Comment parler d’Israël ?
Colonisation des territoires palestiniens, guerre au Liban… la politique de l’État hébreu inspire les réalisateurs arabes. Qui hésitent parfois à nommer Israël. Exemple avec deux films présentés à Cannes.
Été 2006. Prenant pour prétexte la capture de deux de ses soldats par le Hezbollah, Israël inflige au Liban une punition que le président français Jacques Chirac a pudiquement qualifiée de « disproportionnée », provoquant la mort d’un très grand nombre de civils et l’exode de milliers d’entre eux.
Printemps 2008. Un couple de cinéastes libanais, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, présente au Festival de Cannes Je veux voir, dans lequel ils ont convaincu Catherine Deneuve de venir voir en personne (d’où le titre) les destructions de 2006.
L’idée est séduisante : utiliser le renom d’une star afin de dévoiler le sort infligé au Liban. Mais à aucun moment dans le film Israël est désigné comme l’auteur des bombardements meurtriers. La guerre y est présentée de manière générale, sans être restituée dans son contexte historique. Et les médias se sont autocensurés, craignant sans doute qu’une évocation explicite des actions « disproportionnées » de l’armée israélienne ne soit assimilée à de l’antisémitisme. L’embarras du présentateur de Canal+ Laurent Weil était d’ailleurs significatif lorsqu’il a évoqué de manière elliptique « la situation au Liban », évitant ainsi de parler de « guerre »Â
S’il est vrai que, comme le veut l’adage récent, « la guerre moderne se gagne d’abord dans les médias », Israël est sans conteste victorieux sur ce terrain-là.
En fait, il est troublant de voir que les Libanais Hadjithomas et Joreige obéissent à la même logique. Pis, ils expliquent leur film par une volonté de « recherches plastiques sur l’image de Âla guerre » ! À se demander s’ils n’ont pas réalisé un long-métrage intellectualiste qui évite tout discours militant pour que Je veux voir soit étiqueté « film d’auteur » et puisse être retenu dans la sélection officielle du FestivalÂ
Mauvais calcul
Dès lors, l’on assiste à un film qui, par excès de prudence, endosse l’habit de la victime qui finit par jouer le jeu de son agresseur, en acceptant l’image médiatique qu’il a créée. Mais cette soumission volontaire au modèle dominant se révèle un mauvais calcul, surtout en comparaison avec un autre film arabe retenu en sélection officielle. Le Sel de la mer, premier long-métrage de la Palestinienne Annemarie Jacir, qui vit et travaille à Ramallah, évoque très explicitement l’État hébreu et le sort qu’il fait subir aux Palestiniens. Annemarie Jacir filme le quotidien au sein de cette prison à ciel ouvert en suivant Soraya, une Palestinienne de 28 ans qui est née et a grandi à New York et qui décide de s’installer en Palestine. Sa route croise alors celle d’Emad, un jeune réfugié palestinien qui ne souhaite qu’une chose : partir pour toujours. Une idylle naîtra entre les deux jeunes gens.
Le Sel de la mer a certes les défauts que Je veux voir s’évertue (trop) à éviter : un discours au premier degré, parfois proche du démonstratif, un romanesque à la limite du roman-photo. Pourtant, le film fonctionne en parvenant à déjouer, de justesse, les clichés devenus ceux du cinéma militant. En effet, le récit est d’une sincérité palpable qui le rend émouvant. Au terme d’une cavale qui leur a fait redécouvrir leurs racines, Emad et Soraya sont contrôlés et arrêtés par la police israélienne. La jeune femme, expulsée vers les États-Unis, ne pourra plus obtenir de nouveau visa. On comprend alors que ce long-métrage à la fois solaire et sombre est nourri d’un ferment autrement plus créatif que les entrechats artistiques expérimentaux de Je veux voir : celui, suite aux désillusions « post-Oslo », du véritable désespoir.
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