IB et les douze mercenaires
La justice française doit rendre le 4 juin son verdict à l’encontre d’Ibrahim Coulibaly et de ses acolytes, accusés de tentative de coup d’État contre le président Laurent Gbagbo en 2003.
Il se rêvait en président de la Côte d’Ivoire. Et n’a pas hésité à s’entourer de véritables « tontons flingueurs » pour parvenir à ses fins. L’ancien chef rebelle et putschiste ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit « IB », n’a finalement pas pu atteindre son but.
Au lendemain des accords de Marcoussis de janvier 2003 censés mettre un terme à la crise politico-militaire qui secoue le pays depuis quelques mois, la Direction française de la surveillance du territoire (DST, services secrets) déjoue in extremis, à l’aéroport de Roissy (région parisienne), une tentative de coup d’État contre le président ivoirien Laurent Gbagbo. Très vite, les soupçons se portent sur IB et une douzaine de mercenaires. Des Corses, des anciens légionnaires reconvertis en barbouzes et des responsables de l’ex-rébellion ivoirienne qui comparaissaient du 10 mars au 2 avril devant le tribunal correctionnel de Paris pour « acte concerté en vue d’une action violente ». Quatre semaines d’audiences rocambolesques à la sauce « françafricaine ».
Entourés d’une batterie d’avocats, les dix inculpés présents (sur treize en accusation) sont sagement assis en face du président, le caustique Jean-Claude Kross. Sous le coup d’une loi française d’avril 2003 réprimant le mercenariat et le recrutement de mercenaires, ils encourent sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. En fuite, le sergent-chef « IB », contre qui un mandat d’arrêt international a été lancé en janvier dernier pour une autre tentative de coup d’État à Abidjan, a pris soin de faire lire une lettre par la voix de son avocat : « Je n’ai eu recours à aucun mercenaire en 1999 et 2002. Pourquoi en aurais-je eu besoin cette fois-ci ? » Dans la salle, ses acolytes, eux, font bloc. Leur stratégie ? En dire le moins possible, feindre l’amnésie et confondre les dates. « Ce n’est pas ce que vous avez dit dans vos dépositions ! s’agace fréquemment Jean-Claude Kross. Encore un procès-verbal totalement inventé et complètement tronqué ? »
Certains se plaignent des interrogatoires « musclés » de la DST et des « méthodes inqualifiables » du juge Jean-Louis Bruguière, qui a instruit l’affaire avant de la confier à sa consoeur Marie-Antoinette Houyvet. « Nos aveux ont été soutirés par la violence », lâchent-ils. Et d’accuser l’État français : « Paris voulait calmer le jeu avec la Côte d’Ivoire et donner un gage de sa bonne volonté. Nous sommes des boucs émissaires. »
Au fil des audiences, une certitude se dégage toutefois : c’est bien l’assassinat du président Gbagbo qui était programmé, ainsi que le confirme une déposition du légionnaire Soakini Vea, absent lors du procès. Il était prévu que le commando intervienne le 27 août 2003 à Abidjan, lors d’une cérémonie officielle. Une roquette devait alors s’abattre sur le convoi présidentiel et permettre à « IB » de prendre le pouvoir à la faveur d’une insurrection provoquée par deux mille de ses hommes prépositionnés dans la capitale économique. D’avril à août 2003, la préparation de l’opération a consisté dans le recrutement des hommes, leur rémunération à partir de comptes localisés au Burkina ainsi que l’envoi d’équipement et de papiers Le tout avec l’aide de complices travaillant à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France.
Les cinq légionnaires présents dans le box affirment n’avoir jamais été au courant d’un tel dessein. Jacky Muliakaaka, Éric Valentin, Peter et Jürgen Pohl, ainsi que leur « recruteur » Jean-Michel Chapuis, chauve à l’air patibulaire qui agissait pour le compte d’un intermédiaire, Pierre Mass, se disent tous victimes d’une machination. « Officiellement, nous devions protéger une personnalité ivoirienne désireuse de créer une ferme animalière dans le sud du pays. Nous devions recevoir 40 000 euros chacun [26 millions de F CFA]. Quelques jours avant l’opération, on nous a informés qu’il fallait renverser Gbagbo et que de hauts responsables politiques français nous couvraient. »
« Si Je le croise, je le flingue »
Le rôle des autres prévenus est plus ambigu. Le regard caché derrière des lunettes aux verres teintés, le Corse François Léonelli, déjà condamné par le passé pour transport d’armes à feu, aurait été chargé par IB d’effectuer des repérages à Abidjan. Comme tous les autres accusés, Léonelli ne se souvient de rien, pas même de ses propres dépositions. Le rôle de son frère Paul est plus trouble encore. Ancien retraité de la police nationale, ce dernier est présenté comme le logisticien du coup chargé de recevoir les fonds versés par l’ex-rebelle ivoirien. L’homme est aguerri, sa défense ne varie pas. Pour lui, les 147 000 euros retrouvés sur différents comptes étaient destinés à la création d’un centre de formation de gardes du corps au Burkina en vue de protéger des opposants politiques ivoiriens.
Plus offensif, Mamadou Diomandé, ancien responsable du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI, l’ancêtre des Forces nouvelles) et avocat de profession à qui le sergent-chef avait fait miroiter un poste de ministre, est accusé d’être le cerveau du coup. L’homme dément : « Je n’ai plus de contacts avec IB. D’ailleurs, si je le croise, je le flingue. » Et pour cause : de tous les prévenus, Diomandé est celui qui encourt la plus lourde peine. C’est lui qui, par l’intermédiaire des Léonelli, aurait établi la liste des mercenaires et viré les fonds. Son métier d’avocat l’a doté d’une faconde naturelle. À l’aise, il n’esquive aucune question : « Je conteste ce pourquoi on m’accuse. Je n’avais pas besoin de tuer Gbagbo, car il passera de toute façon devant la Cour pénale internationale. Mais je voulais débarrasser mon pays de sa politique mortifère. Si vous êtes convaincus de mon implication, jetez-moi en prison. Je reprendrai le combat lorsque je sortirai. »
Des arguments qui n’emportent pas l’adhésion de la procureure, Anne Kostomaroff. Loin s’en faut. Son réquisitoire est cinglant. Pour cette jeune femme à la frêle silhouette, il ne fait aucun doute que les accusés préparaient un coup d’État : « Tous les protagonistes présents dans cette salle étaient au courant et agissaient en connaissance de cause. » Pour IB, « un habitué des coups de force », elle réclame quatre ans de prison ferme. Elle demande trois ans ferme pour l’organisateur Mamadou Diomandé, et deux ans pour les « assistants » Pierre Mass, Jean-Michel Chapuis, François et Paul Léonelli, Daniel Pohl, ainsi que pour le « financier » Hassan Sakr, un homme d’affaires libano-ivoirien, lui aussi absent du procès. Enfin, pour le groupe des « légionnaires », elle souhaite une peine de douze mois avec sursis.
Aux avocats d’entrer en scène. L’affaire leur semble être un cas d’école. Ils sont d’autant plus à l’aise que l’État de Côte d’Ivoire, initialement partie civile, a retiré sa plainte. Leur défense tourne autour d’un seul point : la qualification des faits dans ce « dossier politique monté de toutes pièces ». Encore récente, la loi de 2003 n’a donné lieu à aucune jurisprudence. Leur argument est donc rodé. « De quoi parle-t-on exactement ? s’emporte l’un d’eux. Si l’on s’en tient à l’esprit de cette loi, il s’agit d’une action concertée en vue d’une action violente. Mais pour établir la culpabilité, il faut que cette action se soit réalisée et que les prévenus aient été au courant dès le début. Or l’assassinat du président ivoirien n’a jamais eu lieu, il n’y a eu aucune victime ni aucune rémunération des hommes de main. Il n’y a que l’intention d’une action. Ce n’est pas parce que je décide un jour de tuer quelqu’un que je suis coupable de l’intention de cet acte non consommé. » Tous les avocats reprennent cet argument mettant en avant de « terribles zones d’ombre » de l’instruction. « Que l’accusation s’appuie sur des faits précis ! » lance Me Philippe Missamou, l’avocat de Diomandé et ancien défenseur des Forces nouvelles.
Les peines requises ont beau être lourdes, les prévenus font preuve d’une certaine désinvolture. Dans leur esprit, la cour manquant de preuves, ils s’en tireront sans doute par un non-lieu. Verdict le 4 juin.
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