Cap-Vert : la nouvelle coqueluche des investisseurs
Les Européens ont misé 1 milliard de dollars en 2007 dans la construction d’hôtels et de résidences. Un succès qui s’explique par la stabilité politique, le soutien de la diaspora et la télévision.
Le choix de Praia, capitale du Cap-Vert, pour la tenue, du 28 au 30 mai, des quatrièmes rencontres des entrepreneurs pour la coopération entre la Chine et les pays de langue officielle portugaise n’est pas un hasard. Depuis novembre 2007, l’archipel lusophone est candidat à l’instauration d’une zone franche pour le commerce chinois sur son sol (sur l’île de São Vicente). Elle constituerait une « plate-forme idéale pour les échanges entre la Chine et l’Afrique », affirme Alexandre Fontes, président de l’Agence cap-verdienne d’investissements (CVI). Les négociations sont déjà bien avancées et, de l’avis général, elles ont de fortes chances d’aboutir.
Les autorités cap-verdiennes peuvent faire valoir des arguments de poids. Depuis le 1er janvier 2008, le Cap-Vert est sorti du groupe des pays les moins avancés (PMA) pour rejoindre celui des pays à revenu intermédiaire (PRI), suivant la classification de la Banque mondiale établie dans les années 1970. Le Botswana est le seul pays africain à l’avoir précédé sur cette voie, en 1994. Privé de ressources minières ou agricoles, le Cap-Vert ne peut compter que sur ses plages de sable blanc et sur la force de son identité nationale, que partagent une grande diaspora (plus de 700 000 membres) et une population plus réduite (519 000 habitants). Malgré ces handicaps, le revenu par habitant de l’archipel a fait un bond d’environ 1 600 % en trente ans, passant de 130 dollars à plus de 2 300 dollars, à égalité avec le Congo-Brazzaville, riche en pétrole, mais encore loin des Seychelles (8 650) ou de Maurice (5 430). Le Cap-Vert peut mieux faire : sa croissance s’accélère – 6,9 % en 2007, contre 6,1 % un an plus tôt – grâce à l’envolée spectaculaire du tourisme, en particulier de l’immobilier touristique.
Spéculation immobilière
L’archipel doit une partie de ce succès à la télévision britannique. En février 2005, un reportage de l’émission A Place in the Sun (« Une place au soleil »), sur Channel 4, lui est consacré. Devant son public – ceux qui rêvent d’acquérir une maison de vacances et ceux qui en ont les moyens -, la présentatrice Amanda Lamb qualifie le Cap-Vert de destination « championne toutes catégories » pour les investisseurs potentiels. Dans les trois années qui suivent l’émission, les prix augmentent de 50 % à 100 %. Un studio qui se vendait entre 50 000 et 60 000 euros en 2006 se négocie désormais à 90 000, voire 100 000 euros ! Un nouvel eldorado au parfum de spéculation immobilière. « 85 % de nos acheteurs sont d’origine britannique, le reste se partageant entre Allemands, Italiens, Français et Portugais. Tous sont intéressés par la spéculation puisqu’ils acquièrent des résidences secondaires qu’ils occupent deux à trois semaines par an et qu’ils louent le reste du temps », explique José Monteiro, responsable commercial de la Société de gestion des investissements (Sogei). Avec l’hôtellerie (177 hôtels), ce marché du particulier locatif est en plein essor.
« Nous savions que l’activité touristique allait réussir, affirme le président Pedro Pires. C’est pour cela que, depuis 2001, nous avons insisté sur les équilibres macroéconomiques, ce qui n’a pas été compris par tout le monde. Il fallait créer les meilleures conditions pour accompagner le boom actuel, qui était prévisible car le secteur touristique des Canaries était en voie de saturation. » De fait, l’activité touristique de l’archipel a augmenté de 15,6 % entre 2004 et 2007, représentant désormais près de 20 % du PIB. Et pour la première fois, en 2007, avec 300 000 visiteurs et un taux d’occupation d’environ 80 %, le secteur hôtelier du Cap-Vert a réalisé à lui seul un bénéfice supérieur au montant des transferts de fonds effectués par la diaspora cap-verdienne (environ 140 millions de dollars).
La fréquentation des hôtels n’est pas le seul indicateur de l’explosion du secteur touristique. Elle se traduit également par la multiplication des infrastructures. En 2005 et 2007, le Cap-Vert s’est doté de deux aéroports internationaux supplémentaires, l’un à Praia, la capitale (île de São Tiago), et l’autre sur Boa Vista, île qui profite le plus du tourisme après celle de Sal, où se trouvait jusque-là l’unique aéroport international du pays. Un quatrième doit encore voir le jour avant la fin de 2008 à Mindelo (île de São Vicente). Enfin, le processus de privatisation, qui avait été suspendu au début des années 2000, repart de plus belle.
« Le cahier des charges de la privatisation de la compagnie aérienne nationale TACV est en cours d’élaboration, confirme José Brito, ministre de l’Économie, de la Croissance et de la Compétitivité. Mais c’est la lenteur bureaucratique de la Banque mondiale qui ralentit le processus : l’appel d’offres ne devrait pas être bouclé avant la fin de l’année. Quant à la privatisation de la société de gestion des ports du Cap-Vert, Enapor, elle doit aboutir dans les mois qui viennent. » Le gouvernement compte également relancer la privatisation de la société de fourniture en électricité, Electra, dans laquelle l’État s’était réengagé en 2006 après avoir vendu ses parts sept ans plus tôt.
La clé du succès ? « C’est d’abord la consolidation de l’État de droit, qui garantit un climat sain pour les affaires », affirme avec conviction le président Pires. Difficile de le contredire : malgré un résultat décevant au classement « Doing Business » de la Banque mondiale (132 sur 178 en 2008), les investissements directs étrangers (IDE) se bousculent aux portes du pays : « Environ 1 milliard de dollars d’IDE ont été approuvés en 2007 et près de 200 millions réalisés, se réjouit José Brito. Mais, pour 2008, nous allons mettre l’accent sur les réalisations, quitte à freiner un peu les approbations. »
Plus que l’aide au développement
En 2007, les IDE au Cap-Vert ont, pour la première fois, dépassé le montant des aides au développement, qui représentaient 14 % du PIB en 2005. Le tourisme concentre 70 % des montants, principalement sur l’île de Sal, qui représente plus de 65 % de l’activité touristique. « C’est là que tout a commencé, à la fin des années 1980, de manière un peu confidentielle, se souvient le président Pires. C’était la seule île de l’archipel qui bénéficiait d’un aéroport international. » Sal doit accueillir en 2010 le neuvième hôtel Hilton du continent – un projet de plus de 50 millions d’euros. Et son succès s’étend à quelques autres des dix îles, notamment celles de Boa Vista et de São VicenteÂ
Autre facteur – et non des moindres – du modèle cap-verdien : le soutien sans faille de la diaspora. « Nous avons su canaliser l’épargne solidaire des Cap-Verdiens de l’étranger, dit le ministre de l’Économie, José Brito. Ils ont longtemps bénéficié d’un taux garanti de 10 % dans nos banques. Aujourd’hui, ce taux a légèrement baissé – autour de 7 % à 8 % -, puisque les loyers de l’argent ont diminué partout dans le monde. » Enfin, tous les observateurs s’accordent à reconnaître que la stabilité politique de l’archipel – combinée à sa situation géostratégique (les « îles tropicales les plus proches d’Europe » vantées par les dépliants) – a également joué un rôle moteur dans le développement cap-verdien.
Le consensus politique en vigueur depuis l’avènement du multipartisme en 1990 ne s’est jamais démenti. Il a notamment permis de développer la qualité des services aux citoyens, en premier lieu l’éducation. Le taux d’alphabétisation de la population dépasse 80 %, ce qui constitue un atout essentiel pour l’avenir. « Nous ne pouvons pas continuer éternellement à construire à grande échelle, avertit Jorge Benchimol Duarte, directeur commercial de Tecnicil (leader de la construction immobilière). Il ne faut pas répéter les erreurs qui ont été commises ailleurs. » Le promoteur immobilier qu’il est prône une orientation rapide vers le tourisme de luxe.
De fait, les risques d’un développement uniquement axé sur un tourisme de masse sont réels, ne serait-ce qu’en raison de la faiblesse des réserves hydriques de l’archipel, qui sont extrêmement minces. Le Cap-Vert est donc condamné à chercher de nouvelles ressources pour réduire « les nouveaux problèmes qui se manifestent au fur et à mesure que les anciens sont résolus », dit le président Pires. Et ils sont nombreux : le chômage touche aujourd’hui 40 % des jeunes de moins de 25 ans et la pauvreté est passée de 30 % en 1989 à 37 % en 2002, tandis que le taux d’extrême pauvreté passait, lui, de 14 % à 20 % sur la même période. Parallèlement, le trafic de drogue et l’immigration illégale sont devenus préoccupants.
L’avenir dans la High-Tech ?
Tout pousse donc les autorités de Praia à déployer une diplomatie tous azimuts (voir encadré) pour diversifier les investissements. Et le nombre de projets qu’elles entendent mettre en Âuvre donne le tournis. Outre sa candidature à l’établissement sur son sol d’une des cinq zones franches que la Chine souhaite établir en Afrique, le Cap-Vert espère aussi susciter les investissements asiatiques pour développer son industrie de transformation des produits de la pêche, secteur qui, avec le tourisme, offre le plus de potentialités. La Chine a d’ores et déjà annoncé la création d’un centre de stockage du poisson à Mindelo, sur l’île de São Vicente.
Le Cap-Vert s’inspire également du modèle marocain et mise beaucoup sur le développement du secteur des technologies de l’information et de la communication. « Dans l’avenir, le pays doit développer de plus en plus les centres d’appels, en particulier à destination de clients du Brésil ou du Portugal », explique Mohamed H’Midouche, spécialiste du Cap-Vert à la Banque africaine de développement (BAD), basé à Dakar. D’autant plus qu’un Cap-Vert à la pointe de la modernité constituerait un élément indispensable pour mobiliser davantage la diaspora. « Il faut l’inviter à investir dans d’autres secteurs que le tourisme, à s’intéresser à la Bourse des valeurs, par exemple [inaugurée en 1999, NDLR] », ajoute H’Midouche. Le président Pires, quant à lui, nourrit une plus grande ambition encore, celle de faire revenir les Cap-Verdiens de l’étranger : « La fuite des cerveaux est un mal et peut-être un bien, affirme-il. En revenant, ils nous apportent une aide très précieuse »
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