Une légende berbère nommée Idir
Dans son nouveau livre, « Idir, un Kabyle du monde », notre collaborateur Farid Alilat revient sur la vie du chanteur algérien. Une biographie dont nous vous proposons les bonnes feuilles. Parution le 6 avril.
Après avoir raconté la vie du président algérien Abdelaziz Bouteflika, le journaliste Farid Alilat retrace aujourd’hui celle d’El Hamid Cheriet, dit Idir, né le 25 octobre 1945, à Aït Yenni, en Algérie, et mort le 2 mai 2020, à Paris (France). Auteur de onze albums, le chanteur a connu la gloire dès les années 1970 avec le tube international « A Vava Inouva ». Nous avons sélectionné pour vous deux moments forts de sa carrière : ses débuts et son dernier concert.
1975, Idir sur France Inter
Jeudi 10 avril 1975, journée historique. Treize ans après l’indépendance, le président Valéry Giscard d’Estaing est en visite officielle en Algérie. Bains de foule et défilé dans la capitale, drapeaux algérien et tricolore flottant côte à côte, dîner d’État, séjour à Constantine et à Skikda, la visite est un événement extraordinaire, selon les mots du président Boumediene lui-même. (…) Cette lune de miel, le journaliste Jean-Pierre Elkabbach veut la faire vivre aux auditeurs de la radio France Inter dont il est l’un des envoyés spéciaux. Entre Elkabbach et l’Algérie, c’est une vieille histoire : né à Oran dans une famille juive, il y a vécu jusqu’à son départ en France en 1958, au cœur de la guerre, avant de revenir en 1961 comme journaliste à Radio Alger et Radio Constantine‚ où il rencontre un jeune musicien et chanteur du nom de Gaston Ghrenassia – le futur Enrico Macias. (….)
Elkabbach s’installe à l’hôtel Aletti d’Alger sans prêter attention au magasin situé juste en face, de l’autre côté du boulevard : Au musée de Bagdad. Mais le journaliste est au courant du succès fulgurant d’Idir et de sa chanson « A Vava Inouva ». Il a été captivé par cette berceuse qui le renvoie à cette terre algérienne qu’il aime et qui lui rappelle bons – et mauvais – souvenirs. Jean-Pierre Elkabbach veut organiser une rencontre entre Idir le Kabyle et Enrico Macias, le juif de Constantine. Pari fou : vedette de la variété en France (….), Macias est un paria en Algérie, qu’il a quittée en 1961. Ses cassettes et ses disques ne s’en vendent pas moins sous le manteau. Mais tant que Boumediene, qui a déclaré la guerre à Israël en 1967 et en 1973 pour défendre la Palestine, est au pouvoir, ce juif, sioniste et soutien de l’Algérie française‚ ne remettra jamais les pieds à Alger ou à Constantine. Sans cette donnée, la rencontre entre Idir et Macias serait d’autant plus simple qu’ils sont distribués par la même maison d’édition, Pathé-Marconi. Une rencontre entre l’étoile montante de la chanson kabyle et le pied-noir de Constantine qui domine le hit-parade français serait une belle image de réconciliation.
Elkabbach prend attache avec Abdelkader Khelil, le patron de Oasis Disques qui édite le 45 tours d’Idir. Les deux hommes se retrouvent autour d’un thé dans un des salons de l’Aletti. « C’est trop beau, ce que fait Idir, dit le premier avec enthousiasme à son interlocuteur. Il faut faire quelque chose. » Le journaliste explique qu’il veut rencontrer Idir et surtout organiser cette connexion avec Enrico Macias. Khelil s’enthousiasme pour l’idée. Mais c’est impossible à réaliser : Idir est sous les drapeaux depuis octobre 1973. Il ne sera pas disponible avant la fin de son service national en août.
Chaque année, Idir ne manque pas de célébrer le printemps d’avril 1980 pour la reconnaissance de la langue et de l’identité berbères
La rencontre attendra. Elkabbach renonce mais tient à faire connaître Idir. Il diffuse la chanson « A Vava Inouva » sur les ondes de France Inter au cours d’une émission consacrée à la visite de Giscard. Idir sur l’une des radios les plus écoutées de France, durant l’un des événements marquants de ce mois d’avril : c’est un coup de pouce inestimable pour le jeune chanteur. Idir a déjà un grand succès en Algérie. Il sera bientôt connu dans l’Hexagone.
2019, dernier concert à Bordeaux
Ce n’est pas un concert comme un autre. Idir ne sait pas encore qu’il sera le dernier de sa carrière. Hasard ou parfait timing, le gala de ce samedi 20 avril 2019 à la salle Rocher de Palmer à Bordeaux est très spécial. Ce samedi, on commémore le printemps berbère d’avril 1980. Comme chaque année, Idir ne manque pas de célébrer cette date marquante dans la lutte pour la reconnaissance de la langue et de l’identité berbères. Malgré l’insistance de ses proches, il veut le faire‚ ce concert. Il y tient. Dans sa loge, sa compagne Ferroudja est à ses côtés pour l’habiller, lui faire prendre ses médicaments et le soutenir. Sa présence est plus que jamais indispensable.
Visage émacié, son chapeau couleur bleu nuit vissé sur la tête, chemise bleue et pantalon noir, Idir va se produire assis sur une chaise. Il ne peut plus se tenir debout. Derrière la chaise, dissimulée dans un sac noir, il y a la petite bouteille d’oxygène qui ne le quitte plus. Pour l’aider à mieux respirer pendant le show, on a discrètement fait passer le tuyau de la bouteille vers une de ses narines.
Professionnel et méticuleux comme à son habitude, Idir chante, joue de la guitare, converse avec le public, taquine ses musiciens et prend du plaisir à se faire accompagner par sa fille Tanina qu’il regarde avec un mélange de fierté et de tendresse. Malgré la fatigue et cette voix qui s’essouffle de plus en plus, ce concert est un moment de joie et de grâce. De retour dans sa loge, Idir est exténué mais heureux. Il est temps de rentrer à la maison, à Vauréal, pour se reposer. Il est surtout temps de s’occuper sérieusement de sa santé. Bien qu’il consulte régulièrement son médecin, cette fibrose le cloue au lit et l’oblige à garder constamment cette canule nasale qui le relie à la bouteille d’oxygène.
Idir, un Kabyle du monde, de Farid Alilat, éditions du Rocher, 352 pages, 21,90 euros.
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