« Un chant écarlate » : le dernier roman de Mariama Bâ, plus actuel que jamais
Le deuxième livre de l’écrivaine et militante féministe sénégalaise paraît pour la première fois en France. Un ouvrage moins connu qu’« Une si longue lettre », mais tout aussi moderne.
Sa Si longue lettre est devenu un classique de la littérature au Sénégal et a éveillé des générations de féministes sur le continent et au-delà. Mais c’est l’autre roman, moins connu, de Mariama Bâ, Un chant écarlate, qui a réellement bouleversé la journaliste afropéenne Axelle Jah Njiké. « Il a scellé dans mon cœur mon admiration pour son œuvre », confie-t-elle en prologue d’une nouvelle édition de l’ouvrage proposée par la jeune maison Les Prouesses. Si le deuxième et dernier livre de cette figure militante de la littérature sénégalaise, publié à titre posthume en 1982, a déjà été traduit en sept langues et réédité cinq fois dans son pays d’origine, c’est la première fois qu’il est accessible aux lecteurs français, belges et suisses.
Mariages broyés
L’ombre du racisme plane très vite sur l’idylle dakaroise entre Mireille, fille de diplomate français, et Ousmane, rejeton d’un ancien tirailleur pauvre et invalide. Elle doit affronter son père – « bien sûr qu’on peut fraterniser avec le Nègre mais on ne l’épouse pas », tonne-t-il. Lui sait parfaitement que « choisir sa femme en dehors de la communauté est un acte de haute trahison ». Qu’importe, les deux amants, sûrs de leurs sentiments, finissent par mettre leurs familles respectives devant le fait accompli de leur mariage. Mais les différences culturelles vont bientôt peser de tout leur poids sur leur histoire. Mireille s’adapte mal à la vie en communauté, au manque d’intimité, à des comportements épinglés crûment par Mariama Bâ.
Pour cette lébou musulmane, née à Dakar en 1929 dans une famille aisée, les unions mixtes semblent condamnées dès la racine. « On ne bâtit pas l’avenir sur des passés sans liens. Tant de ménages mixtes sont broyés par l’incompréhension », fait-elle dire à Boly, l’ami de Ousmane. Au point que, rapporte sa fille et biographe Mame Coumba Ndiaye dans la postface, son « chant » est apparu intolérant à certains critiques de l’époque. La principale intéressée, décédée à 52 ans d’un cancer, n’a jamais pu répondre. Elle qui a vu ses trois mariages se briser « ne fait que brosser la dure et affreuse réalité de ce qui survient souvent aux femmes quand elles ont tout délaissé pour consacrer leur vie entièrement à un homme », considère sa fille.
Femmes complices
Tout comme Aissatou, Ramatoulaye et Jacqueline dans Une si longue lettre, Mireille se retrouve confrontée à deux épreuves universelles : l’échec de l’amour, et surtout, la violence du patriarcat. Un ensemble de règles sociales dont s’accommode son époux, mais aussi perpétuées par les femmes elles-mêmes. N’est-ce pas la belle-mère, Yaye Khady, qui se lamente ainsi : « Moi qui rêvais d’une bru qui me remplacerait aux tâches ménagères, voilà que je tombe sur une femme qui va emporter mon fils. Je crèverai, debout dans la cuisine. » N’est-ce pas avec le concours d’autres femmes qu’Ousmane trompe son épouse avec une autre ?
Elle fut l’une des premières ambassadrices de la sororité avant même que les féministes ne s’emparent de ce terme
« Mariama Bâ dénonçait les trahisons dont nous nous rendions parfois complices, si ce n’est coupables, les unes envers les autres, avec l’espoir de nous encourager à une meilleure considération, les unes pour les autres », souligne Axelle Jah Njiké. Elle fut sans doute l’une des premières ambassadrices de la sororité avant même que les féministes ne s’emparent de ce terme, notamment popularisé par la militante africaine américaine Bell Hooks en 1986.
« Prendre notre destin en main »
En 1980, alors qu’elle reçoit à Francfort le prix Noma de publication en Afrique pour son premier ouvrage devenu best-seller, cette militante pour l’éducation et les droits des femmes prononce un discours loin d’avoir atteint l’obsolescence : « Les injustices persistent, les ségrégations continuent malgré les beaux discours et toutes les louables intentions. Dans la famille, dans les institutions, dans la rue, les lieux de travail, les assemblées politiques, les discriminations foisonnent. Comment ne pas prendre conscience de cet état de chose agressif ? (…) C’est à nous, femmes de prendre notre destin en main pour bouleverser l’ordre établi à notre détriment et ne point le subir. »
Quelques mois après, alors qu’elle se meurt, l’écrivaine fait modifier la fin tragique d’Un chant écarlate juste avant impression, laissant finalement une chance à Ousmane. Celle pour les hommes d’assumer aussi leurs responsabilités et de faire bouger les lignes ?
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