu’il préférerait qu’Israël se concentre sur la piste palestinienne.
Bush déteste le régime du président Bachar al-Assad et a cherché, par des sanctions, par l’intimidation et la pression diplomatique, à l’isoler et à réduire son influence régionale, tout particulièrement au Liban. Les Syriens, de leur côté, n’ont aucune confiance dans l’administration Bush, et attendent impatiemment son départ. Pour des raisons qui n’appartiennent qu’à lui, le Premier ministre israélien Ehoud Olmert a jugé bon de passer outre aux objections américaines, mais il y a des limites aux risques qu’il peut prendre d’offenser Washington. Obstacle encore plus sérieux, l’opposition farouche d’une partie de l’opinion israélienne – au moins 60 % de la population, selon les derniers sondages – à l’idée de restituer à la Syrie les hauteurs du Golan. Pourtant, Damas ne fera jamais la paix s’il ne récupère pas le Golan. Occupé depuis 1967, le Golan est considéré par beaucoup d’Israéliens comme une partie intégrante de l’État hébreu. C’est devenu une aire de loisirs où ils vont se détendre. Ils y redécouvrent la nature, font des promenades à cheval, admirent le paysage et goûtent le vin des colons locaux. Le Golan est aussi une importante source d’approvisionnement en eau et un site stratégique. Le lobby des colons du Golan, qui représente près de 20 000 personnes, est puissant, et il se fait entendre haut et fort : il est absolument opposé à l’évacuation.
Peu d’observateurs croient qu’Olmert veut sincèrement faire la paix avec la Syrie, ou qu’il soit assez fort pour imposer un accord éventuel. Il n’a ni l’autorité politique ni l’autorité morale nécessaires pour persuader une opinion publique israélienne dubitative qu’il faut payer le prix d’une paix avec la Syrie. Ses pourparlers indirects avec Damas sont donc largement considérés soit comme un moyen de détourner l’attention des accusations de corruption qui menacent de lui coûter sa place, soit comme une manÂÂuvre pour imposer des concessions aux Palestiniens.
Israël a traditionnellement cherché à jouer la carte syrienne contre la carte palestinienne, et vice versa. En se donnant l’air de se rapprocher de la Syrie, Olmert peut espérer faire peur au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et lui donner à penser qu’il se retrouvera seul pour lutter contre le tout-puissant État hébreu. Les dirigeants israéliens ne cachent pas leur principale raison de vouloir la paix avec Damas : c’est de briser les liens de la Syrie avec l’Iran, considéré comme l’ennemi le plus dangereux d’Israël, avec le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine. Mais c’est aussi peu réaliste que de demander à Israël de rompre ses liens avec les États-Unis. La Syrie a un partenariat stratégique avec l’Iran depuis l’installation de la République islamique, en 1979. L’axe Téhéran-Damas-Hezbollah est le pivot de la politique étrangère syrienne et le principal défi à l’hégémonie américano-israélienne dans la région.
La position syrienne est qu’Israël ne doit pas chercher à régenter les relations extérieures de Damas, mais admettre qu’il vaut la peine d’avoir des relations de bon voisinage. Les Syriens ajoutent cependant que, dans un contexte de paix, ils dépendraient moins de l’Iran, et que le Hezbollah serait de nouveau un parti politique libanais normal, et non plus une milice armée. Aux yeux des Syriens, un accord de paix doit comporter deux éléments essentiels : d’abord qu’Israël s’engage à évacuer totalement le Golan jusqu’à la frontière du 4 juin 1967 ; ensuite qu’il soit entendu qu’Israël, militairement beaucoup plus fort que la Syrie, ne cherche pas à tirer des avantages stratégiques nouveaux de ces arrangements sécuritaires.
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