Gros sous et petits arrangements

À quelques jours du second tourde l’élection présidentielle du 8 mai, François Bozizé et Martin Ziguélé battent le rappel de leurs « mécènes » et multiplient les appels du pied en direction des autres leaders politiques pour obtenir leur ralliement.

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Campagne au ralenti pour le second tour, évidemment décisif, de l’élection présidentielle centrafricaine, le 8 mai. Non pas tant que les jeux soient faits, à en juger tout au moins par les certitudes affichées des deux candidats, lesquels se voient déjà triomphalement installés au sommet de ce qui reste de l’État. Question de gros sous, plutôt, puisque, ici comme ailleurs, les convictions sont monnayables : qui paie à Bangui finit toujours par commander. Sur ce plan, le « sortant » François Bozizé est parti avec une avance considérable sur son concurrent Martin Ziguélé. Les « caisses réservées » de la présidence et les opérateurs économiques locaux ne pouvant offrir que ce qu’ils ont – c’est-à-dire peu -, le tombeur d’Ange-Félix Patassé a bénéficié de la solidarité de ses pairs d’Afrique centrale, lesquels misent ouvertement sur lui. Selon nos informations, Idriss Déby, Paul Biya, Omar Bongo Ondimba et Denis Sassou Nguesso ont ainsi contribué à la campagne du général. Signe des temps cependant, mais aussi de la « grosse fatigue » centrafricaine des voisins : ce n’est plus par milliards de francs CFA que se chiffre cette manne fraternelle, mais par centaines de millions non renouvelables d’un tour électoral à l’autre, c’est-à-dire versés une fois pour toutes. Peu connu avant l’élection, Ziguélé, lui, tire carrément la langue. De bonne source, l’ancien Premier ministre de Patassé tentait ces derniers jours des approches du côté de Luanda et de Malabo après avoir reçu un viatique plutôt symbolique en provenance de Libreville – le vieux sage du Palais du bord de mer, c’est connu, n’oublie personne, même s’il sait parfaitement doser sa générosité. De part et d’autre donc, l’heure est à la sobriété forcée.
Fort de ses 16 % obtenus au premier tour et persuadé d’être le faiseur de roi pour le second, le général et ancien président André Kolingba a fait les frais de cette parcimonie. Dans ses négociations avec les deux candidats pour déterminer lequel d’entre eux bénéficiera de son ralliement, l’ex-maître de Bangui (1981-1993) avait cru bon de fixer son prix – exorbitant : 5 milliards de F CFA d’indemnité, plus une compensation pour ses biens endommagés, plus un logement de fonction, plus trente gardes du corps payés par l’État, plus un poste de médiateur de la République. Pour son parti, Kolingba exigeait, outre le portefeuille de Premier ministre, neuf ministères, six préfectures, vingt et une sous-préfectures, ainsi que l’assurance de pouvoir placer des officiers proches de lui – c’est-à-dire yakomas – au sein de l’état-major et dans tous les corps sensibles. Las ! Destiné à demeurer confidentiel, ce « cahier des charges » de quatre feuillets s’est étalé sur la place publique dans les heures qui ont suivi son dépôt – on est à Bangui. Chancelleries et bailleurs de fonds ont poussé des cris d’orfraie. Son auteur a dû, vite, le remettre dans sa poche.
Kolingba s’est donc rabattu, si l’on peut dire, sur des méthodes plus classiques. En laissant finalement la liberté de choix à ses électeurs, le patron du Rassemblement démocratique centrafricain (RDC) préserve l’avenir des siens, même si l’on estime généralement que les réflexes antipatassistes, voire antinordistes, de ses partisans joueront beaucoup plus en faveur de Bozizé que de Ziguélé. Une hypothèse qui se vérifierait également en cas d’abstention massive de cet électorat. Avec 23,5 % des voix (contre 43 % à Bozizé), Ziguélé doit en effet absolument faire le plein de la défunte Union des forces vives du premier tour pour espérer l’emporter. Or, déjà affaiblie par la défection de Kolingba, cette alliance purement circonstancielle que l’on avait un peu vite qualifiée de front « tout sauf Bozizé » a volé en éclats. Charles Massi, que l’on savait fluctuant, mais surtout, à la surprise générale, Jean-Paul Ngoupandé, ont en effet annoncé leur ralliement à la candidature de Bozizé, en dépit des promesses de désistement automatique faites il y a peu, la main sur le coeur. Motif : ils ne sauraient appeler leurs militants à voter pour un homme qui, en dépit de ses efforts et de son discours, n’est en réalité qu’une créature du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC) et de son fondateur Ange-Félix Patassé, « lesquels nous ont fait tant de mal ».
Pour un renversement de cette taille, qui a lui seul assure mathématiquement la victoire de Bozizé (Ngoupandé et Massi ont recueilli à eux deux 8,3 % des voix, soit un peu plus que ce qui manquait au général pour être élu), tout en lui permettant de faire l’économie d’un douloureux marchandage avec Kolingba, l’explication est un peu courte. Il est donc possible, comme on le murmure à Bangui, que Ngoupandé se soit vu promettre le poste de Premier ministre. Il n’est pas exclu non plus que des interventions régionales, voire d’ordre maçonnique, soient entrées en jeu pour assurer au « frère » Bozizé une élection sans surprise. Une chose est sûre : très soucieux de la sécurité à ses frontières et très désireux de jouer un rôle régional à sa mesure, le président congolais Denis Sassou Nguesso est, de tous les voisins de la Centrafrique, celui qui joue le rôle de stabilisateur le plus actif.
Paysage difficile, donc, pour Ziguélé, avant la bataille du 8 mai. Reste bien sûr les législatives, dont le second tour aura lieu le même jour. Le MLPC est en tête, devant le RDC, la « Convention Kwa na Kwa », hâtivement rassemblée autour de Bozizé, n’ayant manifestement pas réussi sur ce terrain à effectuer une percée. Va-t-on vers un gouvernement d’union, ou de cohabitation, incluant des membres du « parti de Patassé » ? Pourquoi pas. Mais le lot de consolation serait bien mince pour Ziguélé. Outre le fait qu’il n’est ni député ni membre des instances dirigeantes du MLPC, on peut faire confiance à l’exilé de Lomé pour rappeler à son fils prodigue l’histoire de César et de Brutus.

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