Qui après Obasanjo ?

Le pays le plus peuplé du continent, l’un des plus riches, des plus turbulents aussi, se rend aux urnes le 21 avril pour trouver un successeur au chef de l’État sortant. Pour la deuxième fois de suite, un civil devrait remplacer un civil. Un enjeu politiq

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 7 minutes.

La campagne de l’élection présidentielle nigériane du 21 avril est aussi riche en coups de théâtre qu’un feuilleton de Nollywood. Après des mois d’alliances, de divorces et de ralliements entre la cinquantaine de prétendants, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a publié, le 15 mars, la liste définitive des vingt-quatre candidats à la magistrature suprême. À la surprise générale, le vice-président Atiku Abubakar n’y figure pas. Arguant de sa mise en accusation par un panel de ministres nommés par le chef de l’État, la Ceni estime la candidature d’Atiku impossible. Son parti, l’Action Congress (AC), ne l’entend pas de cette oreille : seule la Cour suprême est habilitée à juger de l’éligibilité d’un candidat, riposte-t-il, avant d’annoncer son intention de porter le dossier devant la plus haute juridiction du pays. Pour celui qui, en 2003, passait pour le dauphin du président sortant Olusegun Obasanjo, l’affaire est entendue : son élimination est une manuvre ourdie par le palais d’Aso Rock.
Les 61 millions d’électeurs que compte la plus grande démocratie du continent – 140 millions d’habitants d’après le recensement de 2006 (voir pp. 56-57) – sont appelés aux urnes dans moins de trois semaines. D’ici là, d’autres rebondissements, tel que l’autorisation in extremis de la candidature d’Atiku, sont encore possibles. Si, toutefois, la Cour suprême se prononçait en faveur de l’interdiction, le premier tour de la présidentielle aurait des allures de finale avant l’heure. Seuls deux favoris émergent de la masse des vingt-quatre protagonistes : Umaru Yar’Adua, candidat du People’s Democratic Party (PDP, au pouvoir), et Muhammadu Buhari, du All Nigeria People’s Party (ANPP). Avant le 15 mars, Atiku Abubakar, rompu au pouvoir – il est vice-président depuis 1999 – et jouissant d’une aura de démocrate pour s’être opposé à un troisième mandat d’Obasanjo, faisait figure de troisième homme.
Que feront ses partisans ? Gâcheront-ils la fête pour n’y avoir pas été invités ? Se vengeront-ils du mauvais coup porté par le chef de l’État sortant en votant blanc, ou en donnant leurs suffrages à Buhari, l’adversaire de son protégé ? Dans cette bataille pour diriger le premier pays producteur de pétrole au sud du Sahara (2,5 millions de barils par jour), les règles du jeu ne sont pas encore tout à fait définies. Et cela pour plusieurs raisons : après vingt-huit ans de dictatures et de coups d’État militaires, le Nigeria a renoué avec la démocratie en 1999. À bien des égards, les huit dernières années n’ont pas vu le pays s’affranchir du règne du « kaki » et de l’argent. En revanche, les Nigérians ont pris goût à la liberté.
Une rare certitude s’est imposée le 17 décembre dernier quand les électeurs ont découvert l’identité du candidat qui défendra les couleurs du parti majoritaire (le PDP contrôle 28 des 36 États de la fédération). La veille, à la nuit tombée, Umaru Yar’Adua, 55 ans, gouverneur de l’État septentrional de Katsina depuis 1999, a reçu la majorité des voix de près de 4 000 délégués. Des tractations orchestrées en coulisse par Obasanjo auraient réussi à calmer les appétits de piliers médiatiques de la formation, tels que Peter Odili, gouverneur de l’État pétrolier de Rivers, dans le sud du pays, ou Ahmed Makarfi, son homologue à Kaduna, dans le nord. Avec d’autres, ils auraient été invités à retirer leur candidature pour faire place à ce quasi-inconnu, dont bon nombre de Nigérians du Sud ont découvert le visage pour la première fois le jour de son investiture.
Incontestablement, le chef de l’État sortant a imposé un proche – le défunt frère aîné de Yar’Adua a été vice-président d’Obasanjo de 1976 à 1979 – qui le protégera de la curiosité de la justice. Et surtout, il s’assure le moyen de continuer à tirer les ficelles. À plusieurs reprises, Yar’Adua s’est engagé publiquement à perpétuer l’uvre de son Pygmalion.
Qu’il soit honni ou soutenu, ce musulman discret – « falot », raillent certains – figure parmi les favoris compte tenu de son appartenance au très puissant PDP. Ses détracteurs reprochent à cet ancien professeur de chimie de n’avoir pas l’étoffe d’un chef d’État, qualité indispensable dans un Nigeria qui ambitionne de jouer sur la scène internationale un rôle à la mesure de ses 140 millions d’habitants. Et qui, entre un Sud pétrolier apportant à l’État 95 % de ses recettes d’exportation et un Nord agricole de peu de poids dans les caisses nationales, est fragilisé par de multiples déséquilibres et frustrations. La santé fragile de Yar’Adua, qui a fait un séjour, début mars, dans une clinique allemande pour des problèmes respiratoires, conforte ses contempteurs.
Originaire de la partie septentrionale du pays, le candidat du PDP répond à la règle tacite exigeant que la présidence revienne au Nord après avoir passé huit ans entre les mains d’un Yorouba. Mais les Nigérians ayant pour habitude de voter pour l’homme de leur région, Yar’Adua est loin de faire l’unanimité, même au sein de son parti.
Le candidat de l’ANPP, Muhammadu Buhari, 64 ans, également originaire de l’État de Katsina, n’en tire que plus d’avantages. Pour la première fois dans l’histoire du Nigeria, deux candidats du même État sont face à face. Et, contrairement à Yar’Adua, « simple » gouverneur, Buhari a l’expérience du chef d’État, ayant été président militaire du Nigeria de 1984 à 1985. De son passage à la présidence, il a laissé un slogan que l’on retrouve encore immortalisé sur certains édifices publics : « War against indiscipline » (« Faire la guerre à l’indiscipline »). Contrôle du travail des fonctionnaires, files d’attente imposées dans les administrations Comme son rival, Buhari est réputé rigoureux. Autre point commun : les deux hommes ne sont salis par aucun scandale. Buhari a su résister à la tentation : de 1995 à 1999, l’ancien élève de l’école militaire de Kaduna – où Obasanjo a également traîné ses guêtres – a été directeur du Petroleum Trust Fund (PTF), le fonds pétrolier. Yar’Adua semble avoir fait preuve de la même honnêteté. Si Katsina, dont la richesse principale est l’agriculture, pèse peu économiquement à l’échelle de la fédération, son gouverneur depuis huit ans peut se targuer d’avoir équilibré les comptes, et même d’avoir accumulé, selon le quotidien Vanguard, des réserves de 6 milliards de nairas (46,8 millions de dollars).
C’est la bonne connaissance des rouages politiciens qui fera vraisemblablement la différence. Buhari connaît les ficelles électorales pour avoir été candidat à la précédente présidentielle, en 2003. Son score – 32,1 % des suffrages – est encourageant. Yar’Adua, lui, est novice. « Son premier défi fut d’obtenir le soutien des gouverneurs qui se sont sentis humiliés dans leur amour-propre parce qu’ils n’ont pas été choisis », résume un observateur. Le lendemain de son élection, il annonçait le nom de son colistier, qui, en vertu de la règle du partage des pouvoirs entre le Nord et le Sud, doit être du Sud si le candidat à la présidence est du Nord. Le poste convoité par beaucoup de membres du PDP a été emporté par un autre illustre inconnu, Jonathan Goodluck, que Yar’Adua a désigné pour être son running mate. Aux yeux de ses adversaires, ce chrétien de 50 ans n’a pas la légitimité de l’expérience : depuis un an seulement, il est gouverneur de l’État de Bayelsa, dans le Sud, où il a remplacé Diepreye Alamieyeseigha, sous le coup d’une enquête pour blanchiment d’argent. À côté de cet attelage qui doit encore faire ses preuves, Buhari jouit, lui, déjà d’une renommée. Il a reçu le soutien d’une coalition de partis du Sud-Ouest, qui, compte tenu de leur identité yorouba, auraient pourtant pu être attirés par le dauphin d’Obasanjo. Mais l’allégeance de Yar’Adua à ce dernier n’est pas du goût de tous, loin s’en faut.
Pour le Prix de Nobel de littérature 1986, Wole Soyinka, choisir entre ces deux candidats revient à choisir entre la peste et le choléra. « S’il faut trouver une alternative au candidat d’Obasanjo, Buhari doit aussi être écarté de la course », a-t-il déclaré au quotidien This Day. La répression menée par l’ex-dirigeant militaire à l’encontre des opposants a marqué les esprits
Mais bien plus que les programmes, qui tiennent tous dans les mêmes slogans – lutte contre la corruption, redistribution des richesses, consolidation de la fédération -, ce sont les faiseurs de rois qui départageront les candidats et fixeront les règles d’un jeu encore ouvert. Le plus influent d’entre eux est certainement Olusegun Obasanjo, qui dispose d’une arme à l’efficacité redoutable : la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC). Trente et un des 36 gouverneurs de la fédération, suspectés de corruption et sous le coup d’une enquête, en ont déjà fait les frais. L’ancien chef de l’État, Ibrahim Babangida, 65 ans, qui a finalement choisi d’agir dans l’ombre, dispose, lui, d’espèces sonnantes et trébuchantes. Ancien compagnon d’armes d’Obasanjo, on le dit favorable à Yar’Adua. Mais dans un pays où les turbulences sont la norme, rien ne résiste à la soif du pouvoir. Et surtout pas les rumeurs.

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