Dakar, quarante ans après

Inspiré par l’épisode glorieux de 1966, le Sénégal organise fin 2006 une nouvelle grande fête de la culture africaine.

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Le troisième Festival mondial des arts nègres (Fesman), qui devrait avoir lieu à Dakar en décembre 2006, prend forme. Si l’on n’en connaît pas encore le programme, au moins peut-on avancer que l’hymne sera composé par Manu Dibango sur des paroles de Gilberto Gil, ministre de la Culture du Brésil. Ce pays sera en effet l’invité d’honneur de la manifestation.
Annoncée en décembre 2003 par le gouvernement sénégalais, la tenue du Fesman est longtemps restée un vague projet. Tout juste savait-on que la date retenue correspondait au quarantième anniversaire du premier festival du même genre, mais aussi au centième anniversaire de la naissance de l’ancien président Léopold Sédar Senghor, décédé en décembre 2001, qui en est en quelque sorte le père spirituel.
Pour saisir l’importance symbolique de ce projet, il faut remonter aux années qui suivent la Seconde Guerre mondiale et la naissance de Présence africaine, à Paris, en 1949. Après avoir créé la maison d’édition et la revue de ce nom, afin de « donner une voix aux griots du nouvel âge », le Sénégalais Alioune Diop pensa nécessaire de les réunir dans le cadre d’une grande rencontre internationale. C’est ainsi que fut organisé en septembre 1956, toujours à Paris, le premier Congrès mondial des écrivains et artistes noirs. Un deuxième congrès suivit, cette fois à Rome, en 1959, au cours duquel fut décidé le principe d’une grande fête de la culture africaine dans toutes ses formes d’expression.
Pendant trois semaines, du 1er au 21 avril 1966, Dakar accueillit les plus grands artistes noirs du monde. Duke Ellington, Myriam Makeba, Josephine Baker étaient du lot. Vingt-quatre pays étaient représentés par des troupes théâtrales, des orchestres, des ensembles chorégraphiques. Le Musée dynamique, inauguré pour l’occasion, rassemblait six cents des plus belles pièces de l’art nègre dispersées dans des musées ou des collections du monde.
Pour le président Senghor, cette manifestation était l’aboutissement de son combat pour la reconnaissance des valeurs de la négritude et de la contribution du monde noir aux grands courants de la culture universelle. L’heure était venue, après des siècles d’occultation, de manifester fièrement son génie. Il fallut attendre février 1977 pour que soit organisé, à Lagos, le IIe Festival mondial des arts nègres. Mais celui-ci n’eut pas le même retentissement. C’est pourquoi l’idée de renouer avec l’épisode glorieux de Dakar a pu apparaître séduisante.
Quelques mois après l’annonce du troisième festival, un site (www.fesman.org) était créé en mars 2004, mais seules quelques indications d’ordre général étaient fournies aux internautes. Les choses semblent se préciser depuis le début de l’année. En février, un coordinateur a été nommé en la personne de l’écrivain Alioune Badara Bèye, promu peu de temps auparavant président de la Fédération internationale des écrivains de langue française (Fidelf). Et, le 21 avril, le Fesman 2006 a été officiellement lancé au Théâtre Daniel-Sorano au cours d’une cérémonie animée, notamment, par l’Ensemble lyrique traditionnel.
Cette troisième édition, a indiqué Alioune Badara Bèye, ne sera pas une répétition des deux précédentes, qui avaient pour but de réconcilier l’Afrique avec elle-même après les périodes obscures de l’esclavage et de la colonisation. Il ne s’agit plus seulement de défendre et illustrer les valeurs du monde noir, mais de les « convoquer » pour relever les défis du développement durable.
L’organisation de la manifestation ne va pas sans provoquer des polémiques à Dakar. Si la date n’a pas été choisie au hasard, puisqu’elle correspond au quarantième anniversaire du premier festival, elle interviendra quelques mois seulement après la septième édition de la Biennale de l’art africain contemporain (Dak’Art), prévue en mai 2006. Certains ont pensé que cette dernière pourrait être annulée. Interrogée à ce sujet, Safiatou N’Diaye Diop, ministre sénégalaise de la Culture et du Patrimoine historique, a affirmé qu’il n’en sera rien. La Biennale, a-t-elle expliqué, même si elle reçoit une aide de l’État, est une structure autonome et pérenne. Elle est par ailleurs dédiée aux seuls arts plastiques, alors que toutes les formes d’expression artistique seront représentées au festival : théâtre, cinéma, musique, littérature, danse…
Certaines voix de l’opposition crient par ailleurs à la récupération politique, s’indignant que le président Wade reprenne à son profit l’héritage de Senghor après avoir combattu son action pendant de longues années.
Reste la question financière. Quelque cinq cents invités du monde entier sont attendus, et le budget prévisionnel avoisine 7 milliards de F CFA (environ 10,5 millions d’euros), ce qui n’est pas rien. Pour l’heure, une enveloppe de 500 millions de F CFA a été allouée au comité préparatoire pour aller démarcher les bailleurs de fonds.

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