Afrique du Sud : d’un Z qui veut dire Zondo
En choisissant le juge Zondo pour présider la Cour constitutionnelle, Cyril Ramaphosa s’attire les foudres d’une partie de l’opposition et du clan Zuma.
« Je ne suis ni pro ni anti qui que ce soit », s’est défendu Raymond Zondo devant le panel qui l’interrogeait au sujet du poste de président de la Cour constitutionnelle. Le juge, qui aura 62 ans en mai et en aura consacré 25 à servir la justice, est accusé par ses détracteurs d’être un animal politique à la solde de Cyril Ramaphosa. Des soupçons qui n’ont pas empêché le chef de l’État de le nommer contre l’avis d’un comité consultatif.
Après audition des quatre candidats en février, la Commission des services judiciaires et les chefs des partis représentés à l’Assemblée nationale ont préféré désigner Mandisa Maya, actuelle patronne de la Cour suprême d’appel. Mais rien n’obligeait Cyril Ramaphosa à suivre leur recommandation. Mandisa Maya devient donc vice-présidente de la Cour constitutionnelle en remplacement de Raymond Zondo, qui gravit la dernière marche pour en être désormais le président, dix ans après avoir intégré la cour. Il assurait déjà l’intérim depuis que la vacance du poste avait été constatée, en octobre dernier.
Accès privilégié
Raymond Zondo n’est pas qu’un simple juge, c’est une personnalité publique. C’est lui qui, depuis quatre ans, dirige la Commission d’enquête sur des soupçons de capture d’État, dite commission Zondo. Une instance chargée de faire la lumière sur la corruption qui a gangréné l’État sud-africain sous la présidence de Jacob Zuma, de 2009 à 2018. La retransmission télévisée des auditions de la commission a permis à Raymond Zondo de devenir une figure du petit écran. Son visage bonhomme, barré de lunettes rectangulaires aux montures fines, a trusté les journaux pendant trois ans. Tout le monde reconnaît désormais le timbre de sa voix, un murmure aux basses profondes vibrant dans un corps XXL.
La commission a introduit Raymond Zondo auprès de l’opinion publique et lui a ouvert les portes du palais présidentiel. Il lui est arrivé d’informer directement Cyril Ramaphosa de l’avancée des enquêtes. Un accès privilégié qui n’a pas manqué de faire tiquer Julius Malema, leader du parti des Combattants pour la liberté économique (EFF). « Cela peut être perçu comme une façon de compromettre l’indépendance de la commission alors que le président lui-même est impliqué », s’est inquiété le tribun. Rien de compromettant, assure Raymond Zondo, qui souligne que c’est la présidence qui est à l’origine de cette commission et que c’est donc au chef de l’État qu’il lui revient de faire son rapport.
Zondo se voit « récompensé pour avoir pris des gants avec Ramaphosa », dénonce l’EFF
C’est lors de ces réunions avec Cyril Ramaphosa que Zondo lui a proposé de venir témoigner devant sa commission. Le chef de l’État est venu s’expliquer en sa qualité d’ancien vice-président du Congrès national africain (ANC, au pouvoir) mais aussi parce qu’il a été le numéro deux de Jacob Zuma. Des auditions menées tout en douceur par les juges, le chef de l’État n’ayant jamais été mis en difficulté. Zondo se voit « récompensé pour avoir pris des gants avec Ramaphosa », dénonce aujourd’hui l’EFF dans un communiqué. Le parti remarque que ni le président ni son fils ne sont inquiétés dans les trois premiers rapports de la commission Zondo. « Le judiciaire a été dépouillé de son indépendance, de son intégrité et de son objectivité », déplore encore le parti radical.
« Un signal fort »
S’il est récompensé, c’est pour avoir travaillé inlassablement à mettre en évidence la mécanique de la corruption au sein du parti au pouvoir, contredit Karyn Maughan, chroniqueuse judiciaire pour News24 : « Ne pas le nommer serait revenu à dire aux juges qui enquêtent sur la corruption au sein de l’ANC et de l’État qu’ils risquent de fragiliser leur carrière. En le choisissant, Ramaphosa envoie un signal fort sur le rôle du système judiciaire comme outil de lutte contre la corruption. Il montre aussi qu’il ne se laisse pas intimider par les critiques. »
Ces derniers mois ont été marqués par des attaques répétées contre le système judiciaire. Un climat de défiance évoqué par Raymond Zondo lors de son audition. « Toutes sortes de menaces ont été proférées contre moi et ma famille par rapport à mon travail à la commission, mais l’État a offert sa protection », a dévoilé ce père de huit enfants. Pis, c’est toute la profession qui a été visée lors des émeutes de juillet 2021, rappelle-t-il.
L’emprisonnement de Jacob Zuma avait en effet déclenché une vague de pillages sur près d’une semaine dans les provinces du Gauteng et du KwaZulu-Natal. Sa condamnation à quinze mois de prison pour outrage à la justice a été prononcée par la Cour constitutionnelle après que la commission Zondo l’avait saisie. Raymond Zondo avait requis deux ans de prison ferme contre Jacob Zuma, qui refusait de venir témoigner. Les partisans de l’ancien président y ont vu une alliance du système judiciaire contre leur chef.
Zuma vs Zondo
L’année 2021 a été rythmée par la confrontation entre les deux Z. Zuma n’a eu de cesse d’exiger que Raymond Zondo se retire de la commission d’enquête anti-corruption, condition sine qua non à sa participation. Il a souvent accusé Zondo de partialité à son encontre. L’ancien président a aussi prétendu que Zondo et lui étaient des amis de trente ans dont les liens familiaux et professionnels le disqualifiaient pour la présidence de la commission anti-corruption. Liens familiaux ? Le juge a été obligé d’admettre qu’il avait eu un enfant avec l’une des sœurs d’une ex-épouse de Jacob Zuma. Pas de quoi former une famille, a insisté Zondo. Si le juge a reconnu avoir entretenu une relation cordiale avec Zuma, il a réfuté l’idée d’une amitié.
Zondo devra prendre sa retraite dans deux ans et demi
Il leur serait de toute façon bien compliqué de recoller les morceaux aujourd’hui. La nomination de Raymond Zondo comme Chief Justice a été accueillie par des sarcasmes dans le clan Zuma. « Zondo, président de la Cour constitutionnelle ? Les blagues continuent de s’écrire toutes seules », a réagi sur Twitter Thuthukile Zuma, l’une des filles de l’ancien chef de l’État. Qu’ils se rassurent, Zondo ne gardera pas le marteau longtemps. Il devra prendre sa retraite dans deux ans et demi.
Si Ramaphosa venait à être réélu à la tête de l’Afrique du Sud en 2024, il faudrait lui trouver un successeur. Mandisa Maya serait alors en bonne position. « En la choisissant pour seconder Zondo, Ramaphosa montre qu’il veut la mettre sur la bonne voie », observe Karyn Maughan. Mandisa Maya deviendrait la première femme à présider la Cour constitutionnelle. Et cela, personne ne semble s’y opposer.
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