Michel Sleimane

Président de la République libanaise

Publié le 2 juin 2008 Lecture : 5 minutes.

C’est l’histoire qu’on se raconte au Liban, presque un conte de fées. Il y a près de soixante années, le 21 novembre 1948, un bébé de sexe masculin est né dans la bourgade d’Amchit, pas très loin de Byblos, à une quarantaine de kilomètres au nord de Beyrouth. Ses parents étaient des gens simples et honnêtes : le père était militaire, et la maman, Joséphine, très appréciée des villageois, avait su élever ses garçons dans l’amour de Dieu et le respect des principes de la religion chrétienne maronite, qui était celle de leur communauté. Le petit garçon devint un beau gaillard, souriant, sportif, serviable, toujours prêt à donner la main à un aveugle pour lui faire traverser la route. Seulement il parlait très peu. L’adolescent manifestait de réelles qualités intellectuelles – il était notamment brillant en mathématiques – mais il restait obstinément silencieux.

Du coup, on orienta ses études vers l’armée, la « grande muette » : entré à l’École militaire, il en sortit sous-lieutenant en 1970 et ne cessa par la suite d’être excellemment noté par des supérieurs qui avaient pour la plupart fini par s’habituer à son comportement taciturne. En effet, il ne changeait guère en avançant en âge : il ne broncha pas en accomplissant loyalement son devoir militaire aux côtés du général Aoun pour combattre la Syrie en 1989, puis, après les accords de Taëf, il subit sa mise à l’écart sans émettre aucune plainte. Sa conduite exemplaire n’échappa évidemment pas aux terribles services de renseignements syriens, qui firent pression sur l’état-major de Damas afin qu’un militaire de ce niveau n’aille pas s’échouer chez l’adversaire : en 1995, il accepta, sans formuler la moindre remarque, une invitation de son ennemi de la veille à un programme de formation conjoint syro-libanais qu’il entreprit de suivre consciencieusement.
Là, il acheva de séduire la hiérarchie militaire syrienne. Sitôt qu’en 1998 le président Émile Lahoud fit son entrée dans le palais de Baabda, l’une des premières mesures qu’il prit fut donc de nommer commandant en chef de l’armée libanaise celui qui n’était encore qu’un obscur officier de la 11e brigade d’infanterie mécanisée. Rares étaient alors les concitoyens de cet homme excessivement discret qui auraient pu citer son nom ou bien mettre un visage sur celui qu’on venait d’installer à la première place du dispositif sécuritaire libanaisÂ
Le mutisme affiché du nouveau commandant de l’armée n’allait cependant pas tarder à le rendre populaire. Ainsi, le 14 mars 2005, en s’abstenant de prononcer l’ordre qui aurait commandé à ses troupes de faire barrage à la vague immense des manifestants – chrétiens et sunnites – descendus dans la rue après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, il réussit à s’exonérer des soupçons qui pesaient sur lui en le présentant comme une créature de Damas. Enfin, l’année dernière, il n’eut pas davantage besoin de déclaration pour lancer une offensive victorieuse et sanglante (420 morts, dont 168 soldats) contre les djihadistes du Fatah al-Islam, enfermés pendant quinze semaines dans le camp de Nahr al-Bared.
C’est là que ce grand silencieux a acquis sa notoriété et son prestige aux yeux de l’opinion publique de son pays, tout en confirmant l’ascendant qu’il exerce sur sa troupe. Les Libanais ont découvert soudain qu’à la tête d’une armée sous-équipée, en permanence menacée par les divisions confessionnelles et politiques et souvent qualifiée d’armée de pacotille par ses détracteurs, ils s’étaient néanmoins dotés d’un homme de marbre, presque une statue. Comment auraient-ils pu reprocher à celui-ci, résolument fidèle à son attitude favorite, de ne pas lever un cil quand les miliciens chiites du Hezbollah, défiant l’autorité chancelante du gouvernement de Fouad Siniora, investirent Beyrouth-Ouest à majorité musulmane, paralysant l’aéroport et prenant le contrôle des axes de communication de la plus grande partie du pays ? Par peur de voir son armée exploser en factions rivales, par tactique – pour laisser le Hezbollah se discréditer gravement en tournant ses armes contre des Libanais- ou par ambition personnelle – car l’abstention sied au consensus -, il attendit que les armes se taisent avant de déployer ses propres forces dans tout le pays.
Quand, le dimanche 25 mai, quatre jours après la signature des accords de Doha qui avaient mis fin à dix-huit mois de crise, au terme d’un scrutin repoussé dix-neuf fois depuis la vacance de la présidence en novembre dernier, le petit garçon d’Amchit fut élu à la quasi-unanimité, par 118 voix sur 127 députés présents président de la République libanaise, il n’avait jamais fait lui-même formellement acte de candidature ! Seuls quatre ronchons, en exigeant une réforme constitutionnelle pour valider l’élection du commandant en chef de l’armée, firent mine d’ignorer que le nouveau président succédait déjà à un militaire.

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Mais le plus surprenant fut encore ceci : devant tous les acteurs enfin réunis de la vie politique libanaise, en présence des Premiers ministres turc et qatari, devant les ministres des Affaires étrangères syrien, iranien, saoudien, français, italien, espagnol et une délégation du Congrès américain, sans oublier l’infatigable secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa et cet émir du Qatar, hôte des ultimes négociations et désormais devenu « l’ange gardien des Libanais », Michel Sleimane, car c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, demanda, pour la première fois la parole !
Et son discours d’investiture fera date : d’un coup, tout fut dit, du respect des accords de Taëf sur la parité interconfessionnelle des hautes charges de l’État à l’hommage aux « armes de la Résistance » mais aussi à la nécessité, « pour ne pas en gaspiller les atouts », d’imaginer une nouvelle stratégie avec le Hezbollah ; de la nécessité d’un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri aux « relations privilégiées avec la Syrie », cruciales pour la sécurité du LibanÂ

Tel est le miracle dont on n’est pas encore revenu à Beyrouth. Dès les premiers mots prononcés par son douzième président de la République, comme un seul homme, le Liban s’est remis en route et au travail. En quelques minutes, le centre de sa capitale a retrouvé son aspect d’origine et repris son activité. Les restaurants rouvrent, les hôtels se remplissent, les agences de voyages ne savent plus où donner de la tête pour accueillir le « rush » des familles trop longtemps retenues à l’étranger par la crainte d’une guerre civile et qui prévoient de venir en masse embrasser leurs parents à l’été. Même les chrétiens des Forces libanaises, qui avaient, le doigt sur la gâchette, gardé leurs sanctuaires à l’écart des troubles et qui viennent de perdre – avec la majorité gouvernementale – quelques plumes dans l’accord signé au Qatar, célèbrent ce qui apparaît, à tout le moins, comme une trêve et, peut-être, une paix. Mais il faudra dans ce cas que le président Sleimane réussisse, dès demain, à trouver les mots pour convaincre, aussi bien qu’il a su jusqu’ici s’en garderÂ

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