Mostafa Terrab
Le directeur général de l’Office chérifien des phosphates (OCP), premier producteur mondial, veut initier une « révolution verte » sur le continent.
Jeune Afrique : Le prix des phosphates a explosé à plus de 300 dollars la tonne depuis janvier. Comment expliquez-vous le phénomène ?
Mostafa Terrab : On assiste à une augmentation soutenue du prix des engrais, qui a accompagné une hausse du prix des denrées alimentaires, sous l’effet d’une demande très nettement supérieure à l’offre. Le déséquilibre provient de la forte croissance de la demande en produits alimentaires de l’Inde et de la Chine et du fort développement des biocarburants, surtout au Brésil.
Pourquoi l’offre n’a-t-elle pas suivi ?
Tout simplement parce que la progression de la demande n’a pas été anticipée ! Il y a un manque massif d’investissements des producteurs sur un marché peu attractif. Le prix des phosphates n’avait pas bougé depuis trente ans !
Les hausses sont-elles durables ?
Non. Nous allons assister à une correction du marché. Le secteur obéit à des cycles. Les prix étant plus intéressants, une série d’investissements vont être réalisés. Nous-mêmes allons investir. Cela fera baisser les prix. À long terme, la tonne de phosphate retombera autour de 100 dollars.
N’est-ce pas une mauvaise nouvelle ? Plus les prix sont élevés, plus vous engrangez de bénéficesÂ
Détrompez-vous. Nous ne sommes pas satisfaits de ces prix très élevés. À l’OCP, nous avons toujours eu une vision à long terme. Nous travaillons avec la plupart de nos clients depuis trente ou quarante ans. Le Maroc dispose de 50 % à 70 % des réserves mondiales de phosphates, soit plus de mille ans de production. Les vues à court terme, ou spéculatives, pourraient tuer le marché. Nous allons donc investir massivement pour que le marché revienne à des prix moins exceptionnels.
Quels seront ces investissements ?
Dans les dix ans, nous allons presque doubler la production en passant de 30 millions à 55 millions de tonnes par an. C’est une stratégie très agressive, qui représentera plus de 4 milliards de dollars d’investissements.
Comment se traduiront-ils ?
La moitié de ce montant sera consacrée à la réduction massive des coûts, notamment en matière de transport du phosphate par pipeline et non plus par chemin de fer. Nous avons déjà les coûts d’extraction les plus compétitifs au monde. Nous réduirons de près de moitié les coûts de transport.
À quelle échéance ?
D’ici à deux mois, nous commencerons à déployer cette nouvelle approche technologique pour relier les mines au port, soit environ 200 km. Cela s’accompagnera de l’ouverture de notre plate-forme industrielle de Jorf Lasfar aux investissements directs dans la production d’engrais. C’est un nouveau mode de partenariat que souhaitent nos clients pour contrôler la production d’engrais.
Cela intéresse-t-il de nombreux industriels ?
Nous sommes en discussion avec une vingtaine de partenaires. Il y a la capacité pour dix unités de production d’engrais à Jorf Lasfar. La majeure partie d’entre elles sera réalisée dans la décennie. Ce système répond à la volonté des producteurs d’engrais d’intégrer en amont la matière première pour éviter les risques liés à l’approvisionnement.
Un peu comme avec la Libye, avec qui vous venez de signer pour 1 milliard de dollars d’investissements ?
C’est exact. J’ai signé un accord le 18 mai avec des partenaires libyens pour créer un complexe pétrochimique d’acide phosphorique à Jorf Lasfar, une usine de production d’ammoniaque en Libye et une unité de production d’engrais de 150 millions de dollars, dont nous déciderons plus tard le lieu d’implantation entre le Maroc et la Libye.
Mais la concurrence s’active aussi. On parle d’une dizaine de projets d’investissements dans le monde. Craignez-vous une surproduction ?
La hausse des prix a suscité des convoitises et beaucoup de projets dormants pourraient renaître. Mais cela fait des années que l’on entend parler d’une quinzaine de projets. On n’en voit pas autant se concrétiser !
Pourtant, on parle d’un mégaprojet saoudien d’ici à 2010 qui bouleversera la donne mondiale ?
Il ne bouleversera pas la donne, le déséquilibre entre l’offre et la demande est tel que tout investissement est le bienvenu. Si on se prépare à un marché très dur, c’est pourquoi nous engageons la bataille des coûts, on ne regarde pas tous les investissements de manière hostile.
De même, l’Algérie ambitionne de détrôner le Maroc dans les dix ans ?
Nous regardons les projets algériens d’un Âil très favorable. Nous sommes dans des configurations très différentes, donc complémentaires. Les engrais sont constitués de phosphates et d’ammoniaque, qui est un dérivé du gaz. Et l’Algérie en est un important producteur. Ils ont ce dont nous ne disposons pas, et inversement. Nous voudrions parler de projets de production d’engrais avec les Algériens.
Donc l’idée d’une « Opep des phosphates » n’est pas si incongrue que cela ?
Je pense plutôt à un « Maghreb des phosphates et de l’énergie », en raison, comme je viens de l’expliquer, de la complémentarité et de la possibilité d’intégration entre phosphate et énergie.
Quelle serait la vocation de cette organisation ?
Elle doit avoir une dimension africaine et contribuer à une révolution verte. Beaucoup de pays, comme l’Inde, ont basé leur développement sur une révolution verte, dont l’un des piliers fondamentaux a été une politique volontariste pour l’utilisation d’engrais. Avec les quantités de phosphates et d’énergie, surtout de gaz, dont dispose le continent, l’Afrique a les moyens de produire les engrais les plus compétitifs du monde. Et la demande, avec un besoin immense de fertilisation en Afrique, est là.
N’est-ce pas utopique ?
C’est inéluctable. La prise de conscience a eu lieu. La révolution verte est une immense opportunité. Le développement économique passe par le développement agricole et celui, incontournable, d’une filière de production d’engrais. Avec les pays du Maghreb, on trouve des fabricants de phosphate et d’engrais au Sénégal, au Togo et en Afrique du Sud. Tous les ingrédients sont africains, et sont là pour permettre un décollage agricole et réussir une politique d’autosuffisance. La période est exceptionnelle. Ce n’est pas anodin si l’OCP a décidé de doubler sa production en dix ans. Nous sommes très optimistes.
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