Soudan : « Hemetti », l’ancien chamelier qui rêvait de devenir président
Ce quadragénaire qui a grandi au Darfour est devenu le numéro deux du Conseil de souveraineté. Il a acquis un pouvoir considérable et aspire aujourd’hui à diriger le pays. Mais il reste un personnage très controversé.
La salle est comble. En ce 22 février, des centaines de diplomates, de chefs tribaux et de citoyens ordinaires ont répondu à l’invitation du numéro deux du Conseil de souveraineté soudanais, le général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Deux ministres, plusieurs médecins, le directeur d’une prestigieuse université et le chef de la police se succèdent à la tribune. Leurs discours sont entrecoupés par des saynètes et représentations dansées ou chantées, accompagnées d’une dizaine de musiciens.
Puis Hemetti conclut en quelques minutes. Son treillis beige, sa voix qui porte et son ton assuré… Tout rappelle qu’il est un chef de guerre. L’éclat de sa montre, l’écran géant dans son dos, les tapisseries aux murs et l’imposant lustre au plafond illustrent, eux, la richesse accumulée par le commandant des Forces de soutien rapide (RSF), une milice paramilitaire aussi puissante que redoutée. Le prétexte de cette cérémonie en grande pompe, le lancement de « la grande campagne nationale contre les drogues et le traitement des dépendances », indique enfin comment cet ancien éleveur de dromadaires peaufine son envergure politique. Peu doutent de son ambition de présider un jour le Soudan.
Businessman et chef de guerre
Pour ce quadragénaire qui a grandi au Darfour, cette stature nationale, voire internationale, a des airs de revanche. Les habitants de cette région de l’Ouest, presque aussi vaste que la France, sont à la fois marginalisés et méprisés par les élites de Khartoum. Hemetti continue d’ailleurs d’être raillé par les généraux de l’armée, tous diplômés alors que lui a quitté les bancs de l’école avant son dixième anniversaire.
Sa percée pendant la guerre du Darfour a fait de lui un homme riche et l’a propulsé au sommet de l’État
« Il possède trois casquettes : businessman, chef de guerre et, plus récemment, homme politique, résume un chercheur spécialiste du Soudan. C’est difficile de mener les trois à la fois. » Sa percée pendant la guerre du Darfour a fait de lui l’un des hommes les plus riches du pays tout en le propulsant au sommet de l’État. Le conflit éclate en 2003. Omar el-Béchir – qui sera renversé par la rue en 2019 après trente ans de règne – s’appuie sur des milices locales, les Janjawid, pour mater la rébellion contre la concentration du pouvoir à Khartoum. « À partir de 2005, le monde commence à prendre conscience des massacres en cours, explique Bashir Elshariff Ahmed, professeur de science politique à l’Université islamique d’Omdurman. Le gouvernement organise alors les Janjawid en « Forces de renseignements aux frontières ». La plupart font partie de la tribu d’Hemetti, les Rizeigat. »
Ces milices deviendront par la suite les RSF. En 2007, sous la pression internationale, Béchir se désolidarise un temps de ces groupes, le changement de nom n’ayant pas suffi à faire oublier la brutalité de leur mode opératoire, lequel inclut meurtres, viols et incendies. Hemetti, qui dirigeait jusque-là une simple milice, s’allie avec les rebelles. Il recrute aussi bien chez les peuples dits arabes (comme lui) que chez les non arabes. « Le gouvernement savait qu’Hemetti pouvait gagner contre l’armée. Il a donc finalement accepté de payer ses miliciens, de leur fournir des armes et des véhicules. Hemetti menait 5 000 hommes en 2007. Ils étaient près de 25 000 deux ans plus tard », détaille Bashir Elshariff Ahmed.
Mines d’or
Béchir tente d’acheter la loyauté du nouvel homme fort du Darfour en lui offrant les mines d’or du Jebel Amer, qui vont alimenter l’entreprise familiale, al-Junaid, aujourd’hui dirigée par son frère aîné, Abdel Rahim Daglo. Le benjamin de la fratrie, el-Goney Daglo, le seul à avoir fait des études supérieures, gère les affaires depuis Dubaï. Difficile de savoir quelle part des exportations d’or du Soudan passe par cette société, qui a progressivement diversifié ses activités. Bashir Elshariff Ahmed estime qu’elles représentent plus de 40 % des exportations aurifères du pays – « pour la plupart illégales ».
En 2019, Hemetti lâche Béchir et saute du navire qui sombre
Un autre chercheur spécialiste du Soudan, qui est le deuxième pays producteur d’or du continent, nuance : « Hemetti ne compte pas parmi les cinq plus gros entrepreneurs d’or au Soudan. La plupart des entreprises aurifères appartiennent à quelques grandes familles du Nord. Mais il gêne évidemment ces capitalistes historiques puisqu’il menace les monopoles établis. » L’envoi de milliers d’hommes au Yémen à partir de 2016 pour lutter contre les rebelles houtis aux côtés de la coalition menée par l’Arabie saoudite gonfle encore davantage les caisses d’Hemetti. Cela lui permet également de commencer à tisser son réseau à l’étranger.
Une tâche à laquelle il s’emploie pleinement depuis la chute de son ex-patron. « En décembre 2018, la révolution débute dans un contexte économique dégradé. Hemetti s’est exprimé publiquement sur l’échec du gouvernement car, lorsque ses soldats rentraient du Yémen avec des dollars, ils ne pouvaient pas les échanger à cause de la pénurie d’argent liquide. Cela a accru son ressentiment et il a fini par sauter du navire qui sombrait », décrit une chercheuse travaillant sur les mouvements militaires.
Position de force
Trois ans plus tard, le désormais vice-président du Conseil souverain de transition semble œuvrer de concert avec le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, principal architecte du coup d’État du 25 octobre 2021. « C’est une alliance de circonstance alors que les relations avaient l’air plutôt tendues jusqu’à la mi-2021, analyse le chercheur spécialiste du Soudan précédemment cité. Hemetti se trouve cependant en position de force. »
Il ne fait pas partie des quatre hommes toujours recherchés par la Cour pénale internationale (CPI) pour les exactions perpétrées au Darfour. De toute façon, balaye Ali Rzigalla, l’un des responsables de la branche médias des RSF, « les crimes contre l’humanité ont été commis entre 2003 et 2007 alors que les RSF n’ont été formées officiellement qu’en 2013 ». L’enquête sur le massacre du 3 juin 2019, lors de la dispersion du sit-in révolutionnaire, n’a en outre jamais abouti. Et il paraît peu probable que les responsables de la sanglante répression des manifestations anti-putsch, qui a fait au moins 87 victimes, soient condamnés tant que les militaires se cramponneront au pouvoir.
Proche de Vladimir Poutine
En attendant, Ali Rzigalla préfère insister sur l’image bienfaitrice que les paramilitaires souhaitent imposer. « Ils soutiennent l’éducation, le sport, la santé et résolvent les problèmes entre les tribus. Pas seulement au Darfour, mais dans tout le Soudan. S’ils cessaient, par ailleurs, de lutter contre l’immigration illégale, plus d’un million de migrants arriveraient en Europe chaque année », prévient-il, en référence au controversé protocole de Khartoum, signé en 2014 avec l’Union européenne.
Burhane et Hemetti sont pires que Béchir. Ils volent notre révolution
La campagne anti-drogue illustre cette tentative de dédiabolisation des RSF. Le lendemain de son inauguration, leur chef s’envolait à Moscou pour lever de nouveaux fonds dans la mesure où le coup d’État a privé Khartoum d’au moins 5 milliards de dollars d’aide internationale. La Russie tient là un partenaire riche en ressources minières, importateur d’armes, qui bénéficie des services de sa société militaire privée, le groupe Wagner, et accueillera bientôt sa base navale dans la Mer rouge.
À Khartoum, cette proximité avec Vladimir Poutine discrédite, un peu plus encore, le probable candidat à la présidence aux yeux des militants pro-démocratie. Dans les manifestations, ceux-ci brandissent désormais des pancartes de soutien aux Ukrainiens. Un septuagénaire venu manifester fin février accuse, lui, « Burhane et Hemetti [d’être] pires que Béchir car ce sont eux qui ont orchestré la guerre au Darfour. Et maintenant, ils volent notre révolution. » Une source proche de ces deux hommes révèle que ni l’un ni l’autre ne croit plus à la tenue d’élections en juillet 2023, comme ils s’y étaient engagés lors du coup d’État.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...