Radioscopie d’un drame

L’Union africaine est impuissante. La Ligue arabe ne sert à rien. L’ONU tergiverse. Les ONG s’indignent. Khartoum demeure inflexible. Comment mettre fin au conflit qui secoue l’ouest du Soudan et qui a déjà fait couler beaucoup de sang ?

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

A l’image de ces cavaliers de l’Apocalypse, qui fondent à l’aube sur les villages rebelles et ne laissent de leur passage qu’une trace de cases brûlées, tout, dans ce conflit, est en clair-obscur. Combien de morts depuis quatre ans ? Dix mille selon les autorités soudanaises, quatre cent mille selon les ONG. Comment qualifier la tragédie du Darfour ? Guerre de contre-insurrection, dit-on à Khartoum ; crime de guerre, estime l’ONU ; crime contre l’humanité, assure l’Union européenne ; premier génocide du XXIe siècle, renchérissent les intellectuels occidentaux, auteurs récemment d’un appel à leurs gouvernements respectifs. Quelle solution pour y mettre un terme ? Désarmer les forces rebelles, assène le général-président Omar el-Béchir ; armer les forces rebelles, rétorquent les intellectuels et les lobbies ; négocier et sanctionner le régime soudanais, soutient l’ONU De ce maelström de passions, d’arrière-pensées, de manipulations et parfois d’irresponsabilités émergent cependant quelques certitudes.

Quelle que soit l’origine purement militaire du conflit – la première attaque est venue des forces rebelles – ainsi que l’ampleur des exactions, indéniables, commises par ces dernières, le gouvernement soudanais est le premier responsable de la protection des Darfouris. Or, non seulement il a failli à cette responsabilité élémentaire de tout État, mais il a financé et équipé une milice – les Djandjawids – chargée de mener à la place de l’armée régulière (dont beaucoup de soldats sont originaires du Darfour), les opérations de contre-guérilla. Le résultat, classique dans ce type de guerre sale menée par supplétifs interposés, ne s’est pas fait attendre : c’est aux populations civiles que les Djandjawids s’en prennent en priorité, selon le principe de la responsabilité collective, avec une ardeur criminelle redoublée depuis la signature des accords de paix d’Abuja. Ceux des rebelles qui, depuis, ont malgré tout décidé de continuer la lutte armée ainsi que les villages et les camps de réfugiés censés les abriter, sont désormais considérés comme des virus à éradiquer. Quant aux pays arabes et à la Ligue arabe, ils ont jusqu’ici, dans la pratique, calqué leurs positions sur celles du gouvernement soudanais : cécité diplomatique et soutien tacite.

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Pour salutaire qu’elles soient, la médiatisation et la mobilisation constatée en Europe et aux États-Unis autour de ce conflit ne doivent pas faire illusion. Derrière les opinions publiques et les intellectuels, culpabilisés par le génocide rwandais et sincèrement désireux d’arrêter cet engrenage infernal, sont à l’uvre des forces et des intérêts qui n’ont rien de naïfs. Pour les Églises évangéliques et les néoconservateurs américains, pour les lobbies pro-israéliens aussi, le pouvoir soudanais constitue le diable idéal. Il est obtus, militarisé, arabo-musulman proche de l’islamisme radical et hors de toute influence des États-Unis. Bref : un exutoire parfait pour oublier la Palestine et la guerre d’Irak – laquelle a fait autant de victimes, si ce n’est plus, dans le même laps de temps. Ce sont les mêmes, souvent, qui préconisent de régler le problème du nucléaire iranien par des attaques préventives. Et ce sont eux qui, contre toute évidence, martèlent la thèse du génocide en plaquant sur le Darfour une grille de lecture ethnico-religieuse trompeuse. Leur solution est simple, comme est naturel le réflexe minimal d’humanité face à un génocide : intervenir militairement, fournir des armes aux « combattants de la liberté » et in fine renverser le pouvoir en place à Khartoum. Un modèle déjà expérimenté, avec les conséquences que l’on connaît, en Afghanistan et en Irak.

Au prix de quel gâchis ? de combien de milliers de victimes supplémentaires ? de quelle déstabilisation régionale ? À la solution du corps expéditionnaire contre les « mauvais Arabes » de Khartoum, à la menace permanente dont l’unique résultat est d’enfoncer encore plus ce régime dans le raidissement, l’immobilisme et la violence, on nous permettra de préférer ce que tente, vaille que vaille, de réaliser l’ONU : sanctions diplomatiques, actions judiciaires via la Cour pénale internationale, aide humanitaire et pression maximale pour que le général Béchir accepte des Casques bleus sur son sol sans que pour autant cela apparaisse comme un déni de souveraineté. Le drame du Darfour est un drame politique. La solution ne peut donc être que politique.

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