Il faut sauver le oui…

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

C’est reparti. La France est entrée dans une de ces bagarres politiques qui la saisissent régulièrement. L’objet en est le référendum portant sur le projet de Constitution européenne. À ce jour, si l’on en croit les sondages, le refus d’approuver le texte caracole en tête : selon les enquêtes, le non est plus ou moins en avance et mobilise jusqu’à 58 % des personnes interrogées. Mais, s’il demeure majoritaire, son avance n’est plus aussi considérable. D’où une âpreté renouvelée dans la compétition. D’où l’entrée en lice, à gauche comme à droite, des grands fauves de la politique. Ils s’appellent Chirac, Giscard, Simone Veil, Barre, Jospin, Mauroy, Delors, Rocard. Bref, tous ceux qui appartiennent depuis longtemps à la classe politique et dont beaucoup, peu ou prou, semblaient en retrait de la vie publique.
Ce retour des vieilles gloires est apparu d’autant plus nécessaire que quelque chose d’inouï se profilait : le divorce absolu entre une opinion et son élite, le rejet par le peuple du choix opéré par l’establishment (hommes politiques, grands médias, principaux chefs d’entreprise, intellectuels, tous favorables au oui). Voilà qui risquait de créer une situation inédite. Que le non l’emporte et sans doute, d’apparence, rien ne changerait : l’Europe continuerait d’être gouvernée selon les règles actuelles et en fonction des traités existants. Mais, outre le fait que la France sera vraisemblablement isolée au sein de l’Union européenne (UE), les conséquences sur le plan de la politique intérieure seraient importantes : des extrêmes – aussi bien l’extrême droite que le Parti communiste et les gauchistes – triomphants, le président de la République affaibli, un Parti socialiste (PS) scindé en deux puisqu’une minorité de ses dirigeants, conduite par Laurent Fabius et Henri Emmanuelli, fait ouvertement campagne pour le non.
Rien n’est pourtant gagné pour le camp du oui. L’intervention directe du chef de l’État dans la campagne a déçu. Chirac n’est pas parvenu à faire reculer le non de façon très importante, même si son intervention a permis de solidifier l’électorat de droite qui a repris le chemin du oui. Mais son influence sur celui de la gauche a été quasi nulle. Or c’est bien là que tout se joue puisqu’une majorité de sympathisants du PS se déclarent tentés par le non. Ils ne suivent pas les consignes du premier secrétaire, François Hollande, et entendent aussi, à l’occasion de ce référendum, dire leur mécontentement devant la politique suivie par le gouvernement. D’autant qu’il leur déplaît de devoir voter de la même manière que Chirac, leur bête noire, et une large partie de la droite.
La situation au sein de l’électorat socialiste était suffisamment grave pour que Lionel Jospin se décide à intervenir et mette tout son poids dans la balance. L’ancien Premier ministre n’avait jamais participé à une émission de télévision depuis sa défaite à la présidentielle de 2002. Il le fit avec habileté, pédagogie et conviction. Habileté, puisqu’il expliqua qu’il ne fallait pas se tromper d’élection et que celle-ci ne concernait pas le président de la République, dont il critiqua vertement la politique (« Voter non, c’est sanctionner la France et l’Europe, pas le pouvoir en place […]. Ce n’est ni l’occasion ni le moment de trancher la question Chirac », a-t-il dit). Pédagogie, car il souligna à plusieurs reprises les bienfaits de la future Constitution européenne et les mensonges que proféraient les tenants du non. Conviction, enfin tant l’ex-chef du gouvernement apparut comme un Européen raisonnable, plus pragmatique et réaliste qu’enthousiaste et passionné.
Cette mobilisation en faveur du oui touche tous les domaines et tous les acteurs. Ainsi, Chirac a profité du premier vol de l’Airbus A-380, le plus gros avion du monde, pour dire combien une telle prouesse témoignait de l’importance d’une Europe unie. Ainsi encore le chancelier allemand Gerhard Schröder, de passage à Paris, a fustigé les arguments « totalement illogiques » des partisans du non. C’est dire à quel point l’enjeu de la bataille est considéré comme essentiel. C’est également que plusieurs hommes politiques français jouent leur avenir dans l’affaire. Ne serait-ce que le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui, en cas de victoire du non, pourrait être remplacé à l’issue de la consultation, et le leader socialiste, François Hollande, qui n’aura pas su imposer son autorité. Comme toujours, une élection a d’autres conséquences que son seul résultat.

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