Tunisie : Noureddine Bhiri libéré, quel avenir pour Ennahdha ?

L’ancien ministre de la Justice et cadre dirigeant d’Ennahdha a été libéré sans qu’aucune charge soit retenue contre lui. Une petite victoire pour le parti à la colombe, qui devra cependant opérer une mise à jour de son logiciel idéologique s’il veut continuer à peser.

L’ancien ministre de la Justice Noureddine Bhiri. © FETHI BELAID/AFP

Publié le 10 mars 2022 Lecture : 3 minutes.

Arrêté le 31 décembre 2021, placé en résidence surveillée dans un lieu inconnu, hospitalisé jusqu’à sa libération le 7 mars 2022… C’est peu dire que la rocambolesque détention du dirigeant d’Ennahdha Noureddine Bhiri interpelle. Après un tel traitement, aucune charge n’a finalement été retenue contre lui.

Ni le parquet ni le ministère de l’Intérieur, qui a ordonné l’arrestation, n’ont motivé la décision de libérer l’ancien président du groupe parlementaire d’Ennahdha.

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Durant la détention de l’ancien ministre de la Justice, à qui l’on prête un ascendant sur les juges, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a été dissout et remplacé par une autre structure. En revanche, le ministère de l’Intérieur a fait déférer l’avocat de Bhiri, l’ancien bâtonnier Abderrazak Kilani, devant la justice militaire pour des propos assimilés à une « atteinte à la sûreté de l’État ».

Ces deux incidents, combinés à l’infléchissement stratégique qu’elle a opéré face à la détestation qu’elle inspire à une large frange de la société, ont permis à Ennahdha, directement ou indirectement aux commandes du pays depuis 2012 mais quelque peu affaiblie depuis la prise en main du pouvoir par Kaïs Saïed le 25 juillet, de redonner de la voix.

Troisième position

Le parti islamiste a ainsi rejoint le groupe d’opposants réunis sous la bannière du Collectif « Citoyens contre le coup d’État » et battu le pavé pour exiger, sans appeler à la confrontation, un retour à la démocratie. Si ces manifestations n’ont pas donné lieu à la démonstration de force espérée, elles n’en ont pas moins été réprimées par les forces de l’ordre.

« La configuration politique est différente depuis quelques mois ; Ennahdha doit composer actuellement avec une absence de vie partisane, politique et gouvernementale, et affronter un discours ambiant qui résonne comme une revanche politique et symbolique de ses détracteurs », commente le sociologue Mohamed Jouili.

Le discrédit qui frappe Ennahdha ne risque-t-il pas de faire le lit de courants plus radicaux, comme celui du Hizb Ettahrir ?

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Mais Ennahdha n’a pas disparu pour autant. Un sondage d’Emrhod Consulting publié le 1er mars la crédite de 13 % d’intentions de vote aux prochaines législatives, derrière le « parti de Kaïs Saïed » (25 %), qui n’a pas de réalité aujourd’hui, et le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi (33 %).

Mais le parti de Rached Ghannouchi peine à renouveler son leadership vieillissant et souvent contesté, y compris en interne. « La génération des pères fondateurs est affaiblie par les coups du sort qui ont impacté le parti.

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Même l’incendie du siège, à Montplaisir (Tunis) en décembre 2021, a touché deux dirigeants phare : Ali Laarayedh et Abdelkarim el-Harouni. On pourrait y voir un signe », observe l’un des cent démissionnaires qui ont quitté le parti en septembre 2021.

Débordée sur sa droite ?

La relève du parti islamiste est incarnée par Abdellatif Mekki et Samir Dilou, anciens dirigeants qui n’ont pas connu l’exil durant les années Ben Ali et plus en phase avec les évolutions de la société tunisienne. Car la méconnaissance du pays est l’une des explications de l’échec d’Ennahdha, comme l’avait résumé Lotfi Zitoun, ancien bras droit de Rached Ghannouchi, en reconnaissant qu’« en arrivant [après la révolution de 2011, ndlr], nous ne connaissions pas la Tunisie ».

Les divisions d’Ennahdha sont aussi dues à ses incessantes tergiversations. « La pire chose qui soit arrivée au parti, c’est d’être parvenu au pouvoir à un moment de crise. Et à trop multiplier les alliances, il a affiché des positions fluctuantes et n’a pas tenu le choc, d’où les scissions internes », commente le politologue Kerim Bouzouita.

Mais un éventuel passage de relais générationnel ne suffira pas à tout régler s’il ne s’accompagne pas d’un aggiornamento idéologique effectif qui tienne compte des évolutions et des réalités de la société tunisienne. En attendant, d’aucuns craignent que le discrédit qui frappe Ennahdha ne fasse le lit de courants plus radicaux, comme celui du Hizb Ettahrir.

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