Pour qui brille l’or ?

Le métal jaune est l’un des principaux moteurs de l’économie du pays, qui est devenu le troisième producteur du continent. Mais la filière s’essouffle.

Publié le 2 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

Après une heure trente de vol au-dessus de la forêt sahélienne, le Fokker entame sa descente vers un immense cratère et une petite piste d’atterrissage. Un étrange tableau où le vert se mêle à l’ocre et d’où s’échappent des colonnes de poussière Bienvenue à Loulo, que l’on considère comme l’avenir aurifère du Mali, depuis la mort programmée des grandes mines de Morila et Sadiola. Basé au sud de Kayes, à la lisière du Sénégal, ce gisement exploité à ciel ouvert est le théâtre d’un étrange ballet mécanique. Tout est parfaitement orchestré, avec force signalisation (panneaux, petits drapeauxÂ). Le va-et-vient des camions chargeurs est incessant, entre les tamis du complexe de production et les pelleteuses géantes, qui arrachent au sol des tonnes de minerai, avec la voracité de mantes religieuses. Le matériel est mis à contribution vingt-quatre heures sur vingt-quatre, seules les équipes changent. Ici, on ne badine pas avec le temps.
Randgold Resources, la compagnie sud-africaine, a investi près de 79 milliards de F CFA (près de 160 millions de dollars) pour développer le site. Elle est là pour réaliser les bénéfices – la franchise fiscale incite les opérateurs à surexploiter les réserves pendant les cinq années initiales, au cours desquelles ils ne paient pas de taxe – que lui promet une once d’or passée de 600 dollars en 2006 à près de 900 dollars aujourd’hui. Elle est venue avec ses hommes, des « Sudafs » aux idées bien arrêtées, sa maîtrise technique et sa politique de résultat. Son directeur général, Mark Bristow, n’a pourtant pas oublié d’y associer l’État malien, qui possède 20 % des parts. Le partenariat a été scellé avec le président Amadou Toumani Touré, et c’est un manager malien, Amadou Konta, qui a été nommé pour gérer le site et, surtout, les épineuses relations avec la communauté locale malinkée, qui « attend tout de la compagnie ». Bristow, quant à lui, partage son temps entre Londres, Paris, New York et l’Afrique du Sud, à la recherche de riches investisseurs alléchés par des profits rapides mais plus risqués. Entrée en exploitation en juin 2005, la mine a coulé son premier lingot trois mois plus tard et, depuis, la production n’a cessé de croître, pour atteindre 8,76 tonnes en 2007. Le site dispose du potentiel le plus prometteur du pays : une longévité de vingt ans, 45 tonnes de réserves d’or à ciel ouvert, des ressources de 110 tonnes en surface et, plus en profondeur, un gisement estimé à 60 tonnes. Une nouvelle étape a d’ailleurs été franchie en novembre 2006, avec le lancement de l’extraction souterraine.
À quelques kilomètres de là, à la sortie du village de Baboto, c’est un autre spectacle. Celui des orpailleurs traditionnels. Au détour d’un chemin de fortune, un terrain parsemé de trous aux allures de gruyère. Par 40 °C, Seydou, calebasse et pioche à la main, plonge dans une galerie de 9 mètres, par un orifice d’à peine 1 mètre de diamètre. Sa femme l’attend à la surface. Lui creuse, elle lave et prépare le thé. L’orpailleur extrait en moyenne 0,5 g et jusqu’à 2 g les jours fastes, qu’il vend au « boutiquier » du village pour environ 6 000 F CFA (9,12 euros) le gramme. Le roman de Moussa Konaté (voir p. 96), L’Or du diable, publié en 1985, illustre bien l’engouement d’une partie de la population croyant trouver son salut dans le précieux métal. Plus de vingt ans plus tard, 100 000 à 200 000 apprentis chercheurs rêvent toujours d’or. Des hommes qui n’hésitent pas à parcourir des centaines de kilomètres, à s’expatrier parfois, en quête du bon filon. « J’ai connu ma soif de l’or, explique Alain Koné, dirigeant d’une société d’édition. En 1995, je suis parti sur un coup de tête avec ma voiture et une motopompe, pour tenter l’aventure. J’ai découvert le Far West, des hommes qui creusent leur propre tombe, qui dorment sur leur flingue de peur de se faire voler et qui dépensent le fruit de leur labeur dans l’alcool et les femmes. »
La filière aurifère s’est fortement développée depuis 1991 (voir encadré), mais l’avenir est incertain puisque le tarissement progressif des mines de Sadiola et Morila devrait faire passer la production de 52,7 tonnes en 2007 à 35 tonnes en 2012. Sauf à enrayer la chute en lançant de lourds investissements et en découvrant de nouveaux gisements. Mais la plupart des découvertes remontent à l’indépendance, pour des réserves évaluées à 800 tonnes, même si 178 des 222 permis miniers ont été signés entre 2002 et 2007.
Dans un rapport au sous-titre provocateur (« Troisième producteur d’Afrique – NDLR : après l’Afrique du Sud et le Ghana -, le Mali ne récolte que des poussières »), la Fédération internationale des droits de l’homme explique que « depuis quinze ans, on assiste au même scénario. Parce qu’il n’a pas les moyens d’extraire son or et que la Banque mondiale en a décidé ainsi, le gouvernement n’est qu’un actionnaire minoritaire des mines. Une quinzaine d’entreprises ÂjuniorÂ, presque toutes canadiennes, font les premières explorations sur des fonds levés à la Bourse de Toronto. Quand elles trouvent l’or, elles s’allient avec de grands industriels. Un Âclub des trois monopolise le secteur : Anglogold Ashanti [Sadiola 38 %, ?Yatela 40 %, Morila 40 %], Randgold Resources [Morila 40 %, Loulo 80 %] et IAMgold [Sadiola 38 %, Yatela 40 %]. »
Avec environ un tiers des permis, les investisseurs locaux montrent une certaine apathie. Ils se contentent de patienter en spéculant à plus ou moins court terme sur la revente de leurs permis, souvent attribués de manière clientéliste. Ceux qui se lancent dans l’exploitation connaissent souvent des désillusions. « On m’a vendu une étude erronée sur la teneur en or, explique un opérateur qui souhaite garder l’anonymat. J’ai investi dans les équipements, recruté une cinquantaine de personnes et installé des baraquements Mais la production n’a jamais atteint le niveau escompté. Aujourd’hui, les huissiers se bousculent à la porte de la maison. » Pour l’heure, seuls deux entrepreneurs du pays sont cités en exemple : Aliou Boubacar Diallo, directeur général de Wassoulor SA, qui exploite le gisement de Kodiaran, et Oumar Diallo, dit « Birus » – ancien aide de camp de Moussa Traoré -, qui détient 50 % de la société minière NewGold. Mais la création d’une véritable filière aurifère malienne revient dans le débat public comme un serpent de mer. Dernièrement, l’Assemblée nationale a demandé au gouvernement d’étudier la mise en place d’unités de transformation alors que l’immense majorité de l’or est raffiné en Afrique du Sud (60 %) et en Suisse (40 %). Non loin de l’Assemblée nationale, à Bamako, les hommes de Bakoré Sylla reçoivent sans discontinuer les petits négociants venus du sud du pays. Chaque semaine, ils sont des dizaines d’intermédiaires à proposer poudre et petits cailloux au grand trader bamakois. La transformation se fait en bas, dans la cour, à même le brasero. La poudre, placée dans des écuelles, est chauffée pour obtenir de petites plaques dont une partie ira alimenter les bijouteries locales et sera exportée. La sueur de Seydou, le petit orpailleur adossé à la grande mine de Loulo, passe par là.

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