Un siècle pas comme les autres

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

Samedi 30 avril A peine entré dans sa cinquième année, ce nouveau siècle nous donne un aperçu de ce qu’il va être. Il me semble, en effet, qu’on peut discerner les lignes de forces sur lesquelles se construit, dans une configuration nouvelle, un monde qui sera sensiblement différent de celui que nous avons connu au XXe siècle : les pays (et ensembles de pays) promis au progrès et à la puissance devront avoir des caractéristiques différentes de celles qui ont fait la réussite des pays dont la gloire a marqué les siècles précédents, en particulier le XXe.
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En ce nouveau siècle, la puissance militaire continuera à compter. Mais beaucoup moins que dans le passé, voire il y a seulement cinquante ans.
Regardez la Russie : elle est toujours la deuxième puissance militaire (et nucléaire) du monde, derrière les États-Unis, mais loin devant tous les autres : à quoi cela lui sert-il ? Qui en tient compte ?
Regardez le Japon, presque désarmé face à son voisin immédiat, la République populaire de Chine, troisième puissance nucléaire de la planète. Sa maîtrise des sciences et des technologies, son économie postindustrielle et son alliance avec les États-Unis donnent au pays du Soleil-Levant la sécurité dont il a besoin.
Les trois grands facteurs de puissance des nations, les bases du triangle sur lequel vont se construire leur rôle et leur influence, sont désormais la démographie, la démocratie et l’éducation, qui permet la maîtrise des technologies.
Ces facteurs ont compté dans le passé, mais jamais autant qu’aujourd’hui : la France au XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne au XIXe, l’Allemagne au XXe, ont connu la puissance et la gloire sans être des colosses, ni même, sauf pour la Grande-Bretagne, des démocraties ; leurs élites étaient éduquées, mais l’analphabétisme était à peine moins répandu chez eux qu’ailleurs.
Et ces trois pays ont dominé des peuples beaucoup plus nombreux qu’eux et parfois tout aussi éduqués, mais qui étaient les « maillons faibles » de l’époque.

Ce qui était normal il y a deux ou trois siècles n’est plus possible aujourd’hui. Nous assistons, en effet, à un changement radical et très heureux : en ce XXIe siècle, un pays ne peut plus être un « maillon faible » si sa population est éduquée, s’il est techniquement avancé, et à plus forte raison si c’est une démocratie.
Qu’à ces facteurs de progrès s’ajoute le poids démographique, et le pays ou l’ensemble de pays sera voué à devenir un des géants du siècle : l’Union européenne et les États-Unis le sont déjà ; la Chine, l’Inde, le Brésil ne tarderont pas à l’être, avant, sans doute, l’Indonésie…

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La démographie, l’éducation et la démocratie ont beaucoup progressé, simultanément, et même de concert, au cours des deux derniers siècles.
En l’an 1801 :
– il y avait moins de 1 milliard d’hommes et de femmes sur la planète et, mises à part la Chine et l’Inde, aucun pays ne rassemblait ne fût-ce que 100 millions d’habitants ;
– la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient les seuls à jouir d’un régime démocratique ;
– quant à l’éducation, elle était embryonnaire partout et fort peu répandue en dehors des élites.
Deux cents ans plus tard, au début du XXIe siècle, le monde compte 5 milliards d’habitants de plus : deux pays de plus de 1 milliard d’habitants, deux autres ensembles d’États qui tendent vers le demi-milliard (chacun), et une vingtaine de pays ou d’ensembles de pays dont la population est supérieure à 100 millions chacun.
Quant à la démocratie, elle a conquis une centaine de pays, soit la moitié du monde, ne s’arrêtant jusqu’ici – pour combien de temps ? – qu’aux portes de la Chine.
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Un analyste très averti, le philosophe français Marcel Gauchet, en dit ceci :
– « La démocratie gagne les esprits comme seule forme imaginable de régime politique. Peu à peu, elle s’installe partout dans le monde, même si c’est, parfois, avec beaucoup de difficultés : nous sommes dans une phase de conquête.
Mais la démocratie peut être victorieuse, fonctionner de façon régulière comme en Occident et frustrer les besoins des citoyens. […]
– Les principes du droit démocratique me paraissent faire l’objet d’un consensus universel. Ils reposent sur deux éléments simples :
1) Le pouvoir émane du libre choix de l’ensemble des citoyens consultés individuellement. Qui a aujourd’hui une autre solution à opposer à celle-là ?
2) De même, je ne connais pas de pays au monde où les citoyens n’aient envie de jouir de la garantie de leurs droits personnels, de ne pas être jetés en prison sans motif, de ne pas être torturés, de bénéficier d’un procès équitable… Le principe des droits individuels fait sens universellement, même si c’est de manière implicite.
– Une fois ces points acquis, il reste la question du possible et du praticable. En effet, ces principes ne permettent pas pour autant de parachuter la démocratie par avion, avec une Constitution prête à l’emploi, abstraction faite du contexte dans lequel il va falloir l’implanter ! […]
De ce point de vue, l’enthousiasme démocratique du gouvernement américain paraît quelque peu aveugle. L’exigence idéaliste des États-Unis quant au but gagnerait à être complétée par la prise en compte réaliste des conditions d’implantation de la démocratie, que ce soit en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique : ces conditions supposent du temps et un processus social dont l’alchimie est à chaque fois singulière. […]
Il ne s’agit surtout pas de dire, au nom du même réalisme, qu’il y a des gens qui ne sont pas faits pour la démocratie ! C’est insupportable moralement et faux empiriquement. […]
– Le XXIe siècle doit voir la planète démocratique. Cela ne veut pas dire que toutes les démocraties seront flambantes, en bon état, mais on peut imaginer en effet un monde globalement démocratique. […]
– Une société organisée par la religion s’oppose au principe de la démocratie. Mais une société de croyants convaincus peut parfaitement être démocratique dès lors que ces croyants sont d’accord pour penser que la politique est l’affaire des citoyens et non de Dieu. […] Ce n’est pas la religion elle-même qui pose problème. C’est ce qu’on fait dire à la religion. La démocratie est compatible avec la foi du citoyen. Elle n’est pas compatible avec une organisation religieuse de la société. »
J’adhère à tout ce que dit Marcel Gauchet de la démocratie ; je l’ai cité longuement ci-dessus parce qu’il définit mieux que je ne saurais le faire l’apport du « droit démocratique » à notre XXIe siècle et décrit très bien les limites de temps et d’espace dans lesquelles le système démocratique pourra se mouvoir en attendant de s’étendre à la planète.
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Quoi qu’il en soit, le XXIe siècle est parti pour être celui du triomphe de la démocratie. À l’exemple de la Turquie ou de la Malaisie, de l’Indonésie, du Sénégal, ou même de l’Iran, des pays musulmans en seront, car ils ont pris des dispositions pour épouser le siècle qui débute.
Mais si j’en crois ce que je vois, ce que j’entends, et dont ce journal est obligé de rendre compte semaine après semaine, la plupart des pays arabes ou africains ont beaucoup de mal à quitter le siècle précédent.

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