Un demi-siècle

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 7 minutes.

Le triangle Europe/Moyen-Orient/Afrique a connu, fin mars-début avril 2007, un calendrier politique chargé.
Le dimanche 25 mars à Berlin, redevenu la capitale d’une Allemagne réunifiée et démocratique – tout un symbole -, les 27 pays de l’Union européenne ont fêté les cinquante années d’intégration européenne. Et se sont engagés ce même jour à persévérer dans la même voie.
Les Européens ont réussi parce qu’ils ne sont pas allés jusqu’au fédéralisme (les États-Unis d’Europe), mais ont poussé au-delà de la simple instauration d’une zone de libre-échange. Ils ont opté, à terme et en fait, pour une confédération d’États indépendants et solidaires.
Ils n’ont pas encore arrêté de doctrine sur le rythme de l’élargissement et sur les limites géographiques de leur Union : intégrera-t-elle un jour les deux gros morceaux que sont la Turquie et l’Ukraine ? Restera-t-elle un ensemble d’un demi-milliard d’hommes et de femmes, au niveau des États-Unis ? Ou bien, dépassant ces limites, ira-t-elle vers le milliard pour s’approcher, d’ici à 2050, de l’Inde et de la Chine ?

La déclaration du 50e anniversaire, adoptée le 25 mars à Berlin, est limpide :
« L’unification européenne nous a apporté la paix et la prospérité. Elle a créé un sentiment d’appartenance commune et permis de surmonter les antagonismes. []
L’Union européenne repose sur l’égalité des droits et la solidarité. Ainsi, nous concilions de manière équitable les intérêts des différents États membres. []
Le marché unique et l’euro nous rendent forts. Nous pouvons ainsi maîtriser, dans le respect de nos valeurs, l’internationalisation croissante de l’économie et une concurrence de plus en plus vive sur les marchés internationaux. []
L’Union européenne veut encourager la liberté et le développement dans le monde. Nous voulons faire reculer la pauvreté, la faim et la maladie, et continuer de jouer un rôle majeur dans ce domaine. »

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Les fruits d’un demi-siècle d’intégration sont décrits en ces termes par un bon observateur de cet accomplissement : « L’une des réussites les plus frappantes de l’Union européenne a été sa capacité de promouvoir la paix et la prospérité à l’intérieur de frontières toujours plus reculées. Les six pays pionniers ont attiré dans leur club vingt et un membres nouveaux, créant ce qu’on a appelé le premier empire volontaire de l’Histoire. La péninsule Ibérique a trouvé la voie de la stabilité politique et de la prospérité. La démocratie et l’État de droit ont été rétablis dans les nouveaux pays membres de l’Europe centrale. »
Mais le même observateur n’omet pas de souligner ce que l’Europe n’a pas su faire : « Les plus graves problèmes à long terme de notre époque – la mondialisation, le changement climatique, le terrorisme, la stabilité au Moyen-Orient et le développement de l’Afrique – ne peuvent pas être réglés à l’intérieur des frontières de l’Union, et encore moins à l’intérieur des pays membres. L’Union doit apporter une contribution plus importante au débat mondial sur tous ces problèmes et développer la capacité d’accompagner ses belles paroles d’actions efficaces. »
Il est relayé par un Samuel Pisar très inquiet : « Nous ne sommes plus les maîtres, les sahibs, les seigneurs de la Terre. Des peuples que nous avons longuement sous-estimés se sont mis à apprendre, à créer, à produire et à nous battre à notre propre jeu. La roue de la fortune qui tourne doucement avec les siècles s’arrêtera-t-elle pour faire de l’Europe le continent sous-développé de demain ? Les Cassandres qui le prédisent ne peuvent être contredites que par l’adaptation aux évolutions galopantes. »

L’intégration a-t-elle au moins permis aux pays européens qui s’y sont engagés de « refaire leur retard » sur les États-Unis ? Même pas, hélas.
L’Europe de 2006 a le même PIB par habitant que les États-Unis de 1985 : vingt ans de retard. Ses investissements en recherche et développement sont ceux de l’Amérique d’il y a trente ans. Pour espérer rattraper les États-Unis en moins d’une décennie, l’Europe doit augmenter ses dépenses en recherche et développement de 14 % par an et son PIB de 8 % par an.
Elle n’en paraît pas capable.
Un demi-siècle après le début de sa longue marche vers l’intégration, l’Europe ne peut donc se reposer sur ses lauriers : la bouteille n’est qu’à moitié pleine.

Plus préoccupant encore est le fait que l’effort qu’elle a consenti pour faire progresser l’intégration et la solidarité entre ses États membres l’a détournée de ses devoirs envers ses deux grands voisins, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Par la faute de leurs dirigeants politiques, ces deux voisins de l’Europe n’ont pas pris le chemin de l’intégration et le dernier demi-siècle ne leur a apporté ni la paix ni la prospérité, beaucoup s’en faut.

Les dirigeants des pays arabes se sont réunis les 28 et 29 mars à Riyad, capitale du plus riche d’entre eux par son sous-sol, et l’un des plus rétrogrades politiquement.
Hôte de ses pairs, son chef de l’État a eu le mérite rare de la franchise.
Alors qu’en août 1967, réunis en sommet à Khartoum, les prédécesseurs de ces messieurs – pas de dame parmi eux – décidaient (fièrement, pensaient-ils), « pas de reconnaissance [d’Israël], pas de négociation, pas de paix [avec lui] », les dirigeants actuels des 22 pays arabes ont renouvelé en 2007 leur supplication de 2002 à l’adresse d’Israël (et des États-Unis) : « De grâce, rendez-nous nos territoires et nous ferons (tout) ce que vous nous avez demandé »

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L’horizon s’étant quelque peu obscurci pour les États-Unis et Israël, ce qui a été dédaigneusement, non pas même rejeté mais ignoré en 2002 par Ariel Sharon, alors Premier ministre d’Israël, et George W. Bush a des chances d’être aujourd’hui pris en considération.
On nous parle déjà d’une nouvelle « conférence internationale » et d’un énième « processus de paix ». La secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, qui en est à son septième voyage au Moyen-Orient en huit mois, va y consacrer beaucoup de son temps et de son énergie en pure perte, à mon avis.
Je ne pense pas en effet que la solution du conflit sorte de l’effervescence diplomatique qu’on nous annonce : il ne reste à George W. Bush et à Condoleezza Rice que vingt mois (utiles) au pouvoir. Et il leur manque l’essentiel : la conviction. Ajoutez à cela que ni Israël ni les pays arabes n’ont en ce moment des dirigeants assez courageux et assez populaires pour faire aboutir – et signer – « le compromis historique » qui s’est dégagé au début de 2001 dans les derniers jours de la présidence de Bill Clinton.

Entre Arabes et Israéliens, pour parvenir à la paix, il ne s’agit pas seulement, comme on le dit, « d’échanger la terre contre la paix ». Il s’agit de l’évacuation par Israël des colonies qu’il ne cesse d’installer et de faire croître depuis trente ans en Cisjordanie et sur le Golan contre la renonciation des Palestiniens et des autres Arabes à utiliser le droit des réfugiés palestiniens au retour.
Il s’agit donc de décider du sort – et des droits – de centaines de milliers d’Israéliens et de millions de Palestiniens.
Seuls en sont capables de vrais hommes d’État, et la région n’en compte pas !
Artisan du processus de paix entre l’Égypte et Israël, qu’il a su mener à son terme en 1979, le président américain Jimmy Carter l’a écrit en toutes lettres dans son dernier livre : « Dans le cas du conflit israélo-arabe, les peuples concernés sont favorables à un règlement, tandis que leurs dirigeants font obstacle à la paix »

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L’Afrique, autre grand voisin de l’Europe, n’a pas connu la paix, elle non plus. Ni, par conséquent, la prospérité.
Mais, il faut le dire, ses 54 pays conduisent régionalement, depuis des décennies, des expériences d’intégration plus ou moins réussies.
L’Afrique est certes défigurée par l’interminable martyre des populations du Darfour, dont est responsable au premier chef le gouvernement du Soudan, mais aussi l’Union africaine et la Ligue arabe, qui s’accommodent bon gré mal gré de la situation, et nous tous (voir pp. 58-63).
Mais en cette fin mars-début avril 2007, l’Afrique émet d’autres signaux, verts ceux-là. J’en citerai deux :
Comme nous l’espérions, mais sans oser y croire, la Mauritanie a ajouté de très belle façon son nom à la courte liste des pays africains convertis à la démocratie – et qui se sont mis à la pratiquer avec une étonnante maestria.
Comme nous l’espérions, sans trop oser y croire, la Côte d’Ivoire a confirmé qu’elle a changé de cap : au lieu de continuer à faire de leur mieux pour empêcher leur pays de fonctionner, ses dirigeants ont commencé à recoudre ce qu’ils ont eux-mêmes déchiré.
Dans un cas comme dans l’autre, l’acquis peut être remis en question. Mais, pour l’heure, il figure à l’actif d’un continent qui, en cinquante ans, a accumulé un lourd passif

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