Que le Mossad dit tout haut…

L’ancien patron du service de renseignements extérieurs a confié au quo tidien « Ha’aretz » son analyse de la situation au Moyen-Orient. Édifiant.

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Les agences de renseignements ont rarement exercé une influence – bonne ou mauvaise – aussi grande qu’en ces temps troublés. Le sanglant fiasco irakien est un monument dédié aux bévues du renseignement américain et britannique, même s’il est aussi un tragique exemple de manipulation perverse des informations en provenance des « services » par les dirigeants politiques
Au Royaume-Uni, les élections générales du 5 mai montreront dans quelle mesure l’opinion britannique tient grief à Tony Blair de ses mensonges – au mieux, ses exagérations – concernant la menace représentée par les armes de destruction massive de Saddam Hussein.
Aux États-Unis, les difficultés que rencontre John Bolton pour faire approuver par le Sénat sa nomination comme ambassadeur aux Nations unies ont largement pour origine ses désaccords avec la CIA et les autres centrales américaines, qui n’ont jamais trouvé trace des armes non conventionnelles qu’il accusait à grands cris les dirigeants syriens de vouloir se procurer. La Syrie, cependant, n’était pas exempte de tout reproche sur d’autres points. Les activités douteuses de ses agents semblent ainsi avoir joué un rôle décisif dans le déclenchement du mouvement populaire qui l’a contrainte à évacuer le Liban, sous la pression internationale.
Les relations entre les services secrets et le pouvoir politique sont actuellement l’objet d’un examen critique approfondi, non seulement aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi au Proche-Orient.
Il existe peu de pays au monde où lesdits services aient joué un aussi grand rôle qu’en Israël depuis sa création, en 1948. Longtemps, l’État hébreu a eu recours aux opérations clandestines pour déstabiliser et diviser ses voisins et n’a pas hésité à assassiner ses adversaires politiques arabes.
Le Premier ministre Ariel Sharon disait naguère que le périmètre de sécurité d’Israël correspond au rayon d’action d’un F-16. Les responsables de ses services de renseignements pourraient ajouter que leur champ d’intérêt va bien au-delà des pays arabes et de l’Iran : il s’étend jusqu’à l’Afrique et aux États-Unis, bien sûr – dont le soutien politique et financier est essentiel à Israël -, mais aussi à la Chine, à l’Europe et même à la Nouvelle-Zélande, où deux agents du Mossad ont été récemment arrêtés alors qu’ils essayaient de se procurer illégalement des passeports.
Efraïm Halévy a été le patron du Mossad, le service de renseignements extérieurs d’Israël, de 1998 à 2002. Il avait été nommé pour faire le ménage dans l’organisation après l’échec d’une tentative d’assassinat du dirigeant du Hamas Khaled Mishal, à Amman. Il est aujourd’hui conseiller à la sécurité nationale de Sharon. Selon son éditeur, il publiera l’an prochain un livre (Treize Ans qui ont changé le monde), consacré au rôle du Mossad – et sans aucun doute au sien propre – dans la politique internationale.
Ce que les chefs de l’espionnage racontent en public est du plus grand intérêt, parce que cela donne une idée des conseils qu’ils donnent en privé à leurs responsables politiques.
La semaine dernière, Halévy a publié dans le quotidien Ha’aretz un article intitulé « La prochaine Pax Americana ». Il s’agit, pour l’essentiel, d’un panégyrique de ce qu’il appelle « la sagesse de la politique américaine », illustrée par l’occupation de l’Irak, la pression sur la Syrie et l’endiguement de l’Iran. Mais le point le plus alarmant de cet article est ce qu’il recommande, et peut-être même prévoit, à savoir que les États-Unis vont maintenir une présence militaire à long terme au coeur du Moyen-Orient arabe. « Selon toute probabilité, écrit-il avec une évidente satisfaction, l’Irak ne sera pas le dernier pays de la région à requérir une présence militaire américaine de longue durée. »
Le candidat le plus sérieux est à l’évidence l’Arabie saoudite, un royaume où Halévy envisage un certain nombre de « scénarios terrifiants » tels que la création d’un « État d’al-Qaïda » ou un éclatement en plusieurs « régimes parallèles dans différentes régions ». Plusieurs « observateurs américains bien informés » lui auraient confié que, dans cette hypothèse, les États-Unis n’auraient d’autre choix que de renforcer leur présence au Moyen-Orient. « Pour cela, ils seront obligés de rétablir la conscription afin d’être sûrs de disposer d’assez de soldats pour faire face à toutes les situations qui pourraient se présenter en Arabie saoudite et ailleurs. » Comme Henry Kissinger avant lui, Halévy envisage rien de moins qu’une occupation américaine des champs de pétrole saoudiens ! Ce sont de tels délires qui conduisent à douter du bon sens, et même de la santé mentale, de certains responsables du renseignement.
Halévy cite plusieurs néoconservateurs américains, qu’il décrit comme les « inspirateurs » de la politique de l’administration Bush, selon lesquels la présence militaire au Moyen-Orient pourrait se prolonger pendant dix ans, voire davantage. Il ajoute que les Israéliens, qui souhaitent que l’Otan joue un rôle dans la région, « font actuellement campagne pour que la présence américaine se prolonge pendant une génération ».
Selon Halévy, les territoires palestiniens pourraient eux aussi « bénéficier » d’une présence militaire américaine opérationnelle si, comme il l’écrit, « il apparaît que les Palestiniens ne sont pas mûrs pour l’autonomie ». Manifestement, il partage le peu d’empressement de Sharon à reconnaître aux Palestiniens un droit à l’autodétermination dans un État indépendant.
S’agissant de l’Iran et de son intention présumée de se procurer des armes nucléaires, Halévy voit d’un bon oeil ce qu’il appelle « le siège international » mis en place par le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, avec l’accord des États-Unis. L’Iran, prétend-il, tente de se soustraire par la ruse à la pression internationale, mais « les dirigeants européens ne peuvent pas se permettre de se laisser manoeuvrer et de passer pour les idiots du village ». Il est convaincu que les États-Unis ne suivront pas l’Europe si elle tente d’éviter une confrontation avec l’Iran. Pour l’instant, écrit-il, Israël « ne pourrait rêver d’une meilleure combinaison de protagonistes et de circonstances dans la campagne en cours à propos du projet nucléaire iranien ». De fait, il n’écarte pas l’hypothèse d’une « bonne surprise » dans les années à venir : l’endiguement de l’Iran et la neutralisation du danger « existentiel » qu’il représente pour Israël. Il va de soi que cette vision d’un Moyen-Orient occupé et surveillé par les États-Unis afin d’assurer la défense d’Israël a peu de chances de susciter l’enthousiasme dans le monde arabe et en Iran.
Seul nuage dans la vision optimiste d’Halévy : le ralliement de l’Amérique à la « feuille de route » pour la paix israélo-palestinienne. Au lieu de la « solution provisoire à long terme » du conflit espérée Sharon (qui aurait donné à Israël le temps d’annexer et de coloniser davantage de territoires palestiniens), la feuille de route prévoit un accord final et global sur un statut permanent en 2005.
« Nous nous sommes endormis, écrit Halévy. Israël a été totalement pris par surprise lorsque le président Bush a décidé de faire de la feuille de route la base de sa politique, une semaine seulement avant de faire la guerre à Saddam Hussein. » Et il cite plusieurs conséquences fâcheuses, dont la moindre n’est pas que les États-Unis n’ont pas reconnu, et encore moins adopté, les quatorze réserves opposées par Israël à cette feuille de route, celles-ci n’ayant « absolument aucune validité diplomatique ou internationale ».
Israël s’est unilatéralement engagé auprès des États-Unis à démanteler les avant-postes installés en Cisjordanie depuis mars 2001. Le fait que cette promesse ait été faite aux Américains, et non aux Palestiniens, prouve tout simplement que l’Amérique est devenue « l’unique arbitre du conflit ». Il sera à l’avenir impossible à Israël d’exercer une quelconque pression sur les Palestiniens s’il advient que les Américains approuvent la position de ces derniers. Pis encore, gémit Halévy, il n’est plus exclu que Washington se rallie à des positions totalement inacceptables par Israël si tel lui paraît être son intérêt, s’il estime devoir faire une faveur aux Arabes ou s’acquitter d’une « dette » politique envers tel ou tel pays. Bref, le cadre d’un règlement du conflit a été mis en place. Pour Israël, c’est un désastre !

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